lundi 4 février 2019

La dernière sirène Chapitre 8/8

  Peu à peu, cette partie de la côte se repeuple et les sirènes vivent en paix dans le lieu hanté. Melen rejoint souvent son peuple d'origine avec ses enfants. Le pêcheur les observe de loin mais il ne se joint pas souvent à eux. Il craint que sa famille ne décide de quitter la terre pour rejoindre la mer et il préfère rester en dehors de cela.
- Tu ne viens pas avec nous ? s'étonne son épouse en s'asseyant à ses côtés alors qu'il reprise un filet un jour d'automne.
- Ma vie est sur terre, tu le sais et je crains toujours qu'un jour, tu ne rentres pas.
- Je t'ai choisi il y a des années, tu le sais. J'ai choisi de lier ma vie à la tienne de mon plein gré.
- Oui mais j'ai toujours entendu dire que les morganez ne pouvaient pas résister à l'appel de la mer.
- Peut-être, je ne sais pas mais je t'ai donné mon cœur et tu m'as fait promettre de te prévenir si j'envisageais de partir, tu t'en souviens ?
- Oui, je m'en souviens. Même si cela fait longtemps maintenant.
- Que vas-tu faire maintenant que ton peuple est revenu ?
- Je ne sais pas, je pense renouer des liens avec eux et vivre tant sur terre que dans la mer avec toi, bien évidemment.
Le pêcheur soupire et il la prend entre ses bras. Il reste un long moment serré contre elle le menton dans ses cheveux.
- Nous trouverons le bon équilibre pour nous et pour les enfants. Je n'en doute pas mais parfois je me demande si tu es heureuse avec moi.
- Bien sûr, sinon je serais partie depuis longtemps. Et nous n'aurions pas eu d'enfants et nous ne les aurions pas élevés ensemble.
- Tu crois que l'un d'eux choisira la mer ?
- Je le pense oui mais seul l'avenir nous le dira. Alors rejoins-nous un peu  plus souvent et apprends à connaître mon peuple et ceux parmi lesquels j'ai grandi, ils sont ma famille.

Melen prend le pêcheur par la main, il met son filet et ses outils en tas dans le creux d'un rocher avant de la suivre. Il se déshabille puis main dans la main, ils entrent dans l'eau. Ils disent la formule et ils rejoignent les sirènes qui s'ébattent sur les rochers. Les sirènes chantent en se peignant les cheveux et en riant. Elles se taisent à leur approche et elles leur font bon accueil. Les deux amoureux parlent de leur vie sur terre et ils leur parlent de l'enchanteur du Menez-Bré. Les sirènes écoutent mais elles disent que le sort ne les intéressent pas. Leur vie est en mer mais elles respectent leurs choix. Melen se sent en paix avec son choix de vivre sur terre et de voir que ses congénères comprennent son choix de vivre sur terre avec l'homme qu'elle a choisi. Elle le regarde et elle le sent se détendre.

Souvent alors qu'ils pêchent, les deux jeunes gens voient des sirènes leur faire des signes en prenant garde de ne pas se prendre dans leurs filets. Ils leur rendent leurs saluts et Melen s'interroge sur ce qu'aurait été sa vie sous les flots si elle l'avait choisi. Puis elle tourne le regard vers la terre et elle se dit qu'elle n'aurait jamais connu la nourriture humaine, la forêt, la campagne et les animaux qu'elle aime caresser, le feu et toutes les choses qui lui font aimer la vie sur terre. Elle songe combien leurs deux mondes sont différents et complémentaires et elle regrette que la peur et l'incompréhension sépare leurs deux peuples.
- Mais nos enfants seront peut-être le lien entre nos deux mondes qui sait ? Peut-être que notre existence sera révélée et que nous trouverons la paix nous enrichissant mutuellement de nos différences ?
Elle songe à la manière dont les siens ont fini par accepter l'humain qu'elle a choisi une fois la peur passée et elle espère qu'il en sera de même pour leurs enfants. Pourtant, elle a compris il y a longtemps que la société des hommes moins libre et plus codifiée que celle des sirènes est un obstacle majeure à la tolérance nécessaire à cette entente.
- On me dirait créature du diable si on savait. Alors qu'un être n'est pas fondamentalement bon ou mauvais, nous avons tous en nous du bon et du moins bon, c'est un choix de vie, une manière de répondre aux aléas de la vie. Mais je souffre de ne pas pouvoir me montrer telle que je suis, de devoir faire attention à ce que je fais ou dis en permanence. Il faut croire que ma nature profonde ne se fondra jamais réellement dans la société humaine.
- Le monde est ainsi, mon amour, tu le sais bien. Nous ne pouvons pas refaire le monde à nous deux, seulement tenter de le rendre un peu meilleur. Et d'être heureux dans nos petites vies tranquilles tous les deux. Tes cheveux ne blanchissent pas ? Tout comme les miens, je commence à m'inquiéter un peu.
- Mon peuple vit bien plus vieux que le tien, peut-être que nous devrions songer à partir loin d'ici...
- Mais j'ai toujours vécu ici, c'est dans ce pays que je suis né, cette terre fait partie de moi, je mourrai de partir loin d'ici tu le sais...
La sirène se mord la lèvre, ils n'avaient pas prévu cette éventualité et ils ont vu les années défiler avec angoisse en se demandant quand ils devraient prendre une décision quant à leur avenir.
- Il y a de petites îles où nous nous cachons, elles sont petites et inhabitées. Nous pourrions y vivre loin des hommes. Et nous ne serions pas loin de chez nous. De toutes façons, ta maison est isolée et battue par les vents, personne ne vient jamais par là.

- Nous avons le temps d'ici là, mon amour des mers. Nous trouverons une solution. Comme toujours depuis que nous nous connaissons.
- Nous avons eu de la chance, je ne sais pas si cela durera. Pourquoi tant d'intolérance de part et d'autre ? Nos deux peuples n'ont jamais été en guerre, je crois.
- Pas que je sache... Mais si nous pouvions changer les choses ? Je veux dire... Amener nos deux peuples à se parler et vivre en paix pour nos enfants.
- Et révéler notre existence aux hommes ? s'étonne Melen
- Cela vaut mieux que de rester cachés toute notre vie, non ?
- Et la mer est vaste, les hommes oublient vite...
- Mais par où commencer ? Le curé, il sait pour nous deux depuis le début. Et ici, les gens te connaissent, c' est un début mais comment l'annoncer ?

Main dans la main, ils marchent en bord de mer, les yeux tournés vers l'océan.
- Et comment l'annoncer ? demande la sirène. Et à qui faire confiance ? Et si on me traite de sorcière ?  Nous devrons partir alors que si nous nous sommes rencontrés, c'est que je ne voulais pas partir, tu le sais bien.
- Je crois que nous n'avons pas de solution dans l'immédiat. Mais c'est ce que nous nous disons depuis des années sans trouver de solution et les enfants grandissent, nous sommes responsables d'eux, ils n'ont pas à payer pour notre choix. Nous avons eu cette discussion mille fois, il faut agir. Allons voir le curé, il se fait vieux mais il saura nous aiguiller, j'en suis sûr.
Ils se dirigent vers le presbytère et ils exposent leur problème à l'homme d'église qui les écoute avec attention.
- Melen, vous m'avez dit il y a fort longtemps que votre peuple vit caché loin des hommes et les hommes ont peur des pouvoirs de votre peuple mais vous prouvez que les sirènes ne sont pas des enchanteresses qui envoûtent les marins. Enfin, un pêcheur. C'est un début mais vous prenez un risque mais je dois pouvoir éteindre l'incendie. J'en parlerai dimanche lors de mon prêche, on m'écoutera.

  Nerveuse, ce dimanche-là, Melen pénètre dans l'église. Depuis longtemps, les gens de l'endroit ne regardent plus avec curiosité l'étrangère qui n'a jamais dit d'où elle venait ni ce qu'elle fuyait. Et après avoir animé les conversations durant des années, on a fini par la considérer comme une habitante comme les autres.
L'homme d'église par le longtemps du peuple de la mer et les yeux se tournent avec insistance vers Melen qui baisse la tête. Des murmures emplissent la petite église mais on écoute religieusement l'homme qui parle d'une voix calme.
- Le peuple de la mer a repeuplé nos côtes et ils aspirent seulement comme nous tous à vivre en paix comme ils l'ont fait depuis toujours. Ils ne constituent pas une menace pour notre communauté et je crois que nous pouvons sceller une entente avec eux.
Le cœur serré, la sirène écoute les murmures parcourir l'assemblée. Puis les notables de la ville prennent la parole les uns après les autres pour se déclarer ouverts à une entente car s'ils ont ignoré la présence du peuple marin, c'est qu'ils ne sont pas hostiles aux humains. A sa suite, les habitants se rendent au bord de la mer et ils attendent en silence. Melen hésite puis elle se glisse dans la mer avant que Morgan la retienne et elle chante un chant de paix. Des têtes surgissent des flots et le peuple des sirènes vient à la rencontre des humains dans l'espoir de sceller une paix durable entre les deux peuples.

La dernière sirène Chapitre 7

  Le dieu Lir se promène sur le rivage et il écoute la rumeur du vent. Une sirène vit là avec un  humain. Il voit leurs enfants batifoler dans l'eau, leur queue de poisson battant l'eau dans des éclaboussements d'eau et des éclats de rire. Il se mêle à son ancienne communauté qui a prospéré et s'est jointe à une autre communauté sur la côte anglaise. Il se glisse parmi eux, chuchotant ça et là. Il parle d'une rumeur disant que de l'union d'une sirène et d'un humain, quatre beaux enfants sont nés, vivant sur la terre et dans l'océan sur la plage qu'ils ont quitté des années plus tôt. Intrigués, un groupe est mandaté pour aller voir et ils observent un long moment la sirène et le pêcheur nager dans les vagues houleuses de ce jour de tempête. Cachés derrière un rocher, ils observent longuement les enfants en discutant à voix basse de l'attitude à adopter.

- Melen! crie l'un d'eux en quittant le groupe.
Le cœur battant, la sirène se retourne à ce cri et ses yeux s'arrondissent.
- Pesk ! Comme tu as changé !
Les deux sirènes se jettent dans les bras l'un de l'autre en larmes.
- Vous êtes revenus par ici ?
- Oui, une rumeur disait qu'une sirène vivait toujours ici.
- Oui, je suis restée et... Je me sentais si seule. Où êtes-vous allés ?
- De l'autre côté, en Angleterre. Nous y avons été bien accueillis. Nous sommes quelques-uns à être revenus.
Les larmes se mêlent au sourire de la sirène.
- J'ai toujours su que vous finiriez par revenir.
- Où vis-tu ?
- J'ai longtemps vécu seule dans une grotte et je vis, je vis avec mon mari et mes enfants. Dans une maison de pêcheurs.
- Parmi les humains ?
Interloqué, son ami la regarde avec des yeux ronds.
- Oui, il est venu me voir à plusieurs reprises et il m'a convaincue de le suivre. Pour moi, il est allé voir un puissant sorcier au loin et nous pouvons prendre forme humaine ou sirène à volonté. Mais nous devons rester discrets, il est le seul qui connaît notre existence.
- En espérant qu'il en reste ainsi.

- Tout va bien ?
Melen manque pousser un cri en sentant deux bras l'enserrer.
- Tu m'as fait une de ces peurs.
- Et à moi donc ! Tu ne revenais pas alors, j'ai commencé à m'inquiéter.
Puis Morgan lui murmure plus bas à l'oreille :
- Tout va  bien ?
- Oui, quelques membres de ma communauté sont revenus s'établir dans les parages.
Les traits du pêcheurs se crispent et il déglutit avec difficulté. Un silence s'installe que l'homme ne se décide pas à briser. Il inspire profondément avant de se décider à poser la question qui lui brûle les lèvres.
- Tu comptes les rejoindre ?
Son cœur bat dans sa poitrine à lui briser les côtes et il ne se rend pas compte qu'il serre la femme un peu trop fort contre sa large poitrine.
- Tu me fais mal...
- Pardonne-moi.
- Je ne sais pas. Peut-être lorsque j'aurais fini les tâches ménagères en attendant que tu rentres de la pêche les jours où je ne viens pas avec toi pour m'occuper de la maison.
- Deux jours par semaine sera-t'il assez ?
- Je ne sais pas. La mer me manque, tu sais ?
- Je sais... Mais je croyais que je serais une raison suffisante pour t'en éloigner un peu.
- Et le dimanche comme nous ne travaillons pas, il doit être possible de trouver quelques heures pour rejoindre la mer comme c'est déjà le cas.
- Cela te suffira-t'il ?
La sirène rougit, confuse de l'aveu qu'elle va faire.
- Tu te doutes bien que les jours où je reste à terre, une fois mes tâches accomplies, je rejoins la mer en guettant ton retour.
- Tu ne me l'avais jamais dit...
- Tu ne m'as jamais posé la question.
- Je sais, elle m'a brûlé les lèvres maintes fois mais je n'ai jamais osé la laisser les franchir. Je ne pourrai pas t'empêcher de les rejoindre, tu le sais. Si... si cela devait arriver, préviens-moi.
- Je sais, nous avons passé un accord, il y a des années de cela.
- Et il tient toujours.

