mercredi 29 novembre 2017

Le livre des ombres d'Elana Oui-jamais

   En cette morne journée d'octobre, Elana et ses amies rient dans la chambre de l'adolescente. Venues passer l'après-midi, les camarades de classe de l'adolescente viennent de passer en revue les derniers potins du lycée.
- Oh, mais tu as un oui-ja...
- Pardon ? Euh, oui, je voulais le ranger mais vous êtes arrivées. répond Elana à la question de son amie, un peu gênée.
La jeune fille rougit de sa bêtise. Elle prend toujours soin de dissimuler ses centres d'intérêt ésotériques pour ne pas soulever des questions auxquelles elle n'a pas envie de répondre. Et cette planche de oui-ja n'est pas un objet à mettre à la vue de tout un chacun. Elle était en train de ranger sa chambre lorsque ses amies ont toqué à la porte ; sur le moment, elle a totalement oublié qu'elle n'avait pas rangé la boîte dédiée à la divination.
- On pourrait faire du spiritisme, ce serait marrant. insiste Maureen.
- Non, je ne pense pas... Il faisait partie d'une malette dédiée à l'art de la divination que j'ai trouvée dans une brocante. Ce oui-ja est le seul objet utilisable, le reste était en mauvais état mais je refuse de toucher à ce genre de chose. Je l'avais laissé là le temps de décider de son sort car il est hors de question que je le garde.
Elana n'ose pas dire à ses amies qu'elle a gardé les livrets explicatifs et le pendule en attendant de les tester pour voir s'ils peuvent lui être utiles. Elle ne leur a jamais parlé de son intérêt pour les arts occultes et elle ne souhaite pas s'étendre sur le sujet. Toutefois, elle note avec plaisir qu'elles ne semblent ni choquées ni inquiètes de trouver ce genre d'objet sur son bureau.

- Elana, ne fais pas ta poule mouillée ! Tu as vu trop de films d'horreur. dit Enora. Nous sommes venues toutes les trois te rendre visite mais il pleut, il faut bien qu'on trouve une occupation, non ? Et nous n'avons jamais pratiqué ce genre de choses, nous n'avons pas ce genre de matériel chez nous, allez, sois sympa. Juste cette fois-ci !
- Oui, mais pas ce genre d'activité, j'estime que c'est trop dangereux. De plus si ce genre de choses vous intéresse, il y a des choses bien plus accessibles et moins dangereuses. s'emporte Elana en se levant. Je vais me débarrasser de ce truc, c'est pour cette raison que je l'ai laissé là. Il me fait froid dans le dos et j'ai peur de ce qu'il pourrait faire entrer chez moi.
- Arrête, c'est marrant ! Cesse de faire ta froussarde, à la fin.
- Non, Enora, ce n'est pas marrant, c'est dangereux ! Et ça me fait peur ! De plus, je l'ai acheté dans une brocante, qui sait ce qu'il a vécu et d'où il provient ? Et quels ennuis, il pourrait nous apporter ?
Enervée, la jeune sorcière met le oui-ja dans un sac poubelle pour le faire disparaître de la vue de ses amies.
- Je ne sais même pas d'où il vient, à qui il appartenait. Dieu seul sait de quelles ondes, il est chargé. répéte la jeune sorcière en ramenant ses cheveux en arrière pour tenter de masquer sa nervosité. 
- Mais pourquoi l'avoir acheté ? demande alors Maureen en rejetant en arrière ses raides cheveux châtain mi-longs. Il y a un problème ?
A travers ses fines lunettes, elle observe son amie et note son malaise.
- Non, c'est juste que, comment dire ? J'ai été prise d'une impulsion, je voulais comprendre comme ça fonctionnait. Je n'ai pas réfléchi et j'ai surtout pensé à la manière de la cacher à mes parents. S'ils tombent dessus, je me demande ce que je vais pouvoir leur répondre. Mais vous ne direz rien, n'est-ce pas ? Pourrions-nous parler moins fort, je ne voudrais pas que mes parents entendent notre conversation.
Ses amies acquiescent et Elana soupire, soulagée.
- Mais depuis quand est-ce que ce genre de choses t'intéresse ? questionne Maureen en se tournant vers elle. Admets que ce n'est pas commun.
Elana hésite un instant en se mordant la lèvre avant de répondre.
- Ma grand-mère s'intéressait à ce genre de choses. Il y a peu, j'ai fouillé dans ses affaires et je suis retombée sur son matériel. Je me suis souvenue à ce moment-là qu'une part de moi avait toujours eu une attirance pour ce genre de pratiques. Et que le moment était venu pour moi de tenter de voir si ça pouvait me convenir donc en testant des choses. Mais pas ce genre d'outils de divination ; quelque chose me retient et me dicte de ne pas m'en approcher depuis toujours. En la matière, j'ai tendance à me fier à mon instinct avant tout.
- Donne-le ! insiste la svelte adolescente en se levant du tapis où les jeunes filles se sont assises. Si tu ne veux pas le garder. A moins que tu ne préfères t'en débarrasser... Mais si c'était le cas, tu l'aurais mis dans un sac poubelle depuis bien longtemps.

