dimanche 3 novembre 2019

Apparition nocturne

Une jeune fille voit une apparition en pleine nuit dans sa chambre, un jeune homme mince de son âge qui erre dans la pièce. Prise de peur, elle tente de fuir l'apparition qui la suit partout dans la maison. Alors qu'elle passe de pièce en pièce, elle entend des pas légers derrière elle qui la suivent et s'arrêtent lorsqu'elle s'arrête pour repartir en même temps qu'elle. Tremblante, elle finit par se réfugier dans le jardin malgré le froid et l'obscurité. Elle craint d'avoir été suivie mais elle ne ressent plus la présence et seuls les bruits de la nuit l'entourent, elle se persuade alors qu'elle a rêvé. Lorsqu'elle essaie de rentrer la porte est fermée et elle doit attendre le matin pour rentrer chez elle où elle vit seule.

Dans la chambre, des traces de sang maculent les murs et elle pose la main dessus d'une main tremblante. Prise de vertige, elle regarde autour d'elle, blême de peur en frottant ses doigts l'un contre l'autre. Même si elle n'a guère de doutes, elle sent le liquide poisseux qui sent bien le sang frais.
- D'où est-ce que ça vient ? murmure-t'elle pour elle-même.
La peur la fait frissonner de la tête aux pieds et elle songe qu'elle devrait quitter la pièce mais ses muscles tétanisés refusent de lui obéir et elle reste debout au milieu de la pièce, interdite et incapable d'aligner deux pensées.
- Sortir, je dois sortir. songe-t'elle en sentant un cri monter dans sa poitrine.
Elle parvient à faire fonctionner ses muscles au prix d'un gros effort et elle avance pas à pas vers la porte. Elle tend la main vers la poignée qui refuse de se baisser. Elle regarde autour d'elle.
Mais elle ne voit rien de suspect et elle sort précipitamment en refermant la porte après elle. 

14042019 

mardi 15 octobre 2019

Ariel et David

Ariel et David se connaissaient depuis des années l'enfance. Ecrivains, les deux amis aimaient à se retrouver pour parler de leurs histoires autour d'un café. Un jour de juillet, Ariel reçoit une lettre lui apprenant qu'elle vient d'hériter d'une maison en Irlande et elle se rend sur place pour évaluer la maison en vue de la vendre. Elle tombe sous le charme et elle décide de s'y installer. Bien loin de là, à Paris, David se sent seul et il attend le retour de son amie pour l'aider à retrouver l'inspiration qui le fuit.

Une lettre lui annonce qu'elle a décidé de s'établir en Irlande et lui propose de la rejoindre. La maison est grande, ils pourront enfin travailler plus sereinement que dans leurs studios parisiens mal isolés du bruit et du froid. Les finances de David ne lui permettent pas de s'offrir le voyage mais il décide de vendre tous ses biens pour changer de vie. Il se rend au mont de piété où il vend toutes ses possessions pour une somme rondelette qui lui permettra de s'offrir le voyage et les visas pour s'installer en Irlande. Machinalement, il met la liasse de billets dans sa poche et il salue l'employé.

Arrivé dans la maison d'Ariel, il met la main dans sa poche et il trouve un diamant qu'ils décident de vendre car le jeune homme est incapable de se souvenir de l'endroit où il l'a trouvé. Enfin financièrement à leur aise, ils placent le fruit de la vente et ils vivent chichement dans la petite maison d'Ariel entourés de papier et de crayons. 

10042019

mardi 1 octobre 2019

Le petit renard

Un petit renard montre le museau au sortir de son terrier. Il hume l'air printanier et il lève les yeux vers les arbres aux feuilles d'un vert tendre qui bourgeonnent depuis quelques jours dans l'air radouci du printemps.
Il furette un peu partout à la recherche de nourriture mais il ne trouve rien à son goût et il gambade au soleil jusqu'à ce qu'il se trouve en vue d'une maison. Attiré par le rôti de veau brûlé qui refroidit sur le rebord de la fenêtre, il grimpe et il se délecte de la viande tendre laissant de côté ce qui n'est pas mangeable. Rassasié, il court rejoindre la forêt où il s'enfonce toujours plus profond entre les arbres.