 Pesk fait mine de ne pas entendre leur entretien et il observe autour de lui. Rien ou presque n'a changé et il regrette de ne pas être revenu plus tôt dans les parages.
- L'endroit est sûr, à ton avis ? se hasarde-t'il à demander.
- Je ne sais pas. Je veux dire... La grotte où nous vivions passe toujours pour hantée. Je crois que ceux qui nous ont dérangés étaient des naufrageurs qui cherchaient un lieu où entreposer un trésor ou quelque chose comme ça.
- Pourquoi n'êtes vous pas revenus avant ?
- Nous avons trouvé à nous établir et une rumeur a circulé comme quoi une sirène vivrait toujours dans les parages. Et les hommes de l'endroit parlent de nous, nous nous sommes montrés imprudents.
- Vous reviendriez vous établir par ici ?
- Il y a les grottes sous-marines qui nous semblent plus sûres que celles près de la côte. Mais nous serons toujours sous l'eau sans pouvoir choisir et on ne sait jamais, la possibilité de rejoindre la terre ferme en cas d'attaque de prédateur est essentielle à notre survie.
- Je sais... murmure Melen.
- Et l'île des trépassés ? Personne n'y vient jamais, on la dit hantée par les âmes des prisonniers qui y ont passé leur vie dans cette prison naturelle à la merci des uns des autres. Je ne suis pas moi-même certain que rien de dangereux ne s'y trouve mais elle est loin de la côte et les bateaux prennent toujours soin de passer au large. L'intérêt de cette île, c'est qu'un mur a été construit tout autour pour l'isoler du monde extérieur pour faire pression psychologiquement sur les prisonniers. Le mur s'est effondré par endroit mais la majorité reste debout. J'ignore s'il y a des grottes sous-marines ou quelque chose dans le genre mais vous seriez à l'abri du regard des hommes et vos chants passeraient pour les chants des prisonniers morts là-bas. dit Morgan qui se décide à se joindre à la conversation.
La sirène le regarde un moment cherchant le piège avant de reprendre la parole :
- Merci, humain, j'irai voir moi-même ce qu'il en est mais si tu dis que personne n'y vient jamais, cela pourrait nous permettre de revenir. Qu'en dis-tu Melen ? Tu connais les hommes et leurs habitudes mieux que moi...
- Je ne sais pas, mais si les hommes croient ce lieu hanté en restant discret notre espèce pourrait y trouver la paix.
- Entourée de murs... conclut Melen. Et si on nous voit et que nous sommes attaqués ? Nous serons coincés. Il faudrait des ouvertures en profondeur, très en profondeur. Je crois qu'on dit qu'il y a des tunnels sous-marins sous cet endroit.
- Nous pourrions tenter de nous y établir pour voir. J'imagine que tu ne rentres pas avec nous ?
La sirène hésite mais elle a choisi un humain et elle ne peut revenir en arrière.
- Non, ma vie est sur terre. dit-elle avec une pointe de regret dans la voix.

- J'ai vu quelque chose bouger. dit Melen en entraînant son époux dans l'océan.
Ils plongent et ils émergent à bonne distance pour observer ce qui se passe.
- C'est un des tiens ? questionne le pêcheur.
- Je ne sais pas, je ne vois rien mais j'entends des voix et avec le vent, il est difficile de se faire une idée.
Ils attendent un long moment mais la voie semble libre.
- Nous pourrions sortir ailleurs ?
- Et nos vêtements ?
- Ou nous attendons la nuit pour  rentrer... souffle l'humain avec une grimace.
Enlacés, ils restent un long moment à observer autour d'eux sans rien voir et ils ont beau écouter, ils n'entendent que le vent. Main dans la main, ils nagent sous l'eau jusqu'à atteindre le rivage mais tout est calme. Ils s'habillent rapidement et ils remontent sur le chemin
- Nous avons été imprudents... dit la jeune fille alors qu'ils rentrent chez eux.
- Je sais, nous avons été fous de ne pas attendre la nuit. Le curé m'a dit qu'il voulait te parler.
Surprise, Melen se tourne vers lui et ses yeux bleus se voilent d'inquiétude.
- Je ne pense pas qu'il te veuille du mal, c'est un homme bon. Il veut peut-être te connaître un peu mieux...

  Tremblante, la sirène pousse la porte du presbytère et lorsque l'homme lui sourit, elle se rassure sous son regard bienveillant.
- Je voulais vous voir pour une question qui me taraude depuis des semaines. Asseyez-vous donc.
Elle s’exécute et elle attend qu'il lui expose l'objet de leur entretien.
- J'ai pris le temps de faire quelques recherches et d'après ce que j'ai lu, les sirènes n'auraient pas d'âme et je crains pour le salut de la vôtre...
- Mes croyances ne sont pas les vôtres, vous le savez fort bien et elles n'ont pas changé.
- Il ne s'agit pas de cela mais c'est une déformation professionnelle qui me fait m’inquiéter. Néanmoins, je me demande si votre espèce est dotée ou non d'une âme.
Elle réfléchit un long moment avant de répondre qu'elle n'en a aucune idée mais qu'elle ne croit pas que les animaux ou les plantes soient foncièrement bons ou mauvais. Et qu'elle croit que ce n'est pas la nature d'un être mais ses choix qui font la valeur d'une âme.
- Dans les contes, on dit que  les sirènes n'ont pas d'âme mais comment savoir ? dit l'homme.
- Comment savoir, en effet... dit Melen en souriant.



  Dans la grotte où vivent les sirènes, Melen retrouve avec plaisir l'atmosphère des jours d'autrefois. Elle se tourne vers Morgan qui est en grande conversation avec une sirène qu'il ne connaît pas. Il lui sourit et il cherche quoi faire pour se donner une contenance.
- C'est toi l'humain ? demande un jeune homme aux cheveux d'un rouge flamboyant.
- Oui, je...
- C'est la première fois que nous voyons un humain de près, enfin si on peut dire... dit-il en regardant sa queue de poisson argentée.
- Je ne suis guère différent de vous grâce à un grand sorcier sauf que je vis à la surface la plupart du temps.
- On dirait bien, en effet. Tu ne sembles pas constituer un danger pour nous. Je veux dire qu'elle ne t'aurait pas choisi si tu n'en valais pas la peine. dit la sirène en nageant autour du pêcheur qui se sent mal à l'aise mais le regard de son interlocuteur semble plus curieux qu'hostile.
Des voix emplissent la grotte et Morgan tourne la tête pour voir ce qui se passe. Un chœur s'est installé  au centre du groupe et il chante une chanson dont il ne comprend pas les paroles mais les notes cristallines l'enchantent. Il se souvient de la voix de Melen lorsqu'elle chante et il se dit que la voix des sirènes doit être plus aiguë que celle des humains pour mieux se propager dans l'eau.
- C'est pour cela que le chant des sirènes nous semble si beau, il est inhumain car il n'est pas fait pour se propager dans l'air mais dans l'eau. se dit-il.
Le jeune homme observe autour de lui curieux de mieux connaître ce peuple qu'il ne connaît que par ce que lui a dit son épouse.
- Viens, allons danser. dit la sirène en le prenant par la main.
- Je ne sais pas danser sous l'eau. s'insurge le pêcheur.
La sirène rit en l'entraînant à sa suite.
- Laisse-toi faire, je vais te guider, tu verras, l'apesanteur permet de se mouvoir différemment.
Le jeune homme se sent flotter et il laisse la sirène le faire monter à haute vitesse vers la surface. Mais juste avant de l'atteindre, elle amorce un virage pour le ramener vers le fond de la mer.
- Tu vas trop vite...
- Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer. rit la jeune femme.

  Enlacés, ils tournoient un long moment ballottés par les flots. Melen se dit que c'est cela le bonheur et que tout est parfait pour la première fois de sa vie. Elle lève la tête vers Morgan qui lui sourit et elle dépose un baiser sur ses lèvres avant de poser la tête sur son épaule pour se laisser bercer par la danse.

La dernière sirène Chapitre 6

- Tu sembles préoccupée...
- Ce n'est rien. répond Melen en séchant ses larmes.
- Tu es sûre que ça va ? lui demande Morgan en s'asseyant auprès d'elle sur le tapis de la pièce principale. Tu es glacée, tu frissonnes. Serais-tu malade ? dit-il en se levant pour aller chercher une couverture pour l'envelopper.
Face à son silence, le pêcheur s'inquiète, il l'attire dans ses bras et il la tient serré contre lui en attendant qu'elle se décide à parler. Enfin, la sirène se confie.
- J'attends un enfant. Et j'ignore s'il sera humain ou sirène.
Interloqué, Morgan la serre plus fort contre lui et la jeune femme sent ses muscles se raidir autour d'elle. Enfin, il se détend doucement.
- Je suis surpris, je ne pensais pas que c'était possible.
- Mais je croyais que tu avais pensé à cette éventualité...
- Bien sûr mais sans y croire vraiment tant cela me semblait impossible. Bien, normalement, ils seront comme nous à la fois de la terre et de la mer.
- Normalement ? Tu imagines leur vie, ils seront à part tout comme nous et l'idée de leur infliger un tel fardeau m'est insupportable.
- Tout se passera bien, j'en suis convaincu. Si nous fêtions la nouvelle ?
Melen le regarde, hésitante puis elle reprend :
- Tu prends les choses à la légère, tu ne te rends pas compte.
- Je suis conscient que ce sera difficile mais j'ai assez confiance en nous pour être certain que l'on saura les guider dans la vie malgré leur différence.
- Mais si cela se sait ? Les enfants lorsqu'ils sont jeunes n'ont pas conscience de leurs actes par moment, tu le sais.
- Que veux-tu faire, ma chérie ? Nous ne pouvons qu'accepter notre destin.
- C'est vrai. Je vais rester à m'ennuyer, il n'est plus question pour moi d'aller en mer.
- Je peux t'apprendre des chants de marins, tu aimes chanter, ça augmentera ton répertoire. J'ai appris à lire à l'école même si je lis mal et que j'ai peu de livres, seulement des reliques de chez mes parents, cela t'occupera quelques temps. Peut-être que je peux te trouver un livre sur la broderie ou la couture ? Tu pourras préparer l'arrivée de notre enfant...
- Je supposée m'enfermer durant six mois, si je comprends bien ?
- Six mois ? Chez les humains, c'est neuf mois et...
- Disons entre six et neuf mois. soupire la jeune femme.
- Bien sûr que non. Et pourquoi ne pourrais-tu pas aller en mer ?
- La mer peut se montrer violente, tu le sais. Et rapidement, je ne serais plus assez agile pour partir rapidement en cas de danger.
- Comment faites-vous dans ce cas ?
- Une sirène enceinte évite de sortir seule, elle est accompagnée au cas où. Pour fuir rapidement, les autres la tirent après eux si nécessaire, l'eau la porte et elle ne pèse pas bien lourd.
- Etrange technique. sourit le pêcheur en cherchant comment la tranquilliser. Tu sais, il y a bien des façons de profiter de la mer, tu pourrais le faire à la manière des humains en te baignant ou en marchant sur le bord de la plage... Ce n'est que six à neuf mois. Et je viendrais avec toi si tu veux nager sous ta forme de sirène.
Un peu tranquillisée, la jeune femme acquiesce.

Durant les sept mois suivants, Melen se pose beaucoup de questions quant à son choix de vivre sur terre. Bien sûr, son époux est aux petits soins avec elle et elle s'adapte peu à peu à sa nouvelle vie mais chaque jour ou presque, elle fait de nouvelles découvertes. Au fil des mois, elle apprend à tenir la maison, gérer les achats et les comptes, cuisiner et effectuer toutes les tâches nécessaires à la tenue de la maison. Elle découvre également son environnement et elle se mêle à la vie du village. Elle sent les regards peser sur elle lorsqu'elle fait son marché son panier maladroitement tenu en main mais elle fait mine de les ignorer. Chaque soir, elle apprend à lire et à écrire avec son mari qui estime que c'est nécessaire. Des heures durant, elle déchiffre les lettres qu'elle écrit patiemment. Elle a du mal à comprendre pourquoi les lettres imprimées sont différentes des signes qu'elle trace et malgré toutes les explications du pêcheur, elle ne comprend pas. Elle finit par abandonner et elle fait ce qu'il lui demande pour lui faire plaisir et parce qu'il l'a assurée que c'était nécessaire.

Un jour qu'elle est malade, le jeune homme lui ramène des plantes à infuser qu'elle ne connaît pas et elle hésite à approcher l'infusion brûlante de ses lèvres.
- Tu crains que je ne t'empoisonne ?
- Non mais il est vrai que j'ai adopté la nourriture terrestre sans me méfier. J'aurais pu me faire du mal.
Le pêcheur la regarde, il lui avoue ne pas y avoir pensé lui-même.
- Tu as raison, les médicaments terrestres pourraient te faire du mal mais nous nous en rendrons bien compte si cela arrive, non ?
- Oui, normalement, je ne devrais pas m'empoisonner sans m'en rendre compte. sourit-elle timidement.
Le goût ne dit rien à la sirène mais elle boit sans protester.
- Je dois aller travailler, je peux te laisser seule ?
Prise de frissons, Melen resserre la couverture autour d'elle.
- J'avais pensé que tu resterais...
Morgan soupire avant de lui répondre.
- Je dois aller gagner notre vie, nous ne sommes pas riches tu le sais.
- Et si je devais mourir ?
- Mais pourquoi un simple rhume serait-il mortel ?
- Peut-être parce que je ne n'en ai jamais eu auparavant. s'énerve la sirène.
Le pêcheur s'assied à côté d'elle et il la serre contre lui un moment.
- Je dois vraiment y aller, ma chérie. Reste au chaud et tout ira bien, je te le promets. J'ai été malade de nombreuses fois et je m'en suis toujours sorti indemne.
Seule, Melen hésite à rejoindre la mer mais elle se sent incapable de marcher jusqu'à la plage. Elle reste toute la journée à frissonner et à pleurer en attendant le retour de son mari. Le soir venu, elle se jette dans ses bras en pleurant et il la serre longuement contre lui.
- Ca va aller, dans quelques jours, tu seras guérie, je te le promets. Tu as mangé ? Bien, je vais nous faire à manger et je reviens te voir.

Alors qu'il revient avec un bol de soupe et une épaisse tranche de pain beurrée, il s'assied à côté d'elle sur le lit et il hésite un moment à prendre la parole.
- Je me demandais. On dit que vous noyez les marins, est-ce vrai ?
Interloquée, Melen réfléchit un moment avant de répondre.
- Cela ne m'est jamais arrivé. Il paraît que les hommes ne peuvent pas respirer sous l'eau et ton appréhension la première fois que tu es devenu sirène me le confirme. Disons que  nous estimons que si un humain se n’oit, c'est dans l'ordre des choses et nous n'avons pas à risquer nos vies pour le sauver. Toutefois, nous ne restons pas insensibles et nous le secourons lorsque nous estimons qu'il a une chance de survie. Nous l'aidons à rejoindre la surface mais parfois, alors qu'il est presque trop tard pour lui, nous le retenons et nous lui donnons un baiser qui le transformera définitivement en sirène. Mais nous ne le faisons que rarement, je veux dire, qui sommes-nous pour décider qui doit vivre ou mourir, même qui va vivre ou mourir ? Et pour décider à sa place qu'il devra quitter sa famille et tout ce qu'il connaît ?
Le jeune homme ne répond rien, il reste songeur un long moment et la sirène se demande s'il n'espérait pas une autre réponse.
- Pourquoi si vous les sauvez, dit-on que vous les noyez ?
- On dit qu'ils refusent souvent notre baiser et nous ne les forçons jamais même pour sauver leur vie. De plus, les hommes ont une survie fort courte dans l'océan et souvent nous arrivons bien trop tard. Et puis le risque est grand pour nous, on peut nous voir ou nous tuer si on nous voit approcher du marin. Parfois nous nous contentons de pousser l'humain vers la surface mais comme je l'ai dit, il est souvent déjà trop tard. Vous êtes des créatures fragiles hors de votre environnement naturel. Et ils ne nous entendent pas sous l'eau.
Elle sourit et Morgan lui rend son sourire, pensif.