  Debout devant son amie, dans son pantalon de tailleur noir et avec sa chemise blanche à longues manches fermée par des boutons argentés, Elana semble plus âgée qu'elle ne l'est réellement. Silencieuse, l'adolescente réfléchit à la meilleure manière de se débarrasser au plus vite de cet objet encombrant.
- Cette chose me fait peur. répète Elana. Je...mon instinct me dit que je dois m'en débarrasser. Je sais ! Il y a un vide-grenier deux rues plus loin, je pourrais le donner avec quelques vieux livres que nous avions dû lire en cours de français, il y a une éternité.
- Allons-y dans ce cas ! Ce sera amusant. dit Maureen en se levant d'un bond. Au fait, ta pratique a eu des résultats ?
- Euh, oui, un peu mais va savoir si ça a réellement marché ou si c'est le hasard. élude Elana qui fouille dans sa bibliothèque pour mettre dans un sac les livres qu'elle ne souhaite pas garder.

  Intimidée, Elana installe ses objets sur une couverture étalée devant elle. Elle craint de reconnaître ses voisins et elle regarde autour d'elle mais elle ne reconnaît personne parmi les vendeurs. Soulagée, elle s'assied sur la couverture avec ses copines. Elles discutent de choses et d'autres, quelques livres trouvent preneur mais la boîte reste toujours en vente. Deux heures plus tard, un homme s'approche du groupe d'adolescentes et se montre intéressé par le oui-ja alors que les jeunes filles s'apprêtent à remballer leur marchandise.
- Il n'est pas maléfique ou ensorcelé au moins ? interroge-t'il avec un sourire.
- Je ne sais pas, il est neuf et je n'ai jamais osé l'utiliser. Normalement, il est tout ce qu'il y a de plus neutre mais je ne touche pas à ce genre de chose. répond l'adolescente, un peu mal à l'aise. D'un autre côté, j'imagine qu'il a été fabriqué dans une usine chinoise dont les conditions de travail sont sans doute peu reluisantes. L'objet a dû se charger d'ondes potentiellement négatives. Je ne saurais dire.
- Cinq euros, ça vous va ? Je le purifierai avant de l'utiliser, ne vous inquiétez pas, j'ai l'habitude de ce genre de choses.
Elana va protester qu'il est neuf mais elle songe qu'elle veut surtout s'en débarrasser et que cette occasion ne se représentera pas de sitôt. Aussi, elle tend la main pour prendre le billet en échange de l'objet. Elle regarde l'homme s'éloigner et elle achève de remballer ses affaires sans plus y penser. Au fond, c'est une meilleure solution que d'abandonner l'objet sur le banc d'un jardin public. Elle espère surtout que l'objet n'est pas chargé d'énergies  négatives et qu'il n'apportera pas des ennuis à son nouveau propriétaire.
 
 Mais aurait-il mieux valu l'abandonner dans les toilettes d'un jardin public et que n'importe qui tombe sur le ouija et l'utilise sans prendre les précautions élémentaires ? Ou le détruire ? Elle y a songé mais elle n'a pas osé le faire, aussi Elana s'est abstenue. Mais elle se sent un peu coupable d'abandonner ainsi cet objet sans connaître son devenir. D'un autre côté, elle ne pouvait pas le garder. Elle n'a jamais eu l'intention de l'utiliser et le laisser au fond d'un placard n'est pas une solution. La planche est grande et elle ne pourra pas toujours la cacher à ses parents. L'adolescente n'ose imaginer leur réaction s'ils tombent dessus un jour.
 