28032019

vendredi 30 août 2019

Une tasse de porcelaine...

- Là, tu es terminée. Regarde comme tu es jolie. murmure-t'elle.
La jeune femme sourit et elle approche la tasse du miroir où elle la retourne sous tous les angles comme pour la laisser s'y admirer. D'un coup de pinceau délicat, elle trace de délicates arabesques dorées près du bord du fragile récipient qu'elle laisse sécher sur sa table de travail. L'artiste bâille et elle étire ses bras avant d'éteindre la lumière et de rejoindre sa chambre où elle s'écroule de fatigue sur son lit, une fois de plus, elle s'est montrée déraisonnable.

Des ronflements sonores emplissent le minuscule appartement tandis que la lune s'élève dans le ciel. Ronde et brillante, ses rayons traversent la vitre à travers les carreaux anciens que la peintre sur porcelaine a trouvé dans un brocante quelques semaines plus tôt. Au centre d'un carreau, de délicates arabesques noires impriment leur marque sur la tasse abandonnée qui frémit bientôt avant de se figer de nouveau. Inerte, l'objet reste sous les rayons de la lune jusqu'au coucher de l'astre nocturne.

Quelques heures plus tard, l'artiste se lève et elle entre dans le salon qui sert d'atelier, notant le désordre qui règne.
- Il faut que je range et que je nettoie le salon. songe-t'elle en mettant la bouilloire sur le feu.
Elle attrape machinalement une tasse sur la table en désordre sans remarquer qu'il s'agit de sa dernière création. Puis elle verse la boisson brûlante et porte le récipient à ses lèvres. Un sourire éclaire son visage et elle se remet au travail en chantonnant un air populaire. Elle allait se resservir du thé lorsqu'elle suspend son geste.
- Mince, c'est ma dernière création !
Elle observe l'objet avec attention et elle remarque un signe sombre qu'elle ne parvient pas à retirer malgré plusieurs tentatives de nettoyage. Elle a beau retourner l'objet entre ses mains, elle ne parvient pas à en déterminer la provenance.
- Une tasse ratée ! Je vais devoir recommencer. Je peux éventuellement tenter de la vendre comme création unique.
Elle hausse les épaules et elle se ressert à boire. Au fil des tasses, elle sent son cœur se réchauffer et un sourire éclaire son visage. Elle se sent légère et le stress des délais à tenir pèse de moins en moins lourd sur ses épaules.

Intriguée, elle fait des recherches sur le signe mystérieux et un forum ésotérique où elle a posté une image du dessin lui donne la réponse. C'est un ancien signe nordique qui signifie joie. Elle ignore que la magie de la pleine lune s'est combinée à celle du signe antique pour imposer sa marque sur le délicat récipient de porcelaine mais elle comprend le lien entre le signe et son humeur joyeuse de ce début de journée.
- De toutes manières, je dois tout recommencer. Autant que je garde cette tasse ratée.

Elle prend une tasse vierge et elle plonge son pinceau dans la peinture jaune pour recommencer le délicat liseré qui orne le bord de la tasse.

jeudi 30 mai 2019

Pour une lettre anonyme

  La lettre pliée dans sa poche fait sourire la jeune femme, elle y pense depuis le matin et elle n'a pas décidé quel parti adopter. Elle pile soigneusement les pigments qu'elle verse délicatement dans des petits pots, elle sait qu'ils valent cher et que son maître ne lui pardonnera pas une maladresse. Après avoir rangé les petits récipients dans l'atelier, elle se dirige vers la cuisine pour achever de préparer le repas en chantonnant une vieille romance.

   Les heures s'écoulent lentement et plusieurs fois, la servante laisse ses regards se tourner vers le parc. Mais elle n'a pas le temps de se perdre en rêveries et elle s'active pour terminer à temps. Ses mains fines coupent, lavent, cirent, tordent le linge durant des heures à tel point que ses mains et ses bras ne sont que douleur. Mais enfin, les cloches sonnent la fin de la journée. Elle s'assure que le repas du soir est prêt et elle monte l'escalier à pas lents. Là, elle se regarde dans son minuscule miroir et elle se lave rapidement avant de passer une robe un peu moins défraîchie que les autres. Puis sa mante sur les épaules, la jeune femme court à perdre haleine dans les rues de la petite cité. Ses souliers claquent sur les pavés et elle manque à plusieurs reprises de glisser sur les pierres rondes des rues mais elle ne ralentit pas l'allure, se faufilant entre les passants qui rentrent de leur journée de travail. Elle croise quelques amies mais elle se contente de leur sourire, elle n'a pas le temps de leur parler, elle doit courir plus vite que son ombre.