- Mais dans ce cas, d'où peuvent bien venir ces croyances, je veux dire qu'elles ont presque toujours un fond de vérité...
- Je me suis souvent posé la question. Chez les sirènes, on dit que les hommes nous tuent lorsqu'ils nous voient et que vous êtes dangereux. Mais tu n'es pas dangereux, du moins, tu ne l'es pas avec moi.
- Peut-être que des sirènes ont tenté de sauver des marins et qu'on les a vues.Et puis, si certains ont été sauvés, rien ne dit qu'ils se souviennent de ce qui est arrivé ou qu'ils aient seulement compris ce qui s'est passé trop heureux d'être encore en vie.
Pensive, Melen ne dit rien.
- Je crois que certains ont été sauvés et qu'ils ont livré leur interprétation de ce qui s'est passé. continue le pêcheur.
- Sans doute mais quelle importance a tout cela ? demande la sirène. Pourquoi cela t'intéresse-t'il soudain ?
Le pêcheur sourit, un peu surpris et il la regarde intensément.
- Rien, je voulais seulement en savoir plus sur toi, j'ai rassemblé mes connaissances sur le sujet, c'est tout. Et il serait dommage de ne pas te demander ce que tu en sais car tu es la mieux placée pour le savoir.
Peu convaincue, Melen acquiesce sans rien dire.

 Une semaine plus tard, Melen décide de se rendre en ville seule alors que le pêcheur est au travail. Elle a peur mais elle sait qu'elle ne peut passer son temps enfermée et qu'elle doit affronter le monde où elle a choisi de vivre. Elle s'habille du mieux qu'elle le peut et elle s'observe dans le miroir durant de longues minutes en se demandant si elle ne suscitera pas de moqueries et si elle a bien fait de choisir cette jupe rose et un corsage rouge à dentelle. Elle n'est pas certaine que les deux couleurs s'accordent mais elle hausse les épaules et elle jette un châle sur ses épaules avant de sortir. Elle regarde l'océan qui lui fait face un long moment et elle se promet de se dépêcher pour avoir le temps de rejoindre la mer avant le retour de son mari. Elle suit le chemin un long moment et elle tourne sur elle-même pour se repérer sur le chemin du retour. Lorsqu'elle arrive dans le bourg, elle essaie d'ignorer les regards posés sur elle et elle se retient à grand peine de rectifier sa tenue.
- Il est trop tard pour cela alors arrête, tu sais que ça ne sert à rien.
Elle se force à sourire et elle marche au hasard en observant autour d'elle, elle cherche à en apprendre le plus possible sur la vie des hommes et elle prend note de l'usage qu'elle devine aux objets qui l'entourent de toutes parts. La jeune fille contemple un long moment les édifices de pierre car elle a compris que les bâtiments les plus précieux ou les plus importants étaient faits de cette matière et plus ornementés. Elle en déduit que le cœur du village a plus de valeur que les faubourgs environnants. Elle sent les regards peser sur elle et les chuchotements à son passage alors elle renonce et elle rentre rapidement dans la maison du pêcheur pour attendre son retour.

- Tout va bien ?
- Je m'ennuie, je ne connais personne. Je veux dire avant j'étais seule mais je le savais, je veux dire que je n'espérais pas que ma situation change mais maintenant, c'est différent.
- Je suis souvent en mer, c'est vrai. Termine de manger rapidement, j'ai une idée.
Intriguée, Melen termine rapidement sa soupe et après une rapide vaisselle, les deux jeunes gens sortent
- On va où ?
- Tu sais, les femmes des autres pêcheurs aiment bien se réunir le soir au coin du feu pour coudre, tricoter ou faire... des activités de femmes.
La sirène fait la moue.
- Je ne comprends pas ce que signifie des activités de femmes. Chez nous, il n'y a pas de réelles distinctions dans les rôles selon le genre.
Désarmé, le pêcheur sourit.
- Sur terre, ce n'est pas tout à fait pareil. Du moins, ici. Je crois que c'est comme ça depuis toujours ou presque.
- Mais ce partage des tâches ne se fait pas en fonction des compétences et des affinités de chacun ?
Le jeune homme secoue la tête sans répondre, il n'avait jamais vu les choses sous cet angle.
- Je peux toujours essayer, ça me changera les idées et je me ferai peut-être des amis.

Le soir venu, les hommes vont boire à la taverne et après un rapide baiser, Morgan laisse sa femme avec les autres épouses des pêcheurs, un peu inquiet.
Mais elle lui a fait comprendre qu'elle doit apprendre à se débrouiller seule.
- Bonjour, je suis Melen, la femme de Morgan, puis-je me joindre à vous ?
Les yeux se lèvent vers elle et on lui fait place sur les bancs autour de la table de bois grossier poli par les ans. Elle sent les regards peser sur elle et une femme de son âge ouvre la bouche lorsque sa sœur jumelle visiblement lui murmure qu'elle est amnésique et qu'il est inutile de l'assommer de questions.
La sirène regarde autour d'elle, elle voit les mains des femmes s'agiter pour coudre, raccommoder, tricoter et elle croise les mains sur ses genoux. Elle n'a pas amené d'ouvrage pour s'occuper et elle se contente d'écouter les conversations qui parlent des derniers ragots à propos de personnes qui lui sont inconnues. La soirée passe lentement et Melen hésite à rejoindre la mer mais elle se dit que son mari le prendrait sans doute mal. La nuit est tombée depuis longtemps lorsque les hommes reviennent parfois fort éméchés. Le regard suppliant que la jeune femme lève vers lui décide le pêcheur à écourter la soirée. Enfin seuls, ils marchent main dans la main dans la nuit.
- Tout s'est bien passé ? se risque enfin à demander Morgan.
- Je ne me suis ennuyée, je ne savais ni quoi dire ni quoi faire. Je ne me suis pas sentie à ma place, je...
Les larmes montent à ses yeux et le jeune homme a tout juste le temps d'ouvrir les bras pour la recevoir contre sa poitrine.
- Je suis désolé, j'avais pensé... Mais il est important que tu t'entendes avec elle, on ne sait jamais, je n'ai pas de famille mais les femmes de pêcheur seront là si je ne le suis plus. Je vais t'apprendre à coudre, tricoter, lire et tout ce qui pourra t'occuper. Peu à peu, tu t'intégreras à la terre et tu pourras te mêler aux conversations.
- Je l'espère... murmure la jeune femme nichée contre lui.
L'homme déglutit en fermant les yeux, le cœur serré de douleur, il sait que si elle ne trouve pas sa place en ce monde, elle retournera à la mer sans lui. Mais il se dit que c'est peut-être la meilleure solution pour eux avant de se rappeler qu'ils seront seuls face à la nature hostile.

La dernière sirène Chapitre 5


  Dans la petite maison, elle observe autour d'elle assise sur le tapis de la pièce principale.
- Où vis-tu d'ordinaire, tu as un abri quand il y a de la tempête ? demande le pêcheur les sourcils froncés et visiblement inquiet.
La sirène le regarde et elle cherche à deviner la cause de son malaise sans succès.
- Il y a quelques grottes sous-marines au large.
- Mais tu n'es pas une fée des houles ou quelque chose comme ça...
- Je ne sais pas ce que c'est.
- Une fée qui vit dans des cavernes... Elles ont des pouvoirs magiques.
- Je n'en ai jamais entendu parler. dit la sirène d'une toute petite voix en continuant à observer les objets inconnus qui l'entourent. Et je n'ai pas de pouvoirs.
- Si ce n'est celui de voler le cœur des marins...
A ces mots, Melen sourit faiblement et elle lui répond que ce n'est qu'une réputation sans fondements.
De temps en temps, elle prend en main un objet et elle le repose aussitôt, intimidée. Patiemment, Morgan tente de lui expliquer de son mieux son utilité et la manière de s'en servir.
- Tu as froid. Pardon, j'avais oublié.
Il va chercher une couverture dont il l'enveloppe. Elle serre l'étoffe contre elle qu'elle caresse un long moment en essayant de comprendre comment est fait le tissu mais elle n'ose pas poser la question et elle se tait.
- Je ne sais pas ce que tu manges, j'ai fait de la soupe de poisson, j'ai pensé que cela te plairait. Mais j'ai peut-être eu tort, ça se mange chaud et je doute que tu connaisses cette sensation.
Muette, la jeune fille ne répond rien et elle se contente de secouer la tête latéralement pour signifier son ignorance. Lorsque le jeune homme revient ses bols à la main, elle renifle longuement le liquide avant de tremper son doigt dans le récipient pour examiner la mixture de plus près. Puis, elle se décide à goûter avec prudence le breuvage qui semble lui plaire après avoir observé comment le jeune homme utilise son bol.
- Qu'est-ce que c'est ?
- De l'eau dans laquelle j'ai fait longuement cuire les poissons. Cuire sur le feu. Avec des légumes.
- Je connais le feu, un peu mais je n'en ai jamais vu de près.
- Viens avec moi. dit le jeune pêcheur en lui tendant la main.
Dans la cuisine, Melen observe l'âtre où le feu crépite. Elle approche sa main pour sentir sa chaleur , sensation qu'elle ne connaît que par le soleil les jours d'été. Cette sensation délicieuse l'intrigue et elle reste un moment à laisser sa main au-dessus de l'âtre jusqu'à ce que Morgan la prenne d'une voix douce.
- Tu vas finir par te brûler et la soupe va refroidir. Tu manges quoi dans la mer ?
- Des algues et des coquillages. Parfois du poisson mais c'est plus rare. Il y a suffisamment de nourriture à portée de main pour nous éviter de partir en chasse. Nous n'avons jamais été nombreux dans cette partie de la côte.
Emue, Melen pleure en silence et le pêcheur feint de n'avoir rien remarqué, ne sachant comment la consoler. Bientôt, elle sèche ses larmes et elle interroge son hôte.
- Tu n'as pas de famille ?
- Mon père était pêcheur comme moi, la mer l'a pris. Ma mère est morte de chagrin peu après. J'avais un frère de cinq ans plus âgé qui s'est noyé en mer et je crois que le cœur de ma mère s'est brisé à la mort de mon père. Cette partie de la côte est battue par les vents et on n'y accède que par un petit chemin escarpé. Nous sommes isolés, ce coin n'intéresse personne ; je vis seul mais je vais souvent au village le dimanche pour danser et m'amuser. Et aller à la messe quand le curé vient. Et toi ? Tu as une famille ?
- Non, non, je suis seule.
De nombreux mots ne disent rien à la jeune fille mais elle n'ose pas l'interroger, elle sait qu'elle finira par découvrir de quoi il parle. Le silence de Melen qui ne cesse d'observer autour d'elle met Morgan mal à l'aise et il la ramène à la table où il partage une pomme avec elle. Elle observe longuement le fruit avant de se décider à croquer dedans.
- Cette pomme est un fruit qui vient d'un arbre du jardin, je te montrerai tout à l'heure. Et aussi le potager d'où viennent les légumes que j'ai utilisé pour faire la soupe, j'imagine que tu ne sais pas ce que c'est.

  Après, une rapide visite au jardin sous le clair de lune, il finit par déclarer qu'il est temps d'aller se coucher pour briser le silence pesant qui règne.
Dans le débarras aménagé, le pêcheur explique du mieux qu'il peut à la sirène à quoi servent les objets de toilette qu'il a mis. Il l'aide à se changer, rougissant lorsqu'il lui désigne la chemise de nuit qu'il a cousu dans un vieux drap, se promettant d'aller acheter quelques vêtements à Melen dès le lendemain. Plus tard, couchée dans le lit, la sirène écoute les bruits de la nuit, elle en reconnaît quelques uns et elle s'endort avec le bruit de la mer qui provient de la plage qui la berce.
Seul dans sa chambre, Morgan se demande s'il n'a pas fait une erreur en ramenant la sirène chez lui, elle semble si perdue qu'il s'interroge sur le fait qu'elle puisse s'adapter à la vie terrestre. Puis il s'endort, épuisé. Elle pourra toujours retourner dans la mer si elle le souhaite, lui brisant le cœur à jamais.

  Le lendemain, le pêcheur se lève tôt, inquiet de voir la sirène partie durant la nuit. Il reste un long moment l'oreille collée à la porte de sa chambre mais il n'entend rien. Pourtant, il n'ose pas l'ouvrir pour s'assurer de la présence de la jeune fille. Une fois le petit-déjeuner et le repas du midi prêts, il songe qu'il ne peut repousser le moment fatidique et il toque à la porte avant d'ouvrir prudemment la porte. Melen s'est assise sur le lit à son entrée et elle le regarde sans rien dire.
- Je ne savais pas si tu dormais et comme tu ne répondais pas... Bref, je dois aller travailler pour gagner notre vie. Je resterai la majeure partie de la journée en mer puis j'irai au marché où j'irai vendre ma pêche du jour. Mais demain, je rentrerai tôt, je te le promets. J'ai laissé de quoi manger sur la table de la cuisine pour toi pour ce matin et ce midi, tu n'as pas besoin de le réchauffer. Il y a aussi de l'eau pour boire et te laver. J'espère que tout ira bien pour toi ?

  La sirène acquiesce, elle retrouvera la mer aussitôt que le pêcheur aura passé la porte. Ce dernier, inquiet de la laisser seule, l'embrasse longuement avant de la serrer dans ses bras et quitter la maison. Son cœur se serre à l'idée qu'elle soit retournée à la mer à son retour sans un adieu mais il doit gagner sa vie. Il se demande si le pain et le fromage qu'il lui a laissé lui plairont mais il se dit qu'il  ne peut faire mieux pour le moment et qu'elle pourra toujours se débrouiller dans la mer ou au pire qu'elle ne mourra pas de faim d'ici à ce qu'il revienne.