 Pourtant, si elle est honnête avec elle-même, elle se dit qu'elle n'a pas de raison d'avoir peur. Pourquoi un esprit maléfique pourrait lui faire du mal via une planche de oui-ja et pas au travers de ses runes ou de ses tarots ? De plus, elle n'ignore pas que ce genre d'outil de divination a autrefois été vendu comme jouet outre-atlantique. A-t'elle bien fait de suivre son intuition ou aurait-il mieux valu conserver l'objet et tenter de s'en servir sans a priori négatif ? La jeune sorcière  n'a pas de réponse à ces questions et elle sent une de ses amies qui la tire par la manche. Elle revient à la réalité, au vide-grenier et au froid glacial.
- Rentrons, j'ai froid ! J'ai fait ce que j'avais à faire, à moins que vous ne souhaitiez faire un tour ?
Ses amies souhaitent avant tout se mettre au chaud aussi les adolescentes remballent leur couverture et elles rejoignent le foyer accueillant d'Elana. Alors qu'elle prépare le thé, la jeune sorcière entend ses amies déplorer la disparition du oui-ja. Leur intérêt éveillé, elles regrettent de ne pas pouvoir tester leurs dons de divination.
- Tu crois que cette planche était si dangereuse que ça ? demande Enora en réchauffant ses mains sur la tasse de porcelaine.
- Je ne sais pas. lui répond Leslie. Mais j'aurais bien aimé essayer juste pour voir. Si ça se vend, c'est que ce n'est pas aussi dangereux que dans les films d'horreur.
- Vous croyez qu'Elana est une froussarde ? rit Maureen. Peut-être qu'elle a de bonnes raisons pour s'inquiéter, non ? Est-ce qu'elle ne nous a pas dit que sa grand-mère avait des pratiques bizarres ? Peut-être qu'elle sait des choses que nous ne savons pas...
 Elana réfléchit et elle décide de les initier à la tasséomancie, activité bien moins dangereuse à ses yeux. Peu à peu, ses amies oublient le oui-ja, trop occupées à tenter de trouver des réponses dans la lecture des feuilles de thé qui collent à la paroi de leur tasse et qui se sont déposées sur la soucoupe en porcelaine de Chine.
- Et toi, Elana, que disent tes feuilles de thé ?
Avec un sourire, Elana s'exécute puis elle laisse son esprit vagabonder alors que ses amies tentent de deviner ce qui l'attend.

mercredi 22 novembre 2017

Contes d'Halloween et de Samhain Le repas des défunts

 Dans la grande pièce éclairée par des chandelles et par le feu qui crépite dans la cheminée, la famille termine de dîner et de débarrasser la table. En ce jour particulier, les membres de la famille prennent soin de placer dans des assiettes les restes du repas. Ils laissent les plats dans la cuisine pour le repas des défunts avant de passer au salon pour déguster pommes et noix en racontant des histoires de fantômes et en se se remémorant des souvenirs d'autrefois.

