Il était une fois, dans un pays lointain, un ermite qui vivait
solitaire dans la nature. Il vivait sur un mont appelé le mont Rose
depuis des temps immémoriaux, à tel point que nul ne se souvenait
d'où lui venait ce nom étrange. L'ermite vivait heureux parmi les
animaux qu'il appelait ses frères et les plantes qu'il
affectionnait plus que tout être vivant. Il aimant notamment un
arbre merveilleux et unique au monde : un amandier de Chine avec
ses fleurs roses qui avait la particularité de fleurir toute
l'année. L'ermite ne savait ni son nom, ni son origine mais il
chérissait cet arbre sans doute planté par un explorateur au retour
d'un voyage. Cet arbre était caché parmi les arbres feuillus et
verts d'une épaisse et dense forêt. Dans le pays, on en parlait
comme d'une légende, mais nul ne l'avait vu car nul ne venait
jusqu'à la demeure de l'ermite.
Un jour, un magicien du roi lui parla de la légende de l'arbre du
mont Rose au cours d'un banquet. Etonné, le roi lui demanda des
précisions, il n'avait nulle connaissance de l'existence d'un tel
arbre dans son royaume. Et comme tous les rois, il aimait savoir tout
ce qui se passait dans son royaume. Tout ce que le magicien put lui
dire, c'est que l'arbre rose était planté quelque part sur le mont
Rose.
Pendant ce temps, à des lieux de là, l'ermite vivait dans
l'insouciance, l'étude, la solitude et ses visites quotidiennes à
son ami, l'arbre rose du mont Rose. Il lui parlait : d'où
viens-tu ? A quoi penses-tu ? M'entends-tu ? Mais
jamais l'arbre ne répondait. Tout au plus, il frémissait un peu
plus fort que le vent ne l'aurait fait sur un arbre habituel.
Le roi dépêcha ses meilleurs botanistes et jardiniers pour trouver
cet arbre et le ramener à la cour, il voulait voir de ses propres
yeux l'arbre merveilleux. Le pays fut visité méthodiquement durant
six mois mais nul ne savait où trouver le mont Rose et encore
moins, l'arbre merveilleux. Le roi fit promettre dix mille pièces
d'or à quiconque donnerait une information qui conduirait à cet
arbre, mais personne ne se présenta.
Le roi devenait obsédé par cet arbre, il en rêvait la nuit et lui
prêtait des pouvoirs magiques qu'il n'avait pas (vous avez déjà vu
un arbre doté de pouvoirs magiques, vous ? Moi, jamais.). Il
était seulement obsédé par l'idée d'être l'unique roi au monde à
posséder un tel arbre dans son jardin. Il imaginait les ambassadeurs
et les princes émerveillés par cet arbre merveilleux tandis qu'il
leur comptait la dure conquête d'une telle merveille de la nature.
Mais les mois passèrent sans aucune avancée. Le roi finit par
oublier cet arbre et surtout par le croire né de l'imagination d'un
poète des temps passés. Mais un jour, deux jeunes gens virent le
voir. Ils étaient frères et sœurs et disaient connaître l'arbre
merveilleux dont il cherchait en vain l'emplacement. Il était sur le
mont Rose où nul ne va jamais mais tout le monde dans leur village
connait l'existence de cet arbre sans oser l'approcher.
Le roi ordonna aussitôt la préparation d'une expédition ;
malgré l'heure tardive, il réveilla tout le château, brûlant
d'impatience à l'idée de posséder l'arbre merveilleux. Le voyage
leur prit une semaine avec les chevaux les plus rapides. Parvenus au
pied du mont Rose, ils virent l'arbre merveilleux et l'ermite à ses
pieds, lui parlant des vents de l'hiver qui approchaient, ils se
faisaient plus froids ces derniers jours.
Aussitôt, le roi fit signe à ses bûcherons d'avancer pour déraciner
l'arbre tandis que ses soldats maintenaient l'ermite du mont Rose.
- Oh, roi, que fais-tu donc ?
- Je me suis promis de posséder l'arbre rose.
- Qu'en feras-tu ?
- Je le mettrais dans mon jardin !
- Mais cet arbre est né ici ; si tu le déracines, une part de
lui va disparaître, une part de son âme va s'évanouir. Je
l'entends me chanter sa peine, c'est ici que petite graine, il a
volé ; c'est ici qu'il a grandi face à l'adversité et ici
qu'il reposera pour nourrir son successeur. Pourquoi le mettre dans
ton jardin ?
- Car je rêve depuis des mois de posséder un tel arbre !
- Mais tu le possèdes déjà ! N'es-tu pas roi de cette terre,
ne t'appartient-elle donc pas ?
- Je n'y avais pas pensé.
- L'arbre te fait une promesse. Si tu le protèges tout ton règne
durant et tes successeurs après toi, au printemps, il te fera un
don.
- Quel don ?
- Un don est ce que l'on donne de bon cœur, pas ce que l'on promet
ou ce que l'on échange. Promets-tu ?
- Je promets. Ô grand arbre vénérable, je promets de te protéger
car il est de mon devoir de roi de respecter mon serment de protéger
ceux qui me demandent protection. Je reviendrais le premier jour du
printemps.
Le premier jour du printemps, le roi fut exact au rendez-vous.
L'arbre rose tint sa promesse et lui fit don d'une jeune pousse qui
vint orner son jardin royal. Le roi avait réalisé son rêve :
posséder un arbre rose. Il avait compris son erreur et désormais,
préféra demander ce qu'il désirait que de l'arracher par la force.