   Enfin, elle atteint le parc ombragé où les arbres centenaires frémissent à son entrée, les oiseaux se taisent et la servante marche un long moment, peinant à retrouver son souffle. Lorsqu'elle arrive à la petite fontaine, elle ne voit personne et elle s'assied dans l'herbe enveloppée dans son manteau. Elle relit le billet, elle ne s'est pas trompée de lieu de rendez-vous.Nerveuse, elle regarde de tous côtés mais elle est seule. Elle envisage de partir mais la beauté du jardin qui l'entoure la retient et elle reste à savourer la paix qui émane des lieux. Le soleil se couche et elle reste les yeux levés vers le ciel à regarder l'astre rougi par le feu du crépuscule descendre lentement et embraser l'herbe, les arbres et les statues qui l'entourent. Bouche bée, elle oublie pourquoi elle est venue et elle sourit, emplie d'une joie indicible.

   Mais la nuit commence à tomber et elle se relève, elle époussette sa jupe pour en chasser la terre et elle reprend son chemin à pas lents. Elle est seule et elle commence à comprendre qu'on lui a joué un tour. Mais elle sourit, cette facétie lui a permis de profiter du crépuscule et c'est le cœur léger qu'elle se dirige vers les grilles du parc. Les grands hêtres qui l'entourent s'agitent à son passage et lui murmurent des paroles de consolation qu'elle ne comprend pas. La servante reste un moment debout au milieu des arbres à marcher sur des sentiers à peine visibles que la nuit fait disparaître au fil des minutes. Elle ne sait pas où elle se trouve mais le bois n'est pas bien grand et elle n'aura qu'à faire le tour pour trouver la grille. Le froid l'étreint et elle resserre son manteau plus étroitement autour de ses épaules avant de marcher d'un pas plus vif.

   Alors qu'elle passe la grille, elle trouve ce qu'elle est venu chercher. Une silhouette l'attend adossée à la grille de fer forgé.
- C'était donc vous ?
Le peintre acquiesce et il sourit faiblement. La jeune fille tente de masquer sa surprise de rencontrer l'artiste qui s'est installé dans le village le mois dernier et auquel elle a à peine accordé une danse un dimanche. Elle aurait dû s'en douter, l'endroit est le rendez-vous des peintres qui en apprécient la lumière et la beauté. Les deux jeunes gens quittent les lieux main dans la main avant de courir sur le chemin pour retrouver au plus vite la ville et ses lumières. Le billet abandonné gît dans l'herbe et bientôt le vent l'emporte. Alors les arbres murmurent ces mots écrits d'une main malhabile :
- Je vous aime, rendez-vous au bois d'amour.