  Hermand que l'on a envoyé au lit un peu plus tôt se glisse à pas de loup dans la cuisine, son ours en peluche serré contre son cœur. Pieds nus et en pyjama, le petit garçon se glisse dans la cuisine près du radiateur, là où il a pour habitude de se blottir en hiver. Les adultes ne l'ont pas entendu descendre l'escalier et ignorent sa présence. L'enfant dans son pyjama à carreaux écoute d'une oreille attentive l'histoire de ses ancêtres même s'il en a entendu le récit des dizaines de fois. Il ne se lasse jamais de l'histoire de la tante Zoé qui était folle de son chat Félix qu'elle traitait comme son enfant ou du cousin Gus qui pouvait inventer un chanson en quelques secondes pour peu qu'on lui donne un thème.
  Par la porte entrouverte, le froid entre dans la maison mais la cheminée suffit à réchauffer l'atmosphère. Tout au plus, un membre de la famille frissonne avant de se couvrir d'une couverture lorsque le froid s'aventure trop loin dans le logis. Autour de la bâtisse, les âmes des défunts rôdent et timidement, les ancêtres entrent un à un dans le foyer pour se glisser dans la cuisine dans le plus parfait silence. Sur le chemin qui mène à la maison, des lanternes tracent le chemin à suivre pour rejoindre leur famille le temps d'une soirée.
- Nous arrivons trop tard cette année pour avoir une place à table. D'ailleurs, puisqu'ils laissent des places vides à table durant le repas pour nous, pourquoi ne pensent-ils donc jamais à en mettre suffisamment ? dit la grand-tante Hortense en entrant dans la cuisine suivie du grand-oncle Henri.
- Qu'avons-nous là ? s'interroge la grand-tante Sonia en approchant de la table. Ils nous laissent de quoi manger mais il n'y en a jamais assez pour nous tous et c'est toujours la même chose. Les traditions, c'est bien mais changer de recettes de temps en temps, c'est mieux. Ce n'est parce que nous sommes passés de l'autre côté que nous n'avons pas envie de changement. C'est comme pour les chaises, ils nous laissent des places libres mais la majorité d'entre nous finit sur les genoux de quelqu'un ou assis par terre.
Une ombrelle invisible balaie l'air et son chapeau à fleur manque de tomber par terre tant elle hoche la tête avec violence.
- Toujours à râler pour un rien ! dit le père Michel en entrant à son tour dans la cuisine. Tout ceci me semble délicieux ! Sentez ce fumet qui embaume mes narines.
Sa pipe à la bouche, l'homme replet tire sur ses bretelles pour les remettre en place. Il regarde autour de lui et il s'assied à table en attedant l'arrivée des autres convives.
  Bientôt la cuisine se remplit et la grande table de bois accueille les défunts qui évoquent leurs souvenirs dans cette maison qui a vu naître une grande partie de la famille et bien des fêtes de famille.
- Il y a quelqu'un. Un vivant ! chuchote grand-papa Jacques dans son costume trois-pièces noir d'un autre siècle en retirant sa pipe fumante de la bouche.
Leur curiosité en éveil, les défunts cherchent partout et ils trouvent le petit Hermand qui les regarde en serrant son doudou sur son cœur.
- Bonjour petit ! dit l'oncle Tristan d'un ton joyeux. Oh, mais comme tu as un joli nounours. Comment s'appelle-t'il ?
- Ursule, il s'appelle Ursule. répond le petit garçon.
- Mais c'est un joli nom que voilà ! Allez, viens manger un morceau avec nous.
Nullement effrayé, le petit obéit et il se retrouve bientôt en bout de table à chuchoter à ses ancêtres bien des choses tout en mangeant à belles dents la nourriture préparée pour ses voisins de table.
  Le repas terminé, alors qu'ils entendent les vivants aller se coucher, les trépassés décrètent qu'il est temps pour eux de rentrer dans leur monde. Ils embrassent les uns après les autres le petit Hermand en lui disant que voir les esprits le soir d'halloween confère le don de voir et parler aux esprits et qu'il ne doit pas s'en effrayer. Et de toutes manières, il est né le jour d'halloween et rien que cette naissance en ce jour particulier lui confère ces capacités.
- A l'année prochaine ! disent les trépassés en agitant la main.
Hermand agite son nounours en guise d'au revoir avant de monter sans un bruit sous son édredon.
  Depuis cette nuit, le petit Hermand a pris l'habitude de descendre sans bruit dans la cuisine les soirs d'Halloween et de s'attabler avec les défunts lorsque toute la maisonnée dort. Il voit des choses invisibles aux yeux des humains et il prend bien garde à ce que personne ne connaisse son don. Il n'a pas peur et il attend avec impatience ces retrouvailles annuelles avec ses ancêtres dans la cuisine embaumée par l'odeur des mets de Samhain. Il se délecte de leurs histoires et depuis qu'il sait écrire, il couche patiemment sur le papier leurs souvenirs pour qu'il reste toujours une trace d'eux parmi les vivants. Il fait également des croquis des défunts pour ne jamais oublier ces nuits particulières.