  Sur la plage, il retrouve son associé qui le hèle, heureux de le voir de retour au travail. Il lui avait glissé un billet sous la porte avant de retrouver la sirène pour le prévenir de son absence comme lors de son escapade chez l'ermite du Menez-Bré.
- Te voilà de retour ! La pêche a été moins bonne sans toi. Tu viens au fest-noz ce soir ?
- Je ne sais pas. dit-il en regardant son ami.
- C'est à cause de cette fille qui t'a brisé le cœur ? Il y en aura d'autres...
- Je l'ai retrouvée... murmure le jeune homme. Elle est chez moi et je m'inquiète de la laisser seule.
- Tu l'as ramenée chez toi ? Et sa famille ?
- Elle n'a pas de famille et nulle part où aller.
- C'est une vagabonde ?
- En un sens. Je compte bien l'épouser demain si elle veut bien. Viens demain matin avec Yann avec qui nous pêchons parfois, j'irai voir le curé en rentrant chez moi. Et si elle ne veut pas, vous la rencontrerez.
Interloqué, le pêcheur regarde son ami en cherchant à comprendre comment sa solitude l'a amené à recueillir chez lui une vagabonde qu'il connaît à peine et à l'épouser si vite. Mais il ne dit rien, il estime que ce ne sont pas ses affaires.
Le soir venu, Morgan entend la sirène chanter en arrivant sur le pas de la porte. Il sourit avant d'entrer sans bruit et il reste un long moment à l'écouter tandis qu'elle démêle ses cheveux d'or. Devinant sa présence, elle finit par se retourner.
- Je t'ai dérangée... dit le jeune homme, intimidé.
- Non, je t'ai attendue toute la journée et j'avais hâte de te revoir. Tu m'as surprise, c'est tout. Je ne savais pas à quel moment tu rentrerais.
S'approchant à grands pas, il la serre dans ses bras et l'embrasse avec fougue.
- Veux-tu toujours m'épouser ?
- Oui. Mais n'est-ce pas un peu tôt ?
- Demain, je n'irai pas au travail et nous irons trouver le curé qui nous mariera. Je dois juste préparer la noce. Mes amis pêcheurs viendront. S'il devait m'arriver quelque chose, tu n'aurais nulle part où aller ; en tant qu'épouse, tu as un peu de droits, pas beaucoup car je ne possède presque rien mais c'est mieux que rien du tout. Et si tu veux rester sur terre, tu auras une existence légale. Ca va ? Je crains toujours que tu t'ennuies dans la journée.
- Je rejoins souvent la mer après ton départ. Viendras-tu avec moi un jour prochain ?
- Je viendrai. Mais la vie est dure ici et je dois gagner notre vie.
- Je le sais, tu me l'as dit.
- Je ne sais pas en quoi tu crois, je veux dire si tu crois en un dieu, une divinité. interroge le jeune homme en s'asseyant auprès d'elle, mesurant qu'au fond, il ne sait rien d'elle si ce n'est qu'il est fou amoureux d'elle.
- Je crois seulement en Llyr, le dieu de la mer. Et en Belenos, le dieu du soleil.
- Nous ne croyons plus depuis bien longtemps en ces vieux dieux. Nous avons un dieu unique que nous appelons Dieu, tout simplement.
- Je ne changerai pas mes croyances pour toi.
- Je le sais et si nous avons des enfants, peu m'importe en quoi ils croient tant que leurs croyances les aident à trouver leur chemin dans la vie. Je ne suis pas très croyant ni très pratiquant pour tout t'avouer. Mais quelques fois, il nous faudra aller à la messe, si tu veux bien.
La sirène acquiesce, elle sait qu'elle doit s'adapter à la vie sur terre et faire ce qu'on attend d'elle. Mais le soir venu, Morgan n'en est plus si sûr. Il reste un long moment les yeux ouverts dans le noir en se demandant ce qu'il sait de la sirène et il craint de faire des découvertes qui l'amènent à douter de sa décision. Pourtant, il se dit que si son cœur l'a choisie, il doit lui faire confiance. Et qu'il est trop tard pour revenir en arrière.

Avant que la nuit tombe, ils se rendent dans le jardin où il la laisse à loisir observer les plantes.

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  Le lendemain, le pêcheur emmène la sirène à la ville où il lui achète une robe rouge brodée de fil d'or pour la noce, ainsi qu'une robe du même vert que sa queue de poisson qu'elle s'empresse de mettre et des chaussures de cuir noir. La longue robe la gêne un moment mais elle finit par s'amuser de la sentir battre ses chevilles qui se font bientôt douloureuses, peu habituées à la marche. Des merveilles l'entourent de toutes parts et elle entraîne le pêcheur au gré de ses découvertes. Amusé, il se laisse entraîner avant de lui rappeler qu'on les attend, il achète de quoi régaler leurs invités avant de regagner leur logis. La sirène le regarde préparer le repas, elle l'aurait bien aidé mais le jeune homme lui répond qu'il n'a pas le temps de lui apprendre à cuisiner et de lui présenter les ingrédients. Mais que plus tard, il le fera.
Morgan chantonne en s'affairant avec des ustensiles que la sirène ne connaît pas et elle l'observe, avide d'apprendre et de découvrir ce monde nouveau. Elle le voit découper les légumes et la viande qu'ils ont acheté au marché et elle se lève pour observer les ingrédients changer de couleur et de texture au fur et à mesure de la cuisson. A plusieurs reprises, le pêcheur prend une louche et il la laisse tâter la viande et les légumes, observer les changements qui s'opèrent dans la nourriture. Il sort du pain et il la laisse goûter le bouillon avec circonspection. Longuement, il lui explique le déroulement de la cérémonie à venir et il l'interroge pour être certain que son choix est fait. Mais la sirène se dit sûre d'elle et le jeune homme veut croire en sa bonne fortune tandis que la préparation mijote sur le feu. Ils mangent en silence avant de se diriger vers la petite église où le pêcheur retrouve quelques connaissances venues pour la noce. Melen à son bras, ils affrontent le vent qui bat la lande et qui décroît à mesure qu'ils se rapprochent du bourg où la sirène observe autour d'elle le lieu où elle va vivre désormais qu'elle n'a pas vraiment eu le temps d'observer à sa guise. Elle voudrait poser des questions mais le pêcheur reste silencieux et recueilli à son côté et elle préfère se taire, elle aura tout le temps pour satisfaire sa curiosité. Elle reste un moment devant la petite église, elle reconnaît la roche de granit qui compose une partie de la côte qu'elle connaît bien mais elle ne comprend pas bien comment ils s'empilent pour former l'édifice mais elle ne dit rien se contentant de garder sa question en mémoire pour plus tard.

  Lorsqu'elle entre dans la petite église, la sirène reste un long moment à regarder les vitraux et les peintures sur les murs, même si elle n'est pas certaine de comprendre toutes les scènes qui se jouent sous ses yeux. Mais les couleurs et la lumière qui passe à travers les vitraux suffisent à la ravir. Le prêtre que Morgan a bien dû mettre au courant de la situation ajoute Melen-Océane Tristana sur ses registres de baptême et de mariage, rappelant le choix de la jeune femme de quitter la mer qui l'a vue naître et lui donnant ainsi une existence légale. La cérémonie est rapide et les quelques invités se pressent pour féliciter les nouveaux mariés avant de rejoindre la maison du pêcheur. Melen ne dit rien de peur de commettre un impair, nerveuse, elle se contente de sourire et d'observer ce qui se passe autour d'elle pour suivre le mouvement.

  Le repas de noces qui suit est frugal et composé de crêpes et de galettes aux produits de la ferme que Melen découvre pour la plupart. Circonspecte, elle tâte longuement les aliments le plus discrètement possible bien consciente des yeux braqués sur elle. Elle n'aspire qu'à retrouver la solitude mais elle sait qu'elle a choisi son destin et qu'elle doit surmonter cette épreuve. Les amis de son mari se montrent aimables avec elle mais elle est mal à l'aise dans cet environnement nouveau pour elle, elle observe minutieusement ce qui l'entoure et elle tente de deviner les coutumes. Elle ne sait pas comment se tenir et elle reste assise sur sa chaise en bougeant le moins possible de crainte de commettre un impair. Un coup de coude la fait sursauter et elle tourne les yeux vers son nouvel époux.
- Bois, mais doucement. C'est de la goutte, un alcool fort, il risque de te brûler les entrailles mais nous devons trinquer, c'est la coutume.
 L'odeur ne dit rien à la jeune mariée qui renifle un instant le liquide transparent sous le regard amusé du pêcheur assis à ses côtés.
- Prête ?
Elle acquiesce et elle boit. Bientôt, le feu envahit ses entrailles et elle se sent nauséeuse, elle fuit la salle pour respirer l'air du dehors. Autour d'elle, tout tangue et elle doit s'appuyer au mur de la bâtisse pour retrouver l'équilibre.
- Je t'en ai trop mis, j'aurais dû te prévenir de ne pas tout boire d'un coup ? Ca va ? Respire, l'air frais te fera du bien. Viens dans mes bras, rien ne peut t'arriver tant que je suis à tes côtés.
Melen se niche contre la poitrine de Morgan qui la serre contre lui tandis que le vent de l'océan les malmène. Le jeune homme a froid mais il ne dit rien.
- Je ne me sens pas bien, je voudrais aller dormir.
- Le repas n'est pas terminé, nous devons encore danser.
- Je ne sais pas danser.
- Tu n'auras qu'à me suivre.
Melen se crispe et elle ouvre la bouche pour parler avant de renoncer. Mais les mots sortent sans qu'elle puisse les arrêter.
- Je ne me sens pas à ma place ici, je ne sais pas quoi faire, quoi dire. Tes amis ont l'air gentils mais je ne me sens pas bien ici, je voudrais être seule avec toi.
Une larme perle à ses yeux et Morgan soupire.
- Je te promets d'écourter la soirée autant que possible. Mais c'est notre mariage, on ne te connaît pas, tu comprends ? Tu ne parles à personne.
- J'ai peur de dire des bêtises, je ne connais rien de la vie sur Terre, j'écoute mais je ne comprends le plus souvent pas de quoi on me parle alors je me tais et je souris.
- Je comprends, je suis désolé, j'aurais dû te laisser plus de temps. Mais ce ne sont que quelques heures et ensuite, tu auras tout le temps voulu pour découvrir ce nouveau monde qui s'offre à toi.
La sirène prend la main que le jeune homme lui tend et il rejoint ses amis à quoi il annonce que son épouse est fatiguée et qu'il est temps de servir le dessert. Seule en bout de table, Melen grignote un morceau de crêpe garnie de confiture de mûres de l'an passé en guettant le moment où elle pourra se trouver loin de toute cette agitation. Elle se remémore les saveurs nouvelles qu'elle a découvertes en une seule soirée et elle se demande si la cuisine terrienne est aussi réputée et variée qu'on le prétend. Elle croise le regard de Morgan sur elle et elle se redresse avec un sourire tandis qu'il boit un dernier verre de rhum avec ses amis à l'autre bout de la table. Puis les quelques musiciens de l'assemblée se mettent à jouer et à chanter et les deux amoureux ouvrent le bal avec maladresse sous les rires de leurs amis. Morgan serre la sirène contrer lui, la soulevant presque pour danser.
- Je te promets que je t'apprendrai plus tard à danser. Mais pas ce soir. Je te jure que nous quitterons la fête très bientôt. Tu t'es amusée quand même ?
- Pas vraiment. Tu es resté avec tes amis et je me suis sentie un peu seule.
- Je suis désolé ma chérie, mais je ne pouvais pas rester tout le temps avec toi.
- Je comprends, je ne t'inquiète pas pour ça, mais j'ai trouvé le temps long, c'est tout.
Après trois danses, Morgan entraîne la jeune femme dans son sillage pour enfin la soustraire à cette agitation. Leurs amis leur souhaitent une bonne nuit avec des éclats de rire et ils se retrouvent enfin seuls.
- Viens. Ca va mieux maintenant que nous sommes seuls?
- Un peu mieux. dit-elle en le suivant jusqu'à la chambre où il la tient un moment contre lui, heureux de sentir sa présence à ses côtés et un peu inquiet à l'idée qu'elle choisisse de rejoindre la mer un jour.
- Promets-moi de ne pas partir sans me dire au revoir si tu sens que tu ne peux rester à mes côtés. On dit que les morganez partent sans prévenir un beau jour et on n'entend plus parler d'elle, laissant mari et enfants dans la peine. Je ferai mon possible pour t'aider à t'adapter à la vie sur terre et pour t'expliquer les choses que tu ne comprends pas.
- Je te le promets. dit-elle la tête posée sur son épaule déjà presque endormie.
Avec un sourire, Morgan l'aide à se coucher alors qu'elle est déjà à moitié partie au pays des rêves.

  Le lendemain, ils se rendent au bord de la mer et le pêcheur lui parle des plantes, des pierres et des animaux qu'ils rencontrent. La sirène touche longuement les plantes agenouillée au bord du chemin, elle les hume et elle tente de se souvenir des noms et des propriétés dont lui parle le pêcheur. Un papillon blanc attire son attention et elle observe le vol de l'insecte en essayant de comprendre comment une si frêle créature peut voler sans que ses ailes ne se cassent.