samedi 11 novembre 2017

Gaffe aux gaffes Le stagiaire

  Fantasio entre dans le bureau où le courrier du jour trône sur le bureau encombré de son subordonné. L'instable montagne d'enveloppes cache à demi le bureau et il s'étale en une élégante vague jusqu'au milieu de la pièce.
- Gaston ! Où êtes-vous donc ? s'inquiète Fantasio.
Un bruit se fait entendre et la masse de courrier se soulève.
- Haaa ! hurle le rédacteur en chef en faisant un bond en arrière.
Du tas de lettres, un Gaston endormi a surgi sans crier gare. Il baille avant de parler :
- M'enfin, tu m'as fait peur à la fin ! Je faisais une petite sieste pour me mettre en train. Tu sais qu'au Japon, la sieste au travail améliore les performances des salariés, de multiples études l'ont prouvé.
La main sur son cœur affolé, Fantasio tente de se remettre de ses émotions.
- Gaston, vous m'avez fait peur ! Quelle idée d'aller vous cacher là-dedans... Et je me demande bien pourquoi. Je ne veux rien savoir ! Bon, je vous confie un stagiaire, il arrive dans dix minutes. dit-il en regardant sa montre. Il va vous aider à trier le courrier en retard dans un premier temps ensuite nous verrons quelle tâche pourra vous être confiée. Il reste parmi nous durant une semaine, je veux que le courrier soit classé d'ici la fin de son stage. Et je veux que vous y mettiez du nerf ! A tout à l'heure ! Et pas de sieste, je vous ai à l'oeil, attention Gaston !
- Ne t'inquiète pas, je vais m'en occuper, moi, de ton stagiaire. Mais prends plutôt soin de toi, tu es tout pâle. Tu dois couver quelque chose.
La porte du bureau se referme sur Fantasio qui a préféré ne pas répondre à Gaston. Resté seul, le préposé au courrier, se gratte la tête, perplexe.
- Un stagiaire ? Mais pour quoi faire ? demande Gaston les poings sur les hanches. Pff, Fantasio avec ses idées parfois... Je n'ai besoin de personne, je me débrouille parfaitement sans l'aide de qui que ce soit. Et j'ai beaucoup de travail, moi !
Il allume une cigarette et il se met à la fenêtre en attendant l'arrivée de son fameux stagiaire. Quelques minutes plus tard, un adolescent entre dans la pièce.
- Bonjour. C'est vous, Gaston ?
Les mains dans les poches, l'individu toise l'employé au courrier qui lui sourit.
- Bonjour, oui, c'est donc toi mon stagiaire ?
- Evidemment ! glousse l'adolescent aux courts cheveux noirs en bataille en rajustant le col de sa chemise blanche impeccable puis en lissant son costume gris anthracite.
- Tu fais quoi comme travail ? s'enquiert le garçon.
- Je suis l'employé au courrier.
- Passionnant ! Je suis déjà au courant. Mais sinon, tu fais quoi comme tâches ?
- Je m'occupe du courrier qui arrive à la rédaction.
- Et c'est tout ? Genre tu n'envoies pas de courrier ou de colis. On ne te confie pas de plis ultra-importants à poster en urgence ?
- Pfff... Non mais je n'ai pas le temps pour ça. dit Gaston en allumant une cigarette. Je trie le courrier qui arrive, notre secrétaire s'occupe d'envoyer les courriers ou les personnes postent eux-même leurs lettres. Il ne faut pas exagérer, je ne travaille que quarante heures par semaine, moi ! Bon, nous allons devoir nous mettre au travail.
- Comme c'est passionnant et ensuite, qu'est-ce que je vais devoir faire ? demande le stagiaire d'un ton plein d'ironie. Parce que tu ne fais pas que du classement, j'espère ? Nous allons vite nous ennuyer. Et trier le courrier de la semaine ne doit pas prendre autant de temps...
- On ne s'ennuie jamais ici. Tu verras, c'est animé.
L'adolescent hausse les épaules et il regarde autour de lui.
- Mais, mais, c'est ça, le courrier en retard ? dit-il en pointant du doigt la montagne d'enveloppes qui envahit les trois quart de la pièce.
- Oui, Fantasio a dit que tout doit être trié d'ici la fin de ton stage.
Le jeune garçon pâlit légèrement avant de se reprendre et de demander à Gaston comment traiter le courrier. L'employé de bureau le lui explique et le stagiaire se met au travail. Pendant ce temps, Gaston se remet au travail ; ses outils à la main, il bricole un nouveau moteur surpuissant qui fonctionne à l'huile de foie de morue. Absorbé par sa tâche, il oublie rapidement son stagiaire qui se met au travail en silence.
Un cri déchire le silence et fait sursauter Gaston.
- Aïe, elle m'a mordu !
 Le stagiaire inspecte la pièce d'un regard noir.
- Mais non, ce n'est que Cheese ma souris qui a pris peur. tente de le rassurer Gaston. Elle ne te connaît pas, c'est normal. Elle voulait juste faire connaissance avec toi.
- Une souris qui vit dans le tas de courrier ? s'étonne le stagiaire. C'est normal pour vous ?
- Oui, pourquoi ? Elle y est au chaud et personne ne risque de l'écraser.
Perplexe, le stagiaire reprend sa tâche sans rien dire. De temps en temps, il jette des coups d'oeil à son maître de stage qui travaille sur tout autre chose qu'un travail de bureau. Un peu inquiet, il soulève les paquets de courrier avec précaution avant de les trier.

  Durant la pause déjeuner, Prunelle et Lebrac s'intéressent au stagiaire de Gaston. Il leur apprend qu'il est au lycée et que ce stage de découverte du monde professionnel est pour lui une opportunité de découvrir le monde du travail avant d'entrer en école de commerce. Son oncle travaille dans l'édition et est un modèle de réussite à ses yeux dont il a bien l'intention de suivre les traces. Puis l'étudiant refuse d'en dire plus et il replonge son nez dans sa soupe.
Chaque jour, Anatole trie le courrier pendant que son maître de stage vaque à ses occupations favorites qui consistent à bricoler des engins ou des mixtures qui n'ont rien de professionnel dans son bureau. A maintes reprises, le stagiaire manque de vomir sur le courrier et il doit se précipiter pour ouvrir la fenêtre, écoeuré par les odeurs nauséabondes qui se dégagent des éprouvettes de son maître de stage. Sous le feu roulant de ses questions, Gaston tente de lui expliquer ce qu'il fait mais devant le manque d'intérêt teinté de mépris de son subordonné, il renonce. En aparté, il se désole en caressant son chat :
- Ces jeunes ne s'intéressent plus à rien, décidemment. Pas comme toi, hein, mon chat ? Alors, cette soupe de potiron au vinaigre balsamique te plaît ?
Au bout de la semaine, excédé, l'adolescent prend Gaston entre quatre yeux.
- Je suis le neveu de monsieur Dupuis et croyez-moi quand il saura comment vous travaillez, vous pouvez dire adieu à votre poste. Il ne m'a fallu qu'une semaine de travail acharné pour classer le courrier en retard ! Courrier qui si j'en crois vos collègues à qui j'ai pris soin de poser la question,  est en retard depuis des années ! Enfin, depuis votre arrivée en ces lieux de désordre et de désolation. J'ai été jusqu'à faire des heures supplémentaires pour vous prouver que c'est possible et vous voyez, j'ai réussi.

  Enervé, le stagiaire quitte la pièce à reculons sans quitter des yeux Gaston qui ouvrait une boîte de sardines à l'huile. Absorbé par Cheese la souris qui apprend à nager dans le bocal de Bubulle son poisson rouge, Gaston  n'a écouté que d'une oreille le discours de son bras droit du moment.
- Atten...
- Je n'attendrais pas pour lui faire part de mes observations ! Certainement pas ! Je vais d'ailleurs aller lui téléphoner de ce pas. hurle Anatole en faisant un pas en arrière.
Il bute contre l'armoire, la boule de bowling de Gaston lui tombe sur la tête et il s'effondre, assommé.
- Mais ce n'est pas vrai ! A la fin, je l'ai prévenu de faire attention !
Gaston va chercher de l'eau pour ranimer le jeune garçon qui reprend connaissance. Par chance, il n'a qu'une bosse sur la tête et il ne semble pas avoir le crâne fracturé par son accident.
- Bonjour, je suis le nouveau stagiaire.
- Mais ton stage est terminé, tu sais, je suis Gaston, ton maître de stage.
- Bonjour, Gaston, mon maître de stage. Alors, comment s'est passé mon stage ?
- Mais très bien, tu as mené à bien les tâches qui t'ont été confiées comme classer le courrier et répondre aux courriers des lecteurs. 
- Et j'ai aimé mon stage ?
- Je crois bien, oui, tu m'as posé des tas de questions pour savoir comment je m'y prenais et tu as bien rattrapé le retard.
- Parfait, mon oncle Dupuis sera ravi de l'apprendre. Au revoir et à bientôt ! Je lui ferai des éloges à votre sujet.
- Au revoir ! lui répond Gaston en agitant la main.
Son chat dans les bras, satisfait, Gaston lui dit combien il est fier d'avoir montré à un jeune combien le travail bien fait est important.

Bien évidemment, les personnages et l'univers ne m'appartiennent pas.