  Le dimanche suivant, après une courte messe à la chapelle où le pêcheur se rend plus par habitude que par conviction, la jeune sirène sent les regards peser sur elle. Ne sachant que faire malgré les explications de Morgan, elle suit tant bien que mal l'assemblée impatiente de voir l'office se terminer.
- Ca a été ? lui chuchote le jeune homme sur le parvis de la petite église.
- Je ne me sens pas à ma place ici. Tous ces regards sur moi.
- Ne t'inquiète pas, c'est normal, on ne te connaît pas au village. Et puis... on ne m'a jamais vu avec une fille à mes côtés. Alors ce mariage précipité intrigue et fait parler, c'est un petit village, les gens ont besoin de distraction.
Melen sourit perdue dans ses pensées.
- Et  après que fait-on ?
- Chacun rentre chez soi manger en famille. sourit le pêcheur en la prenant par la main. Que veux-tu faire cet après-midi ?
Melen ne répond rien et son silence buté malgré les questions de plus en plus pressantes de Morgan n'y font rien. La sirène s'est murée dans le silence et le pêcheur décide de parler d'autre chose. Une fois, la porte de leur logis fermé, il se tourne vers elle, inquiet.
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Je voulais retourner à la mer mais on pourrait nous voir.
- Ce n'est que ça. Il y a sans nul doute un endroit où nous pourrons plonger sans risque. Au bout du promontoire, il y a une sente qui descend jusqu'à un bout de plage si petit que personne n'y vient jamais.
- On pourrait nous voir ?
- Oui mais que verrait quelqu'un qui passerait par là ? Tant que nos queues de poisson restent sous l'eau nous n'avons rien à craindre. Viens avec moi, il n'y aura personne sur la plage, tout le monde est parti manger. A moins que tu n'aies faim ?
La sirène secoue la tête et elle revêt un robe toute simple avant de courir vers la plage en riant aux éclats dans le vent. Le pêcheur la suit du mieux qu'il peut mais il a peine à la suivre. Enfin, face à l'océan, la jeune fille cherche du regard un lieu où abriter leur transformation lorsqu'elle remarque une profonde cassure dans la falaise au pied de la mer et elle court s'y cacher sans se préoccuper de Morgan qui grommelle en la voyant reprendre sa course alors qu'il venait tout juste de la rejoindre. Dans l'eau mouvante, la sirène prononce la formule à voix basse et bientôt, elle se change en sirène. Tout sourire, les yeux levés vers Morgan, elle lui tend la main pour l'aider à la rejoindre dans l'eau. Elle le soutient tandis qu'il prononce à son tour la formule. Surpris, il se sent attiré vers le fond et lorsqu'il sent ses poumons se remplir d'eau, il se débat.
- Ne lutte pas ! lui dit Melen qui lui a pris la main et l'entraîne un peu plus vers le fond.
Les poumons du jeune homme s’emplissent d'eau de mer et vient le moment où il ne peut plus lutter et où il ouvre la bouche pour inspirer de l'air qui est resté en surface. Son pouls s'accélère à la pensée de mourir noyé mais il se rend alors compte qu'il respire tout à fait normalement inspirant et expirant de l'eau de mer sans dommage.
- Tu vas bien ? lui demande Melen derrière lui.
Il acquiesce malgré ses efforts pour lui parler. Il se force néanmoins à articuler quelques mots :
- Le plus dur est fait !
- Viens avec moi, je voudrais voir si quelques uns des miens sont revenus dans les parages comme je le fais régulièrement.

  Main dans la main, ils explorent les grottes et les fonds marins mais ils ne trouvent aucune trace des congénères de la morganez. Après un moment où il s'est vu mourir noyé, Morgan a dû apprendre à se servir de sa longue queue. Puissante, cette dernière l'a propulsé la tête la première dans un banc de sable d'un mouvement mal maîtrisé. Après avoir ri de sa mésaventure, Melen est venue aider le jeune homme à se remettre d'aplomb. Puis elle l'a entraîné vers le lieu où fraient des bancs de poisson qui s'entrecroisent en un lent ballet. Le pêcheur est resté un long moment à observer le lent ballet des poissons d'argent qu'il pêche chaque jour pour se nourrir. Ce spectacle qu'il n'avait jamais espéré voir un jour l'emplit de sérénité et il ne quitte les lieux que lorsque son épouse le prend par l'épaule pour l'emmener plus loin. Le pêcheur s'émerveille de voir les poissons autour de lui nullement effrayés par leur présence mais il a beau regarder autour de lui, il ne voit nulle sirène dans les parages.

- Viens, allons danser.
- Je ne sais pas danser. Et tout le monde va me regarder.
- Ils finiront par s'habituer...
Le pêcheur soupire avant de reprendre.
- Nous sommes dans un petit village où tout le monde se connaît. On ne m'a jamais vu m'intéresser à une fille d'ici et un beau jour, je ramène une jolie jeune fille venue de nulle part que personne ne connaît que j'épouse aussitôt. Les gens se posent des questions, c'est normal, ils s'habitueront à toi. Viens. Que je t'ai choisie ou une autre ne changera rien pour eux, ils auraient fait de même pour n'importe qui. C'est un mauvais moment à passer, fais moi confiance.
Melen lève les yeux vers la main qu'il lui tend et elle la prend pour lui montrer quelques pas de danse. Les lèvres dans ses cheveux, il lui promet que tout se passera bien et qu'il danse tous les samedi soir avec ses amis, il ne se voit pas y aller sans la sirène qu'il aime. Melen se laisse aller contre lui, bercée par le rythme de la danse et heureuse de se trouver dans les bras de l'homme qu'elle a choisi.
A leur entrée, les conversations se taisent et Melen cherche la main du pêcheur qui la serre fort dans sa main puissante qui la rassure. Mal à l'aise, il cherche ses amis du regard et lorsqu'il les voit, il entraîne la jeune fille à sa suite. Les danses reprennent et les deux jeunes gens se placent dans un coin de la salle pour que Melen se familiarise avec les pas et les rythmes qui se succèdent. Puis son mari l'entraîne dans une danse simple sans lui laisser le temps de protester. Maladroite, la sirène s'enhardit au fil des danses et c'est les joues rosies par le plaisir de faire quelque chose dont elle a toujours rêvé qu'elle entraîne le pêcheur dehors pour prendre l'air. Dans la nuit fraîche, la sirène lève les yeux vers les étoiles lorsqu'elle entend parler à voix basse non loin d'eux.
- Il est joli garçon mais trop pauvre pour être un parti acceptable.
- Mais il aurait pu trouver mieux que cette fille que personne ne connaît, sortie de nulle part. Personne ne l'a jamais vue par ici.
- Il a dû la trouver dans un endroit sordide pour qu'elle accepte de vivre dans sa maisonnette loin de tout. Mais d'où peut-elle bien venir ? Ils se sont mariés sans famille et rapidement à ce qu'on dit.
- C'est une fille de mauvaise vie à n'en point douter.
- Et il y a peut-être un enfant à venir dans l'histoire.
- Rentrons danser.
La conversation à voix basse s'est tue et Melen a senti son époux se crisper autour d'elle.
- Qu'ont-elles dit ?
- Ce que tout le monde doit penser tout bas. Que tu es... et bien, le genre de fille qu'on n'épouse pas. Ou que je t'ai épousée pour de mauvaises raisons.
- Je ne comprends pas ce que tu dis...
- Une fille à la mauvaise réputation que j'aurais rencontrée loin d'ici... Ou que nous attendrions un enfant avant même de nous marier.
- Une fille dont personne ne voulait. C'est ce que je suis, personne n'est resté avec moi quand ils sont partis...
- Qu'importe, ils apprendront à te connaître et ils changeront d'avis mais je crois qu'il va falloir leur dire que je t'ai trouvé un soir sur la plage, une naufragée qui ne sait qu'une chose, qu'elle vient de la mer. Cela fera taire les rumeurs et on nous laissera tranquilles. Et surtout, on ne te posera pas de questions auxquelles tu ne saurais répondre. Je pense surtout à nos enfants et ce n'est pas tout à fait un mensonge, n'est-ce pas ? Rentrons, il est tard.
- Pourrons-nous avoir des enfants ?
- Je n'en sais rien, à vrai dire. Mais je pense que oui. Et si ce n'est pas le cas, ce n'est pas grave.

  De retour dans la maisonnette, Melen reste un long moment à une fenêtre, le regard tourné vers la mer. Le pêcheur finit par la questionner et elle lui confie l'objet de ses tourments, si elle ne peut lui donner des enfants, il n'y aura plus la moindre chance de voir des sirènes sur cette partie de la côte à son décès. Morgan croit comprendre qu'elle envisage de revenir à la mer et il tait son inquiétude.
- Mais rien ne dit que ce ne sera pas le cas et qui sait ce que nos enfants choisiront entre la terre et l'océan ? Viens dormir, il est tard.
La jeune fille se blottit contre sa large poitrine et elle reste un long moment à écouter son cœur battre à son oreille. Le pêcheur s'endort et elle n'ose bouger de crainte de le réveiller.

- Je viens avec toi !
- Pourquoi ? Il est tôt, tu pourrais rester dormir.
- J'ai quitté la mer pour toi et tu me laisses seule la majorité de la journée.
- Mais qui va tenir la maison ?
- Tu vas vendre ta pêche au marché et pendant ce temps, je m'occupe de la maison. Je m'ennuie ici et si tu n'es pas avec moi à quoi bon vivre sur terre ?
Le cœur du jeune homme manque un battement, elle a dans l'idée de le quitter et la crainte de rentrer un jour dans une maison vide lui fait de nouveau peur mais il n'en montre rien. Il réfléchit qu'une paire de bras en plus ne serait pas une mauvaise idée mais il craint de voir la jeune femme le fuir. Il conclut qu'il vaut mieux qu'elle parte maintenant si l'envie lui prend et qu'il ne perd donc rien à tenter l'aventure. Ils marchent main dans la main dans la nuit pour retrouver NOM ? qui attend Morgan en fumant sa pipe à petit bouffée en regardant le soleil se lever.
- Bonjour, Melen, c'est ça ? Tu viens dire au revoir à ton mari ? Il reviendra, ne t'inquiète pas.
Intimidée, la jeune fille ne répond pas et elle attend que son époux réponde à sa place, elle ne connaît pas bien les usages sur terre.
- Elle vient avec nous, elle a insisté et qui sait si sa connaissance de la mer ne nous sera pas profitable ?
- On trouvera bien à l'occuper. On y va, on va manquer la marée.
Heureuse de retrouver la mer, la sirène se blottit dans un coin pour ne pas gêner la manœuvre de sortie du port mais rapidement la sensation nouvelle pour elle de voguer sur l'eau la met mal à l'aise. La main dans l'eau, elle tente d'apprivoiser les mouvements du bateau qui tangue sur la mer agitée. Cette sensation nouvelle lui est plaisante et elle regarde autour d'elle heureuse de découvrir la mer comme elle ne l'a jamais vue en se demandant si des sirènes se trouvent dans les eaux au-delà de l'horizon.
- On est arrivés.
Les deux hommes mettent les filets à l'eau et la pêche commence. La jeune fille observe ce qui se passe en silence pour ne pas effrayer les poissons. Un long moment se passe en silence sans que rien ne se passe puis les deux hommes remontent les premiers poissons pris dans leurs filets. Melen les regarde agoniser dans la caisse de bois où ils s'entassent et son cœur se serre mais elle ne dit rien même si elle voudrait dire aux deux hommes d'au moins abréger leurs souffrances.
- Pourquoi en prendre autant ?
- Pour les vendre au marché et nous procurer autre chose tout en offrant à d'autres la possibilité de manger des produits de la mer.
La sirène acquiesce et elle demande comment elle peut aider les deux hommes qui ne savent que répondre. Morgan comprend que son épouse s'ennuie et il se place à son côté pour lui montrer comment s'y prendre. Lorsque les deux hommes jugent qu'ils ont suffisamment pêché, ils se rendent au marché pour vendre le fruit de leur pêche. Melen observe autour d'elle et elle remarque des produits qu'elle ne connaît pas mais elle ne pose pas de question, ses compagnons sont fatigués et ils veulent vendre leurs prises au plus vite. Ils vont voir un poissonnier avec qui ils sont souvent en affaires à qui ils vendent le tout hormis ce qu'ils prélèvent pour eux-même.
- Tu veux quelque chose ? glisse le pêcheur à l'oreille de la sirène. Nous ne revenons pas en ville de sitôt, tu le sais.
- Non, rien, j'ai faim et sommeil.
- Nous allons rentrer, j'achète juste quelques provisions. Tu as dû t'ennuyer...
- C'est vrai.
- Tu pouvais en profiter pour nager...
- J'ai pensé que c'était impoli et je n'ai pas osé.
- La prochaine fois.
- Oui. acquiesce doucement la sirène le cœur serré au souvenir des poissons agonisants dans la caisse de bois du bateau.
Mais au fond d'elle, elle sait que c'est dans l'ordre des choses et qu'elle ne peut rien faire contre ça.

- Combien de temps vivez-vous ?
- Pardon ? demande Morgan alors qu'il arrivent à leur petite maison. Nous vivons en général entre cinquante et quatre-vingts ans, ça dépend. Pourquoi ?
- C'est que nous vivons bien plus longtemps que cela. En général, les deux premiers siècles nous vivons dans l'insouciance et ensuite nous dépérissons.
Le pêcheur semble préoccupé, elle le voit froncer les sourcils.
- Je pense que le moment venu, il nous faudra ou aller vivre ailleurs ou rejoindre la mer. Si nous vivons deux cent ans, nous allons attirer l'attention sur nous, on pourrait nous accuser de sorcellerie ou nous brûler. Nous verrons bien ce qu'il en est... Mais si nos enfants doivent avoir les mêmes caractéristiques que nous et l'ermite du Menez-Bré me l'a dit, nous devons les préparer eux et leurs descendants à cette éventualité. Mais nous avons bien le temps d'y penser, tranquilise-toi, mon amour des mers.
- Cela m'inquiète mais oui, le plus sage sera de quitter la terre le moment venu pour aller vivre dans la mer.

  En son for intérieur, la sirène s'inquiète de toutes ces choses auxquelles ils n'ont pas songé mais elle a confiance dans leur capacité à faire face. Le pêcheur se montre toujours calme et réfléchi ce qui la rassure, il semble prendre les choses comme elles viennent et elle espère que sa nature ne finira pas par le révulser au fil du temps. Cette nuit-là, Morgan se questionne sur son choix de vie mais il arrive à la conclusion que si c'est la seule jeune fille qui a su toucher son cœur, c'est qu'elle est celle qui lui est destinée et qu'ils surmonteront tous les obstacles.

La dernière sirène Chapitre 4

- Qui est-ce ?
Comme toujours, le pêcheur feint de ne pas avoir entendu la question de son ami, occupé à raccommoder un filet en chantonnant.
- Je t'ai suivi l'autre jour et je vous ai vus.
Alarmé, Morgan relève la tête un peu pâle, le cœur battant.
- Et qu'as-tu vu ? demande-t'il du ton le plus naturel possible en se remettant à sa tâche.
- Rien, je t'ai entendu rire avec une fille sur la plage.
- Elle n'est pas d'ici, tu ne la connais pas.
- Va savoir... dit-il avec un sourire malicieux.
Morgan lève les yeux au ciel en songeant au nombre de conquêtes de son ami et il choisit de ne pas répondre. Son ami n'insiste pas et Morgan se remet à repriser son filet, les yeux perdus vers la mer. Il se demande ce que fait la sirène en cet instant et si elle pense à lui.

  Quelques jours plus tard, son ami revient à l'assaut.
- Je t'ai vu avec elle.
Morgan hésite à poursuivre sa route. Les mains dans les poches, il se dirigeait vers la plage lorsqu'il a croisé son meilleur ami qui visiblement l'attendait. Il feint de ne rien avoir entendu et il salue le pêcheur qui soupire.
- Je l'ai vue.
- Quoi ?
- Cette fille qui t'a ensorcelé.
La peur envahit le jeune homme et son visage tanné par le soleil devient livide.
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Arrête, pas de ça avec moi, on se connaît depuis l'enfance, on a toujours été voisins. C'est qui ?
- Une fille bien.
- Mouais, une fille qui reste seule dehors sur la plage à nager  la nuit tombée. Une fille bien ne fait pas ce genre de chose. C'est quoi ? Une fille de mauvaise vie, une fée ?
- Rien de tout ça mais je ne peux t'en dire plus pour le moment. Bonne nuit. dit Morgan en se dégageant de la poigne de son ami qui l'a pris par le bras pour l'arrêter.
- J'espère que tu sais ce que tu fais. Nozvezh vat ! A demain.
- Bonne nuit, à demain.
- J'espère seulement qu'elle ne te brisera pas le cœur. Je ne veux pas te retrouver en miettes comme la dernière fois...
Morgan hausse les épaules et il se fond dans la nuit sous le regard inquiet de son ami. Il marche un moment puis il bifurque vers la lande avec un pincement au cœur, il sait que la sirène l'attend mais il a besoin d'être seul pour chasser l'inquiétude qu'il sent grignoter son cœur. La seule fille qu'il a aimé n'a pas voulu de lui et depuis il reste seul de crainte de souffrir de nouveau.
Le lendemain soir, il rejoint Melen à qui il avoue que son meilleur ami les a vus et qu'ils ne peuvent continuer ainsi.
- Nous devons trouver une autre solution plus durable. Je vais partir, je connais un sorcier très puissant. Mais je serai absent bien longtemps. Tu me fais confiance ? Tu m'attendras ?
La sirène acquiesce et il l'embrasse avant de la quitter.

  Morgan marche durant des jours, voyant dans son prénom un signe du destin et du rôle qu'il a à jouer. Sans famille, il n'a rien à perdre à tenter sa chance et la jolie sirène l'a atteint au plus profond de son âme lui qui dédaigne les filles qu'il connaît depuis toujours en sachant bien que sa future compagne n'est pas parmi elles. Enfin, il va trouver l'ermite du Menez-Bré et il lui expose son cas et son idée. Puis il repart aussitôt qu'il a obtenu ce qu'il voulait, un flacon à la main. Gwenc'hlan a écouté sa requête et l'un des derniers druides de Bretagne a mis tout son talent dans sa potion, refusant d'être payé pour ses services autrement qu'en renseignements sur la créature que le jeune homme lui raconte une  nuit durant autour d'une marmite de soupe épaisse et nourrissante. Lorsque le pêcheur quitte la maison de l'ermite, il lui murmure les mots magiques qui permettent la transformation.

  Arrivé de nuit, le pêcheur se rend dans sa petite cabane solitaire dont il fait rapidement le tour.  Alors, il se rend sur le rivage où la sirène lance au vent une chanson mélancolique dont il ne comprend pas bien les paroles mais qui parle de solitude et d'amours perdus.
- Je suis revenu ! Melen, tu m'entends ? la hèle-t'il face à son manque de réaction.
La jeune fille se retourne et la surprise envahit son visage à sa vue. Inquiète, elle observe les alentours mais elle n'entend que le bruit de la mer, il ne semble pas être venu avec des renforts dans le but de la capturer. Il est entré dans l'eau et déjà, il la serre dans ses bras en l'embrassant longuement.
- Je commençais à me dire que tu ne reviendrais pas, qu'il t'étais arrivé quelque chose en route.
- Je ne te quitterai plus jamais. dit-il avant de boire, craignant de perdre son courage.
Puis comme le sorcier le lui a recommandé, il tend la fiole à la jeune fille qui craint qu'il n'ai ramené un poison mais comme il a bu avant elle, elle se rassure. Elle n'a jamais entendu parler de poison qui diffère entre les sirènes et les humains. Elle va l'interroger mais il lui demande de répéter un mot qu'elle dit sans réfléchir. Lorsqu'elle voit sa queue de poisson se transformer en des jambes et l'humain devenir sirène, elle comprend ce qu'il est parvenu à faire.
- Tu as trouvé ?
Il acquiesce et il la serre contre elle.
- Désormais nous pourrons choisir de vivre sur terre ou dans la mer avec des jambes ou une queue de poisson selon notre envie du moment. Ainsi que tous nos descendants et leurs descendants qui transmettront ce pouvoir à tous leurs descendants pour l'éternité, le grand sorcier que je suis allé voir me l'a assuré. dit-il en serrant Melen contre lui, le cœur battant. S'ils le veulent, la mer se repeuplera sur ces côtes.
La sirène met du temps à comprendre ce qu'il lui dit et elle rit sous la lune.
- J'ai froid maintenant que je suis humaine. Viens !
Elle l'entraîne dans la mer main lui tenant la main pour lui faire découvrir son royaume en rêvant à une mer repeuplée dans un futur lointain si leurs enfants choisissent la mer et non la terre. Et si le vent murmure aux sirènes exilées au loin que cette partie du rivage se repeuple.

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- Viens avec moi ! Tout va bien se passer...
Melen vacille sur ses pieds maladroits et elle laisse Morgan la soutenir sur la plage. Sous ses pieds, elle sent le sable lui chatouiller la peau, sensation nouvelle pour elle. Elle prend appui sur ses pieds neufs en s'appuyant sur Morgan puis elle lui demande de s'arrêter et elle laisse ses doigts de pied s'enfoncer un moment dans le sable fuyant souriant d'amusement sous la lune. A petits pas prudents, la sirène commence à apprivoiser ses jambes et le jeune homme sent ses muscles se détendre sous ses mains. Gêné, il l'aide à se vêtir d'une simple robe bon marché qu'il a acheté au marché ne sachant que choisir devant l'étal de la marchande. Il retournera avec la jeune fille choisir d'autres vêtements par la suite. La robe informe de couleur grisâtre accroît l'aspect fragile de Melen qui semble avoir du mal à s'en accommoder, elle manque de se prendre plusieurs fois les pieds dans les pans de la robe qui lui bat les chevilles alors qu'elle fléchit les genoux dans sa tentative pour marcher. Elle claque des dents et elle frissonne de froid, sa peau toute neuve étant plus sensible au froid que ses écailles de poisson. L'aube pointe à peine et le pêcheur craint que quelqu’un les remarque malgré l'heure matinale. Il ne veut pas l'inquiéter mais malgré tout, il tente de l'entraîner à sa suite tandis que la sirène s'arrête par moment pour observer le décor autour d'elle.
- Nous devons rentrer avant le jour. Vous devez être fatiguée et je ne voudrais pas qu'on se pose des questions à votre sujet.
Elle le regarde un moment, une pointe d'inquiétude dans le regard puis elle laisse le jeune homme la conduire à sa petite maison. Elle peine à marcher et il la porte dans ses bras pour la mettre à l'abri avant le lever du jour.

  Sur le chemin, le cœur battant, la sirène se demande si elle pourra s'adapter à cette vie et elle observe autour d'elle sur le chemin qui la mène à l'abri, elle a compris que le pêcheur a construit sa maison et qu'il ne vit pas dans une cavité naturelle même si elle a du mal à imaginer comment les pierres tiennent ensemble. Mais elle ne pose pas les questions qui l'assaillent et elle observe les plantes battues par le vent qui l'entourent. Elle tend la main pour les toucher et le jeune homme se retourne. Elle sent son regard sur elle et elle s'excuse de le faire attendre.
- Il fait froid, je pense qu'il vaut mieux que nous rentrions rapidement. Mais si tu veux observer les plantes, nous reviendrons demain, je pense que le temps sera beau et moins venteux.
La maison du pêcheur est bientôt en vue et Morgan observe autour de lui pour s'assurer que personne ne les voit, rassuré, il la pousse à l'intérieur pour la mettre à l'abri.
- Ca va ? J'avais peur que tu attrapes froid.

  Le jeune homme la tient un moment contre lui pour la réchauffer et la rassurer. Il imagine sa peur et ses inquiétudes.
- Tu ne regrettes pas ton choix de m'avoir suivi ? Après tout, je suis un inconnu, j'aurais pu vouloir te faire du mal.
Melen sourit et elle relève la tête vers lui.
- J'ai lu au fond de ton âme et si tu avais voulu me faire du mal, tu aurais attendu aussi longtemps ? Je ne pense pas.
Les deux jeunes gens restent enlacés sans rien dire.
- Tu as soif, faim, froid ?
- Non, merci, tout va bien. Je ne sais pas ce que veut dire soif.
- Il est certain que sous l'eau, tu n'en manques pas. Sur terre, quand le corps manque d'eau, la langue et la bouche deviennent sèches pour simplifier. C'est comme ça qu'on sait qu'il est temps de boire avant qu'il ne soit trop tard.
- Et si on ne boit pas ?
- On a de plus en plus mal, la bouche devient très sèche et on finit par s'évanouir. Sans eau, on ne peut pas vivre sur terre, les plantes, les animaux et les humains meurent sans eau.
- Je crois que je comprends.
Le jeune homme réfléchit et il hésite à lui dire la vérité.
- Les humains meurent s'ils boivent de l'eau de mer. Bien sûr, on peut en boire en petite quantité mais à la longue, notre corps ne le supporte pas.
- Vraiment ? s'étonne la jeune fille.
Le pêcheur acquiesce.
- Nos deux espèces sont plus différentes qu'il y parait.

La dernière sirène Chapitre 3

  Chaque soir à la nuit noire, Morgan vient jusqu'à la plage après s'être assuré que personne ne le suit. Ce changement d'attitude est remarqué par ses amis avec qui il ne vient plus boire à la taverne ou chez qui il ne vient plus manger de temps à autre après une dure journée en mer. Sitôt son travail terminé, il rentre chez lui dormir pour s'éveiller à la nuit tombée pour rejoindre la plage. On se moque gentillement de lui en lui demandant s'il s'est fait naufrageur ou s'il a une aventure avec une fille du coin. Le jeune homme se contente de sourire sans réponde, énigmatique, il ne dit rien face aux questions et aux quolibets.

  Ignorant les railleries dont il est l'objet, Morgan retrouve la morganez chaque soir à la nuit tombée. Ils parlent longuement à voix basse, leur conversation se mêlant au bruit des vagues frappant la plage. Puis ils vont nager dans l'eau froide et parfois la sirène se met à chanter sous les étoiles. La sirène est heureuse mais elle sait que cela ne pourra pas durer et elle attend avec angoisse le moment où il l'abandonnera.

  Jour après jour, ils parlent de leurs vies dans deux éléments différents et de leur amour commun de l 'océan. Le pêcheur n'ose pas parler de son métier car il se voit en pilleur des mers et il lui a semblé comprendre que les sirènes ne chassent pas beaucoup de poissons. La sirène ne lui pose d'ailleurs nulle question sur son métier et elle ne semble pas avoir la moindre idée de ce qu'est un métier. Souvent, le jeune pêcheur tremble à l'idée de découvrir quelque chose qui rende leur relation impossible et il hésite à lui poser des questions trop précises même s'il se sait ridicule d'avoir de telles pensées mais il ne peut lutter. Pourtant, peu à peu, il s'y risque car il sait qu'il ne peut espérer un avenir s'il ne connaît pas sa nature profonde. Aussi peu à peu, il commence la questionner sur sa nature et sur son peuple. Il apprend ainsi que la chair de sa queue de poisson n'est pas une chair similaire à celle des poissons mais qu'il s'agit des mêmes muscles que ceux du haut de son corps ce qui lui semble logique et que les écailles de sa queue peuvent présenter toutes sortes de couleurs voire être modifiées pour des raisons esthétiques grâce à certains sables. Le jeune homme est surpris d'apprendre qu'il n'y a pas réellement de royauté dans le peuple sirène et que chaque groupe familial ou qui se regroupe par affinités est autonome. De plus, il n'y a pas de guerre et de différence sociale importante parmi ces communautés. Il tente d'expliquer à la jeune sirène le fonctionnement du monde humain avec les rois, les ministres, les chefs de village, le clergé et le système des impôts. Il devine un peuple heureux et paisible qui lui semble à l'abri des guerres et des maladies bien loin de la vie sur terre qui est bien plus dure entre les guerres, les famines et les épidémies.
- Mais tu n'es pas marié ? demande un jour Melen d'une petite voix.
- Tu me trouves trop vieux pour rester seul ? Je sais qu'on rit de moi au village, un si joli garçon qui reste vieux garçon et qui ne courtise pas les filles de l'endroit. Mais c'est seulement qu'aucune ne m'a jamais plu depuis toujours.
- Je m'étais dit que peut-être tu avais une épouse et des enfants à terre à cause de ton âge, en effet.
- Non et la population du village où je vis ne se renouvelle pas vite, il est rare de déménager. Bien sûr, il y a parfois des fêtes dans des villages voisins ou des voisins qui viennent dans mon village mais je connais plus ou moins tout le monde. Et toi ?
- J'ai aimé un de mes congénères durant quelques mois mais il a préféré suivre mon clan alors que je ne pouvais quitter ces lieux. dit-elle d'une voix triste.
- Pourquoi ne les as-tu pas suivis ? questionne le jeune homme.
- Parce que ma vie est ici.
Le pêcheur ne répond rien, il semble réfléchir et lorsqu'il ouvre la bouche, ses paroles font blêmir la sirène.
- J'ai décidé de me marier. J'ai rencontré une fille qui m'a fait changer d'avis.
La jeune fille tressaille et elle sent son sang quitter ses joues.
- J'en suis heureuse pour toi. marmonne la sirène qui s'est rembruni. Au moins, toi tu as le choix à terre. Tandis que moi...
- Tu as le choix parmi tous les marins que ta voix et ta beauté envoûtent.
- C'est faux ! s'insurge la jeune fille. Pourquoi viens-tu me voir si tu es fiancé ou que tu envisages le mariage ? Si tu en as choisi une autre, dis-le moi et va-t'en.
- Parce que je ne vois pas comment courtiser autrement la jeune fille que je convoite ?
- Qui est ? demande Melen, le cœur battant.
-  Une jolie sirène si elle le veut bien.
- Mais c'est impossible, tu le sais.
- Je vais partir, nous trouverons un moyen. Si tu veux bien de mon cœur et si tu es consciente que je suis un pauvre pêcheur et que je n'ai rien à t'offrir.
- Je n'ai rien à t'offrir non plus, hormis la grotte où je vis dont on peut me chasser à tout moment car je suis sans défense.
Le pêcheur a pris sa décision. Il est tombé fou amoureux de la sirène dès qu'il l'a vue baignée par le clair de lune et il sait qu'il ne peut vivre sans elle. Lui qui n'a jamais rencontré la jeune fille de ses rêves au village malgré son succès auprès d'elles. Il a toujours su qu'elle viendrait d'ailleurs.
- Il y a un sorcier qui vit dans le Menez-Bré, un ermite que j'irai voir, il est réputé très puissant. Je partirai demain et je reviendrai dès que possible, je vous le promet Melen. M'attendras-tu ?
La jeune sirène acquiesce un peu inquiète à l'idée qu'il revienne avec des amis pêcheurs pour la capturer. Ils parlent longuement cette nuit-là et au matin, la sirène regarde le jeune homme s'éloigner certaine de ne jamais le revoir. Leur premier baiser qui a scellé son départ lui laisse une sensation de brûlure amère sur le cœur  et elle chante dans l'aube naissante. La jeune fille imagine son amoureux dévoré par des bêtes féroces ou tombant dans un trou. Elle se rend compte qu'elle ne sait rien de la terre ferme ou si peu et qu'elle a négligé de questionner le jeune homme à ce sujet. Elle se demande quelles questions elle a oublié de poser mais elle sait qu'il est désormais trop tard, elle a fait son choix et il est trop tard pour revenir en arrière. La sirène s'interroge sur la puissance du sorcier dont le pêcheur lui a parlé, elle n'est pas certaine qu'il soit possible de changer leur nature et elle doute de la foi du jeune homme mais au fond d'elle, elle veut croire que l'espoir est permis et elle compte les jours les séparent de leurs retrouvailles. Elle ne peut s'empêcher de douter de son amour et de se dire que tomber amoureuse d'un humain est une folie. Elle se demande ce qu'elle fera si le jeune homme lui apprend qu'ils ne peuvent vivre dans le même élément, elle se retrouvera de nouveau seule et abandonnée ce qui lui sera d'autant plus douloureux qu'elle aura cru toucher le bonheur du bout du doigt.