dimanche 5 novembre 2017

Contes d'Halloween et de Samhain La nuit du casse-noisettes

  Autour du feu de camp qui brûle dans l'ancienne grange désaffectée, le groupe d'adolescents s'amuse à se raconter des histoires en cette nuit du casse-noisette ou de la pomme croquante. Conformément à la tradition, ils ont ramené des pommes, des noix et des noisettes à déguster au coin du feu en cette dernière nuit d'octobre. Les pommes finissent rapidement au bout d'un bâton à cuire à la flamme. Les premiers fruits à la peau craquante et dégoulinante d'un jus chaud qui coule sur les mentons juvéniles et poisse les doigts malhabiles qui se brûlent sur les fruits cuits qui finissent rapidement dans l'estomac des adolescents. Ils rient à l'évocation de leurs parents qui les croient tous chez l'un d'entre eux sous prétexte de préparer un exposé sur la chasse aux sorcières dans l'Europe médiévale. Mais les géniteurs sont bien vite oubliés grâce au concours bienvenu d'une bouteille de soda à la citrouille qui fait le tour du petit groupe.
  Repus, les jeunes garçons, enroulés dans de chaudes couvertures, commencent à se raconter des histoires pour se faire peur en croquant des noisettes. La nuit tombe et le vent commence à faire gémir le vieux bois centenaire tandis que la lune passe par les interstices entre les planches disjointes. Inquiets, les garçons sans oser se l'avouer, écoutent les bruits nocturnes, attentifs. Mais tout est silencieux et un éclat de rire déchire la nuit. Ils se raidissent mais peut-être n'est-ce que le feu qui crépite qui a voulu se jouer d'eux. Soulagés, ils remettent des pommes à dorer à la flamme.
- Qui commence ? demande un garçon aux longs cheveux roux qui tombent en rideau sur ses épaules. Qui a une histoire effrayante à nous raconter ? 
- Moi ! Vous savez qu'on dit qu'un trésor est enterré sous cette grange ?
Tous regardent le petit blond en polo rayé qui vient de prendre la parole.
- Par qui ?
- Par le vieux Tommy qui a emporté son trésor dans la tombe. On prétend qu'il s'est enrichi à force de privations et que pour empêcher que les impôts ne lui volent le fruit de son travail, il dormait littéralement sur un trésor : son matelas était un matelas de billets. Dans son testament, il a demandé à être enterré avec mais ses héritiers, intrigués, ont déchiré son coffre-fort de tissu et n'ont pas respecté ses dernières volontés. On prétend néanmoins qu'il reviendra un jour de l'au-delà pour se venger et que ce vieux filou a plus d'un tour dans son sac. Il aurait réussi à enterrer une partie de son trésor afin d'être sûr de le garder pour lui seul dans l'au-delà. On prétend qu'il estimait que ses fainéants d'héritiers qui l'ignoraient de son vivant ne méritaient pas son pactole.
  Une idée germe dans les jeunes esprits et quelques minutes plus tard, les jeunes gens commencent à creuser la terre froide à main nue. Peu à peu, un trou commence à grignoter la petite cabane branlante qui se remplit de terre, de terre, encore et encore. La terre envahit l'espace et l'odeur d'humus commence à donner la nausée aux membres du groupe. Le petit blond commence à avoir envie de vomir mais il parvient à se contenir.
- On a fini ? gémit-il, le cœur au bord des lèvres.
- Oui, je crois bien. répond le plus grand d'entre eux.
En effet, quelques minutes plus tard, il bute sur une surface dure qui rend un son creux. Les garçons  se penchent sur le trou et ils tentent de deviner sur quel objet ils viennent de tomber à la lumière blafarde de la lune qui vient de se dévoiler.
- Personne n'a pensé à prendre une lampe de poche, par hasard. 
Seul le silence lui répond. Il inspire avant de continuer son examen accroupi au bourd du trou.
- C'est du bois. On dirait une planche.
- Il y a une croix, c'est un cercueil. l'interromp le garçon aux cheveux roux.
- Que contient-il ? s'interroge le garçon blond en fracassant le bois d'un coup de pied.
Le bois pourri par l'âge et l'humidité craque sous le coup et l'adolescent manque de tomber dans le trou.
- Moi ! Malheur à vous qui m'avez libéré. Ainsi qu'à mes descendants qui ont bâti leur fortune sur la mienne, ma vengeance les frappera.
La forme noire se dresse devant eux, enroulée dans une cape noire. Apeurés, les adolescents sont tétanisés et incapables de bouger. Mais déjà, l'ombre est sur eux et les dévore. La légende disait vrai. Dans un rire qui emplit la nuit, l'ombre se met en quête de ses descendants pour assouvir sa vengeance longuement mûrie dans l'au-delà.

vendredi 3 novembre 2017

Vie du blog Un peu de repos

Je manque de temps pour mes projets longs. Si j'ai longtemps écrit de la poésie, je m'essaie à la nouvelle et aux récits plus longs. Je n'ai plus le temps de publier au quotidien; cela m'a aidée au début mais aujourd'hui, je préfère me concentrer sur mes autres projets d'écriture et mes autres projets tout court. Les publications se feront au fil de ma production de récits plus ou moins longs.

Gaffe aux gaffes Lettres de concours

 Gaston lit Le journal de Spirou dans son bureau profitant d'une réunion à laquelle il n'a pas été convié. Confortablement installé dans son fauteuil, les pieds sur la table, il se délecte des bandes dessinées et des jeux proposés par le magazine. Les locaux sont presque déserts et Gaston a tout le loisir de lire pour « se reposer d'avoir bien travaillé » selon ses dires. En effet, il a passé la matinée à tenter de mettre de l'ordre dans son bureau. En son for intérieur, Gaston ne cesse de se répéter que son travail donne d'excellents résultats et qu'il est fier d'apporter sa contribution au journal. Au détour d'une page, le préposé au courrier tombe sur une annonce pour un concours organisé par le magazine pour lequel il travaille depuis plusieurs années. Le principe est simple : les participants qui s'inscrivent doivent se rendre dans les locaux pour remplir un défi qu'ils tirent au sort. Sûr de lui, le jeune garçon ne prend pas le temps de lire l'intégralité de l'annonce car il ne veut pas être en retard pour sa pause déjeuner. Gaston note soigneusement la date dans son calepin avant de donner son bulletin de participation à la secrétaire, Mademoiselle Kiglouss qui glousse de rire en recevant le bulletin. Mais ventre affamé n'a pas d'oreille et son collègue n'entend pas le rire sarcastique de la secrétaire, il est déjà en retard pour manger avec Jules-de-chez-Smith-en-face. Assis en terrasse, dans un café, ils déjeunent en parlant du nouveau système de communication qu'ils envisagent de mettre en place entre leurs deux bureaux. Puis ils parlent du concours durant une heure et demie jusqu'à ce que Gaston décrète que sa pause déjeuner est terminée depuis une demi-heure et qu'il va se mettre en retard dans son travail. Les mains dans les poches, il rentre d'un pas traînant dans les locaux de la rédaction où les employés sont déjà à leur poste pour boucler le prochain numéro. Fatigué par toute cette agitation, Gaston s'enferme dans son bureau pour être un peu au calme et s'atteler à trier le courrier du jour. Il ouvre deux enveloppes avant de s'endormir la tête sous les enveloppes du jour qui masquent ses ronflements. Le soir venu, l'employé au courrier se réveille, il ouvre les yeux et il range soigneusement le courrier du jour dans la montagne de papier qui engloutit la moitié de son bureau et menace de s'écrouler. Toutefois, il prend le temps de lire les deux courriers qu'il a ouvert, de les tamponner et de les classer avant de prendre son manteau pour affronter le froid de l'extérieur.
  Le jour dit, il se présente à l'accueil avec les autres participants. Caché par la foule, il ne voit pas Prunelle le chercher partout. Pour l'occasion, il a revêtu le nouveau pull vert tricoté par sa tante Hortense pour son anniversaire.
- Où est donc Gaston ? Apparemment, il n'est pas dans les parages, tant mieux, une de ses inventions ne va pas nous exploser à la figure durant le concours. J'enferme la mouette, le chat, la souris et le poisson dans son bureau et le ciel peut bien me tomber sur la tête s'il arrive quelque chose aujourd'hui.