  Melen avait renoncé à l'amour quand elle a vu toute sa communauté partir pour d'autres côtes loin des hommes qui commençaient à s'approcher un peu trop de leur domaine pour leur garantir la sécurité. Mais elle n'avait pu se résoudre à quitter sa côte natale malgré la solitude qui en découlerait forcément. Toutefois, dans les premiers temps, elle ne désespérait pas qu'une partie de sa communauté  revienne dans ce qui fut leur lieu de vie mais il n'en fut rien. Mais aimer un humain ? Un humain, de ceux qui ont fait fuir ses congénères peut-être ? Une créature qui la chassera, la tuera ou la capturera lorsqu'il saura ce qu'elle est ? Pourtant une part d'elle veut croire à un avenir radieux pour tous deux même si elle sait que ce ne sera pas facile pour eux deux. Tout le jour, Melen se risque à nager sous l'eau en profondeur pour profiter de cette belle journée. Elle sait que si un bateau passe dans les parages, il est possible que quelqu'un la remarque au fond de l'eau alors elle s'enfonce toujours plus profondément dans l'océan malgré les risques de rencontrer une créature dangereuse. Elle regarde autour d'elle avec prudence mais elle ne remarque rien d'anormal. Elle regrette sa solitude, d'ordinaire, ils sortent en groupe pour pouvoir surveiller les alentours mais elle est seule et elle ne peut compter sur personne. Peu à peu, la sirène se détend et elle laisse les courants la bercer, elle se laisse porter par eux par moments et elle flotte à la surface les yeux levés vers le ciel. L'océan la berce lentement et elle regarde les nuages se déplacer dans le bleu du ciel. Elle sait que ce qu'elle fait est dangereux mais elle souffre tant qu'elle a besoin de ce moment de répit qu'il eut mieux valu prendre de nuit mais elle est lasse de ne plus voir son environnement de jour. Elle se redresse et elle reste un moment à contempler la côte au loin. Elle voit les hommes s'activer et elle sourit.
Elle se demande où vit le pêcheur et s'il viendra la voir le soir venu. En effet, ce soir-là, il vient la voir. Le froid est vif et le jeune homme frissonne, il serre la sirène contre lui pour se réchauffer mais il n'y parvient pas. Elle l'entraîne dans l'eau et il nage en claquant des dents.
- Tu as froid...
- Oui et je suis mouillé maintenant. Je suis désolé, je dois rejoindre la plage et me sécher pour ne pas mourir de froid.
- Vraiment ?
- Non, bien sûr que non, c'est une expression. dit-il en rejoignant la plage et en se séchant.
Puis il se penche vers elle en lui tendant les bras et il la hisse sur la plage. Derrière des rochers, à l'abri du vent, il se réchauffe peu à peu. Ils parlent un long moment puis le pêcheur lui dit qu'il doit rentrer car il se lève tôt le lendemain matin, il regrette qu'elle n'ai pas pu le rejoindre plus tôt à cause de la lumière qui pourrait la trahir. Il l'embrasse avant de la porter jusqu'à la mer où elle plonge avant de lui murmurer un dernier au revoir.

  Sur le chemin du retour, le jeune pêcheur songe que ses parents un peu superstitieux, lui auraient dit de se méfier de cette créature du diable qui ensorcelle les marins pour les précipiter dans l'océan et leur voler leur cœur avant de le briser. Il chantonne en frissonnant de froid et il reste un moment debout à regarder la mer qui lui fait face. Il écoute son bruit apaisant et il rentre en trottinant chez lui pour lutter contre le froid. Il imagine la sirène vivre auprès de lui mais il se dit qu'elle va sans nul doute regretter la mer et il hésite à mettre un terme à cette relation pendant qu'il en est encore temps même s'il sait qu'il est trop tard.
- Tous les marins savent que les sirènes sont des créatures dangereuses qui ensorcellent les marins pour les plonger dans les abîmes et moi, pauvre fou, je me suis laissé charmer par de grands yeux bleus, des cheveux blonds et une voix envoûtante. songe-t'il en se remémorant la jeune fille. Je suis un être faible, décidément, incapable de résister à une jolie fille. Pourtant, c'est la première fois que mon cœur est ainsi épris. Et puis, je verrai bien ce qu'il adviendra si je lui fais la cour. Sans doute ne voudra-t'elle même plus de moi... Je suis fou de croire que je peux changer ce qu'elle est.

- Tu  chantonnes et tu as l'air ailleurs... lui demande un de ses amis alors qu'ils déchargent leur pêche du jour.
- Vraiment ? s'étonne Morgan. Sans doute, je suis heureux en ce moment, j'ai eu de la chance ces derniers temps.
- Si tu le dis mais moi, je crois que tu me caches des choses mais c'est ton jardin secret même si nous sommes amis depuis des années, tu pourrais me le dire à moi mais qu'importe. Sinon, j'ai acheté une petite chèvre pour ma maison, j'espère qu'elle s'entendra avec mon mouton.
Les yeux posés sur la mer, le pêcheur ne dit rien, il s'interroge sur son ami mais il décide de ne insister, s'il ne veut rien lui dire, il sait qu'il ne lui dira rien. Les deux hommes mettent en commun le contenu de leur panier et face à leur maigre pêche, ils décident de se la partager pour leur propre consommation en attendant des jours meilleurs.
-  C'est fâcheux mais au moins, nous n'aurons pas à aller jusqu'au marché pour gagner quelques piécettes. se dit le jeune homme en repensant à la jeune fille.
Il rejoint la mer après avoir salué son ami et il s'assied sur le sable, il attend un long moment que la sirène le rejoigne mais le soleil se couche sans qu'elle ne soit venue.
- Elle attend la nuit ou elle ne viendra pas. Si, elle viendra, je le sais. se murmure-t'il en regardant le soleil descendre sur l'horizon.
A la nuit noire, il s'approche de l'eau et il attend un long moment.
- Tu  es là ? Je t'attends... dit-il d'une voix mal assurée mais seul le clapotis de l'eau lui répond.

   Il marche en long et en large alors que le temps passe en se demandant s'il ne devrait pas repartir. Allongé sur le sable, il laisse les vagues jouer avec ses doigts lorsqu'il entend du bruit provenant de l'océan.
- Tu es là, j'en étais venu à penser que tu ne viendrais plus. dit le jeune homme.
- J'étais en train de chercher ma nourriture et je n'ai pas vu la nuit tomber. dit Melen en rejetant ses cheveux blonds en arrière. J'étais loin au large. Tu m'as attendu longtemps ?
- Un peu mais ne t'inquiète pas. dit-il en entrant dans l'eau froide.
- Tu vas geler si nous restons ainsi.
- Ne t'inquiète pas, il est trop tard, je crois. dit-il avec un sourire forcé.
La jeune fille se blottit contre lui et elle le ramène vers la plage où ils s'installent à l'abri du vent.
- Tu trembles...
- J'ai froid, je l'avoue.
Melen se blottit contre la poitrine du pêcheur et il sent sa chaleur irradier jusqu'à lui à travers l'étoffe mouillée du vêtement qu'il n'a pas songé à ôter. Il l'entoure de ses bras et il se rend compte combien sa peau est chaude comparée à la sienne, il comprend que c'est ainsi qu'elle lutte contre la température de l'eau.

Il se demande dans quelle mesure ils sont différents et ce qu'il va découvrir sur la créature au fil du temps mais il sent que ce ne sera pas un obstacle à ses sentiments. Il l'embrasse sur les cheveux et ils restent un long moment allongés sur le sable sans dire un mot.
- Et si on nous découvrait ? s'interroge le pêcheur.
Il imagine ce qui arriverait à la jeune fille, il se dit qu'on la prendrait pour une créature du diable qui risquerait le bûcher par sa faute, on l'accuserait de l'avoir ensorcelé et il ne serait pas mieux loti qu'elle.
- Mais si on ne la capture pas, elle n'aura qu'à partir au loin et je subirai les conséquences de mon imprudence. se dit-il un peu rassuré.
La sirène chantonne et il sent ses côtes se soulever et s'abaisser sous ses doigts au rythme de sa respiration.
- Qu'est-ce que tu chantes ? lui murmure-t'il à l'oreille pour ne pas la perturber.
- Cette chanson est triste, elle parle d'éloignement et d'amour perdu.

- Tu te sens triste, loin de ton peuple ?
La sirène ne dit rien durant de longues minutes.
- Non, j'ai choisi de rester ici car ce coin de mer fait partie de moi. Je me sens seule et incomprise parfois même auprès de toi même si je vois bien que tu fais l'effort de m'accepter telle que je suis.
Morgan reste pensif un moment, il se demande s'il peut envisager un avenir auprès d'elle, il sent qu'il ne pourra pas l'éloigner de cette côte qui l'a vue naître mais il y a lui-même toujours vécu et il sait qu'il ne pourra jamais partir. non plus.
- J'aimerais tant te fait découvrir la vie sur terre mais c'est impossible... soupire-t'il.
- Comment est ta maison ?
Il sourit à la pensée de sa modeste demeure mais il fait de son mieux pour la lui décrire ainsi que son petit jardin. La tête posée sur son épaule, Melen tente d'imaginer ce qu'il lui explique à partir des constructions qu'elle voit au loin lorsqu'elle se risque en journée dans la mer.
Alors qu'il repart, le pêcheur se dit que la sirène est comme une enfant à qui il doit tout expliquer et il se demande si elle parviendra à comprendre son mode de vie et à s'y adapter. Il n'est pas certain d'avoir la patience nécessaire et lorsque Melen lui demande de lui expliquer comment il tient sur ses deux jambes, Morgan se sent désemparé. Il soupire longuement et il lève les yeux au ciel en cherchant une réponse dans les étoiles qui ne vient pas.
- Je ne sais pas, c'est une chose que les enfants apprennent très jeune comme nager pour vous, j'imagine. Mais il faut tenir en équilibre sur ses deux jambes et en avancer un en restant en équilibre sur l'autre jambe et faire pareil en changeant de jambe. Enfin, je crois qu'on peut définir les choses ainsi.
Attentive, elle lui sourit avant de lui souhaiter une bonne nuit.  Il la regarde s'éloigner et il reste assis un moment sur le sable perdu dans ses pensées.

La dernière sirène Chapitre 2

  Le lendemain matin, cachée derrière un rocher, elle guette le jeune homme et son ami qui montent dans un petit bateau de pêche au petit matin alors qu'il fait encore frais en ce jour d'été. Le vent lui amène leurs rires et elle entend l'homme raconter sa rencontre de la veille avec une jeune fille blonde à la voix d'ange qu'il espère voir le soir au fest-noz et qu'il compte bien faire danser toute la nuit. Elle le voit pour la première fois à la lumière du jour et elle le trouve plus beau qu'elle ne l'avait cru, ses cheveux roux mêlés d'or pâle couvrent ses épaules en une masse ondulante qu'elle n'avait pas devinée qui contraste avec sa peau tannée par le soleil. La  sirène les observe un long moment de loin puis elle suit le bateau à distance sous l'eau. Mais elle ne peut entendre leur conversation à travers l'eau qui s'agite autour d'elle et elle ne voit d'eux que leurs filets qu'elle évite soigneusement. Elle les suit à distance quelques temps avant de renoncer et de regagner un rocher proche de la plage, les observant de loin, le cœur battant.