Quelques minutes plus tard, le rédacteur en chef rejoint l'accueil où les participants patientent ; il se frotte les mains de joie, le concours est un succès.
- Bonjour à tous, nous avons organisé ce concours pour récompenser le plus innovant d'entre vous. Veuillez me suivre s'il vous plaît.
Après quelques minutes de marche dans le dédale des couloirs, l'homme ouvre une porte qui donne sur une salle emplie de papiers.
- Bien, dans cette salle, le courrier en retard est entreposé. Celui d'entre vous qui inventera la meilleure solution pour classer le courrier en retard, signera un contrat de travail en cdi pour remplir ces fonctions. Vous avez jusqu'à ce soir ! Le matériel est à votre disposition ainsi que de quoi vous sustenter. Les toilettes sont juste en face. Je repasserai ce soir et le journal se charge de prendre en charge le déjeuner.
Prunelle conduit le groupe jusqu'à une immense salle où du matériel de tout type se trouve éparpillé un peu partout puis il laisse les participants s'atteler à la tâche après avoir fait apporter du café, des sandwichs et des brioches pour apaiser l'estomac des concurrents. Toute la journée, les participants désertent les lieux au fil des explosions et des nuages nauséabonds qui envahissent la pièce (qui ne comporte aucune fenêtre). Les plateaux chargés de nourriture se vident au fur et à mesure que le temps passe car de nombreux participants se sentent mal. Seul un jeune homme en pull vert travaille en sifflotant sans paraître incommodé par ces émanations qu'il a crées. Durant ses fréquentes pauses-déjeuner, il améliore les sandwichs au moyen de diverses sauces qu'il a ramené de son bureau. Le sandwich jambon-beurre-fromage-thon-confiture de fraise ne remporte guère de succès parmi ses adversaires. Le soir venu, son invention est fin prête et c'est entouré d'une foule de journaliste que Prunelle remet à Gaston le prix promis : un contrat de travail à durée indéterminée. En effet, il est le seul concurrent restant en lice et il a inventé une machine à dissoudre la colle qui scelle les enveloppes en utilisant de la vapeur d'eau ce qui libère le courrier de sa prison de papier. L'employé au courrier n'a plus qu'à lire et trier les missives. Il ne perd ainsi plus de temps à ouvrir les enveloppes parfois récalcitrantes ou à chercher son coupe-papier dans tout le bureau voire dans le tas de courrier en attente de tri. Et il ne risque plus de se couper les doigts sur le papier ou avec son coupe-papier ce qui réduit les accidents du travail.

  Interviewé par un journaliste, Prunelle ne peut que louer l'inventivité de « Monsieur Gaston Lagaffe employé au courrier modèle qui passe ses journées à créer des inventions de toutes sortes qui égaient la rédaction. », « sa bonne humeur et son implication au service de ses inventions démontrent son enthousiasme dans la réalisation des buts qu'il s'est fixé ». Devant les journalistes, Gaston signe son deuxième contrat à durée indéterminé sous le crépitements des flashs et les applaudissements des journalistes. A ses côtés, Prunelle pleure à chaudes larmes, sa tentative pour remplacer Gaston a échoué.


Les personnages et l'univers sont empruntés à Franquin bien évidemment.