  Le soir venu, la jeune sirène solitaire tente de se représenter la fête qui se déroule sans elle et elle imagine Morgan danser au bras d'autres jeunes filles, des filles humaines avec des jambes pour danser et marcher. La jalousie lui tord le cœur et ses larmes se mêlent à l'eau de la mer tandis que son chant déchirant emplit la nuit. Elle sait qu'elle doit lui dire la vérité et que de toutes manières, son secret ne tiendra pas longtemps. Il ne vient pas le lendemain ni le surlendemain et Melen sait qu'elle ne le reverra sans doute jamais et que c'est mieux ainsi pourtant elle a du mal à quitter la petite plage où personne ne vient jamais. Le troisième jour, la sirène chantonne à moitié allongée sur un rocher sortant de l'eau en pente douce qu'elle affectionne.
- Vous êtes là, je vous ai attendue l'autre jour.
Surprise, son premier mouvement est la fuite puis elle se dit qu'il vaut mieux en finir et lui avouer la vérité surtout qu'il a pris la peine de nager jusqu'à elle. De plus, il est imprudent de sortir en plein jour, elle le sait bien même si personne ne vient jamais ici. Elle lève ses grands yeux bleu foncé vers lui qui se noient de larmes. Après un moment d'hésitation, le jeune homme se hisse vers elle sur le rocher en lui disant qu'il ne voulait pas l'offenser.
- Je ne pouvais pas venir mais j'aurais aimé venir.
- Pourquoi donc ? dit-il en l'observant attentivement et en s'accoudant plus confortablement sur le rocher face à elle. Un de vos parents n'a pas voulu que vous veniez ? Si vous me l'aviez dit, je serai venu me présenter.
La jeune fille ne répond rien et elle tremble. Le pêcheur croit qu'elle tremble de froid et il lui propose de rejoindre la plage où le soleil les réchauffera. Il a ramené une couverture pour s'asseoir sur le sable et elle pourra s'en envelopper.
- Je ne peux pas. répond la jeune fille en regardant la main qu'il lui tend tandis que le sourire du pêcheur s'efface.
- Je vous ai attendue hier et vous n'êtes pas venue, êtes-vous en train de vous moquer de moi ?
Les vêtements mouillés du pêcheur lui collent à la peau et il commence à avoir froid malgré la douceur de cette fin d'après-midi. La jeune fille se glisse rapidement dans l'eau et il sent qu'elle s'apprête à fuir. D'un geste vif né de longues années en mer qui la surprend, il saute dans la mer d'un bond juste à côté d'elle, lui barrant la route puis il prend son fin poignet dans sa main de fer et elle se débat en vain. La colère se mue en incompréhension et il attend sa réponse.
- Si ma compagnie vous dérange, dites-le moi et je rejoindrai la plage. murmure-t'il, inquiet à l'idée de l'avoir offensée. Pardonnez ma brutalité mais nous ne pouvons nous quitter ainsi ; expliquons nous et je vous laisserai partir. Je ne pourrais supporter de ne pas savoir quelle faute j'ai commis à votre égard.
- Rien, vous ne m'avez rien fait, ce n'est pas de votre faute. Je suis désolée, je ne pouvais pas venir même si j'aurais aimé me rendre à cette fête. Je suis si seule. dit-elle alors que sa voix se brise.
- Avec moi, vous n'êtes plus seule. dit le pêcheur d'une voix douce en l'attirant dans ses bras sans lui laisser le temps de protester.
La jeune fille se laisse aller à ce contact, elle qui est seule depuis des années lorsque tous ceux de son espèce qui vivaient sur ces rivages les ont quitté quand les hommes ont commencé à s'installer dans les parages. Elle seule n'a pas eu la force de quitter son foyer tant aimé, elle aurait pu retrouver ceux auprès de qui elle a grandi mais sans famille, personne n'a pensé à lui dire où les retrouver si elle changeait d'avis. Depuis deux ans, elle chante dans la nuit en espérant que quelqu'un l'entende et maintenant que c'est arrivé, elle a peur et elle regrette que son vœu se soit réalisé. Elle sent le jeune humain se raidir lorsque sa queue de poisson frôle ses jambes et instinctivement, il baisse les yeux dans l'eau pour tenter de distinguer ce qui l'a effleuré et elle se met à trembler. Dans la lumière déclinante, le pêcheur a entrevu la queue de poisson qu'elle avait tenté de lui dissimuler et il comprend mieux son absence à la fête une fois la surprise passée.
- Je croyais que les morganez n'étaient que des légendes. lui murmure-t'il doucement à l'oreille.
- Pourtant, je suis sûre que vous racontez nos histoires au coin du feu. lui répond Melen avec un sourire triste. Me tuerez-vous ? demande-t'elle, inquiète, bien qu'elle ait parfaitement entendu qu'il souriait en parlant.
- Non, bien sûr que non ! Je me demande... M'avez-vous ensorcelé avec votre chanson ?
Surprise, Melen reste un moment à le regarder.
- Non, bien sûr que non. J'ai juste chanté pour mon propre plaisir. Je n'ai jamais pensé attirer quelqu'un et encore moins un homme même si je mesure maintenant mon imprudence.
Le jeune homme sourit.
- Si vous ne vous étiez pas montrée imprudente, nous ne nous serions jamais rencontrés. Viendriez-vous vivre avec moi, si c'est possible...
- Je suis la dernière sirène de la région, je ne puis partir.
- Mais si vous restez la seule sirène, qu'adviendra-t'il dans le futur ?
- Il n'y aura plus de sirène dans la baie. souffle Melen dans un murmure. Tout mon peuple est parti au loin en un lieu que j'ignore pour fuir les hommes.
- Mais pourquoi ? Personne vient jamais par ici, on dit les grottes hantées. Si je n'avais pas bu l'autre soir, je ne serai jamais passé par là. On dit qu'on entend des voix chanter la nuit.
- Nos chants ? Nous avons failli être découverts par un naufrageur qui examinait la plage pour savoir s'il pourrait l'utiliser à son profit, ce qui n'est pas le cas, elle est petite et il n'y pas de bas fonds. Il était lourdement armé et nous avons pris conscience du danger maintenant que les hommes s'aventurent sur cette plage qui est notre refuge depuis des décennies.
- Nos deux espèces ont peur l'une de l'autre semble-t'il. Mais cela ne change rien au fait que vous voilà seule. Et cela m'inquiète un peu. Si vous avez un problème, vous ne pourrez même pas venir me trouver.
A ces mots, la sirène fond en larmes ce qui émeut le pêcheur jusqu'au fond de son âme. Il reprend d'une voix douce en lui tendant la main.
- Je viendrai vous voir tous les soirs si vous voulez bien.
Incapable de résister, la sirène acquiesce avec un sourire.

  Pour la première fois depuis longtemps, la sirène regrette amèrement de ne pas avoir suivi son peuple. Elle se demande s'il est trop tard pour les rejoindre mais un regard vers la plage fait fondre son cœur et elle sait qu'elle ne pourra jamais quitter la côte qui l'a vue naître. Et puis, le souvenir du regard de l'homme sur elle fait battre son cœur un peu plus vite et elle sait que son cœur a été touché plus profondément qu'elle ne l'aurait voulu.
- C'est de la folie. Ton cœur va se briser, tu le sais. Et tu n'y survivras pas, cette fois-ci.
Pourtant, elle espère qu'il reviendra et elle attend avec impatience que la nuit tombe dans l'espoir qu'il revienne. Même si elle sait qu'une telle relation n'est pas possible, elle ne peut s'empêcher d’espérer qu'il apporte ce qui manque à sa vie.
Le soir venu, la jeune fille guette le bruit des pas du pêcheur et lorsqu'il l'appelle, elle plonge jusqu'à lui pour le retrouver.
- Vous êtes venu ! Je pensais que...
Inquiète, elle écoute les bruits de la nuit mais elle n'entend rien, il semble être venu seul et elle se détend.
- Oui, je suis venu. dit le pêcheur en ôtant ses vêtements pour se  plonger dans l'eau en frissonnant. Il a froid mais il ne se laisse pas le temps de réfléchir à ce qu'il fait.
- Tu as froid... dit la sirène en s'approchant de lui.
- Oui mais je vais m'habituer, ne t'inquiète pas.
- J'aurais dû venir sur la plage, je ne ressens pas le froid. Enfin, très peu.
- Ah oui ? C'est étrange. Enfin, je veux dire que tu ne sembles pas avoir une épaisse couche de graisse pour te protéger du froid. Pardon, ce n'est pas convenant.
- En quoi ?
- On évite de dire à une dame qu'elle est grosse ou maigre.
La sirène rit à cette idée avant de questionner.
- Mais si c'est la pure vérité ?
- C'est ainsi. dit le jeune homme.
- Je crois que notre peau est plus épaisse et moins sensible que la vôtre au froid et à la chaleur. Je ne sais pas bien. Nos deux espèces semblent si proche et pourtant, elles sont si différentes.
Le pêcheur réfléchit un long moment à ses dernières paroles et il se dit qu'elle n'a pas tort. Peut-être sont-ils en train de se lancer dans une histoire impossible qui les laissera le cœur brisé. Tous deux savent qu'un avenir commun n'est pas possible mais il n'a pas la force de renoncer à la sirène. Il hésite à s'en ouvrir à elle mais il se tait car il ne veut pas troubler cet instant. Il serre la jeune fille contre lui, il sent son cœur battre contre sa poitrine et il l'embrasse doucement. Seul le présent compte et en cet instant, il oublie l'avenir sombre qui les attend.

  Cette nuit-là, le pêcheur ne dormit pas, il réfléchit des heures durant au problème inextricable qui se présentait à lui. Il ne se sentait pas de taille à s'opposer à ce que le destin avait fait, s'ils étaient si différents l'un de l'autre, c'est qu'ils n'avaient pas à s'aimer ni même se rencontrer.
- C'est comme si nous avions brisé quelques règles de l'univers et que étions condamnés à payer pour cette faute. Après tout, si les légendes nous disent de nous défier des morganez et de ne pas nous en approcher car leur voix nous ensorcelle n'est-ce pas dans le seul but de nous protéger des tourments qui m'habitent ? Si une relation est impossible entre les humains et les sirènes, mieux vaut dans ce cas, j'en conviens rester éloignés les uns des autres pour ne pas risquer de voir naître des sentiments inappropriés et impossibles à vivre au grand jour sans dommage. Aurions-nous sans le vouloir enfreint quelque règles établie par la nature ou par notre créateur ? Notre douleur de ne pas pouvoir vivre notre passion et la perte qui en résultera forcément au bout du compte permettra-t'elle d'expier notre faute ?

  De longues heures durant, le jeune pêcheur se questionne et il ne parvient pas à dormir. Il voit l'aube pointer et il se dirige vers la plage pour rejoindre son ami et mettre leur barque à l'eau. Les deux amis ne parlent pas en ce matin frais et ils partent vers le large en ramant avec vaillance jusqu'à atteindre le lieu qu'ils ont choisi pour gagner leur pitance du jour. Durant des heures, ils attendent, remontant leurs filets de temps en temps et lorsqu'ils estiment avoir fait bonne pêche, ils se rendent au port pour vendre le fruit de leur travail. Puis ils décident d'aller boire à la taverne pour se reposer et se changer les idées. Ils jouent un long moment aux cartes en bavardant à voix basse avant de se décider à rentrer chez eux.

  Debout face à la mer dans le vent frais de ce jour d'été, Morgan regarde la mer. Il sait qu'il espère voir la sirène mais il ne voit rien à l'horizon. Un pincement de déception lui étreint le cœur et il rentre chez lui en courant. Pour s'occuper l'esprit, il range sa petite maison et il  regarde le jour passer et décliner au fil des heures. Il chantonne dans l'espoir d'aider les heures à s'envoler plus vite sans grand succès. Enfin la nuit jette son noir manteau cousu de menus diamants sur le monde et le jeune homme court jusqu'à la plage aussi vite que ses jambes peuvent le porter manquant à plusieurs reprises de se tordre la cheville sur des pierres qu'il n'a pas vues dans l'obscurité. Le froid de la nuit glace ses poumons et il doit s'arrêter pour reprendre son souffle. Il marche à grandes enjambées et dès qu'il peut respirer librement, le pêcheur reprend sa course jusqu'à la mer qu'il entend se rapprocher à chaque foulée. Bientôt le vent lui apporte le chant de la sirène et il sourit en sentant ses pieds fouler le sable de la plage. Il se met pieds nus pour courir plus vite encore, léger comme l'écume portée par le vent.

  Lorsque le chant s'élève dans la nuit, le pêcheur sourit et il entre dans l'eau en douceur. Il tente de ne pas faire de bruit mais chacun de ses pas lui semble faire le bruit d'un caillou jeté dans l'eau. La sirène semble ne pas le remarquer mais elle sourit lorsqu'il la rejoint.
- J'ai essayé d'être discret mais je crois ne pas avoir réussi. s'excuse Morgan en s'installant à son côté sur le rocher.
- Tu as froid ?
- Oui, je suis mouillé et il y a du vent.
Melen se blottit contre lui pour lui communiquer un peu de sa chaleur et le jeune homme est étonné de la chaleur qu'elle dégage mais il ne la questionne pas. Il suppose que c'est sa manière de se réchauffer dans l'océan froid et cette chaleur le réconforte.
- Qu'as-tu fait aujourd'hui ? murmure Morgan.
- J'ai fureté sur les bancs de sable pour chercher des coquillages puis j'ai profité d'un lieu isolé pour profiter du soleil. Hélas, je n'ai pas pu sortir de l'eau de peur qu'un humain me voit mais j'ai pu sortir la moitié du corps de l'eau pour me réchauffer au soleil, ce que je fais rarement car c'est dangereux. Et toi ?
- J'ai travaillé avec mon meilleur ami et c'est à peu près tout. C'est une journée comme toutes les autres, tu vois.
La jeune fille ne dit rien durant un long moment.
- Non, je ne vois pas pour être honnête. dit-elle en rougissant.
- Je pêche du poisson pour vivre et je le vends ensuite pour me fournir en d'autres biens.
- Je comprends mieux. Mon peuple échange aussi des choses pour obtenir des objets qu'on ne sait pas fabriquer.
- C'est la même chose...
Durant un long moment, les deux jeunes gens ne disent rien, le regard tourné vers la lune.
- Je dois rentrer, je me lève tôt demain.
- Je sais, je t'ai observé sortir ton bateau.
- Tu m'espionnes ? s'étonne le pêcheur un brin amusé.
- Pas vraiment, je voulais seulement en savoir plus sur toi, ce n'est que de la curiosité à ton sujet.
- Donc tu m'espionnes. dit le jeune homme en riant plus franchement.
- Cette idée te déplaît ?
- Non, je crois que j'aurais fait la même chose. Je dois rentrer Melen, à demain ?
- A demain.

 En rentrant chez lui, Morgan se demande tout ce que cette relation pourrait impliquer pour eux mais il sait que la nature sait généralement ce qu'elle fait et que leur rencontre trouvera naturellement son aboutissement quelque qu'il soit. Dans l'immédiat, il doit seulement vivre cette relation. Même si son cœur doit en être brisé, il sait qu'il doit en être ainsi et qu'il est difficile d'aller contre son destin.