jeudi 16 mai 2019

La jeune fille au briquet

  Une jeune femme rentre chez elle un soir d'hiver, il fait effroyablement froid, il neige depuis des heures en ce dernier jour de l'année. Elle a manqué son bus, son chapeau de feutre s'est envolé à cause d'une rafale de vent et elle n'a pas pu le rattraper, alors elle marche dans la neige. Pas une voiture à l'horizon, juste un arrêt de bus aux vitres cassées. Elle a vingt ans et elle a terminé tard son petit boulot contrairement à d'habitude. En cette veille de nouvel an, elle a passé quatre heures, dans le vent et le froid, à tenter de distribuer des prospectus aux rares passants trop affairés pour lui jeter un regard ou lui adresser un sourire. Sa journée de travail touche à sa fin et la voici debout sous la neige, épuisée et affamé. Glacée, elle décide pour tenter de se réchauffer de faire brûler un à un ses prospectus dont personne ne voudra en cette soirée du réveillon. Elle mentira à son employeur en disant qu'elle les a tous donnés aux passants. Comment pourrait-il connaître la vérité ? Mais elle n'ose pas, trop inquiète à l'idée de voir sa supercherie dévoilée.
   Grelottante, sa chevelure trempée de flocons de neige, elle marche sous la pluie blanche et glacée qui tombe en dansant sur ses vêtements. Dans la poche de son épais manteau violine, elle met la main pour se réchauffer et elle tombe sur son briquet. Ses yeux levés vers les fenêtres éclairées, elle s'imagine brûler les prospectus pour se réchauffer mais elle rejette cette pensée qui revient encore et encore. Elle se repose à un arrêt de bus quelques minutes mais le froid la mord plus fort encore. Elle consulte sa montre, il est très tard. Un instant, elle cherche du regard une échoppe où se réfugier mais en cette veille de nouvel an, il n'y a plus grand chose d'ouvert. Et il n'y a plus de bus à cette heure, il lui faut marcher pour rentrer chez elle. Elle voudrait courir pour arriver plus vite mais ses muscles sont gelés dans son jean trempé de neige fondue et l'eau a eu raison de ses bottines de cuir qui glacent ses pieds. Elle se relève pour marcher vers son but, un pas après l'autre en remontant autant que possible le col de son pull à col roulé d'un bleu clair comme la glace qui l'entoure.
  Lasse, elle s'assied sur le banc et elle prend un prospectus les mains raides de froid, elle imagine la flamme la réchauffer et lui donner le courage de continuer. Elle allume la feuille de ses mains tremblantes mais une bourrasque l'éteint aussitôt. Qu'importe, elle recommence et durant une minute, une chaleur bienfaisante la réconforte et lui réchauffe les mains et le coeur. Mais elle disparaît bien vite. Courageusement, elle recommence encore et encore et elle voit devant elle, le bus arriver et la table mise pour le réveillon dans son petit appartement. Mais l'image s'évanouit en même temps que le vent souffle la flamme. Elle rallume le briquet et elle se voit collée au radiateur de son petit logis tandis que sa bouilloire électrique chante pour lui signaler qu'elle peut verser l'eau fumante dans sa théière. Elle lâche la roulette et la flamme disparaît. Vite, elle tente de l'allumer de nouveau sans succès, il est vide et elle le glisse dans sa poche où elle tente de conserver quelque chaleur à ses mains.
  Le premier bus arrive et un voisin remarque cette adolescente allongée sur le banc, glacée comme si elle avait passé la nuit dehors. Il renonce à aller au travail, sa boutique ouvrira plus tard aujourd'hui et il la couvre de son manteau avant de la porter jusque chez lui. Il rallume la chaudière et il commence à lui ôter ses vêtements mouillés avant de la réchauffer avec une serviette qu'il a mise sur le radiateur à réchauffer. Dans sa main roide, il trouve un briquet vide ; intrigué, il libère l'inutile objet de la poigne glacée et durant de longues minutes, il frictionne la jeune fille pour tenter de la ranimer. Puis une couverture chaude remplace la serviette et il recommence à tenter de la réchauffer. Téléphone en main, il va appeler le médecin de garde quand il la voit remuer. Sans réfléchir, il court jusque dans sa chambre lui trouver des vêtements puis il attend qu'elle ouvre les yeux en lui faisant couler un bain dans la salle de bain. A ses questions, il lui répond qu'il l'a trouvée, gelée à l'arrêt de bus et qu'il l'a amenée jusque chez lui pour la réchauffer. Il n'a pas réfléchi, il a cru qu'elle allait mourir. Il lui annonce lui avoir fait couler un bain et qu'elle peut aller dans la salle de bain pendant qu'il lui prépare un chocolat chaud.
- Dans mes rêves, j'ai vu ma grand-mère toute illuminée qui venait me chercher. Puis je me suis réveillée et je vous ai vu. dit-elle en s'asseyant devant le chocolat chaud, un peu réchauffée et vêtue de sec.
Ils parlent quelques minutes, le temps que la jeune fille achève de se remettre et grignote quelques madeleines en sirotant son chocolat chaud puis il la reconduit chez elle en voiture.
- Merci, vous m'avez sauvé la vie. dit-elle avec un sourire.
Elle se souvint soudain de ses prospectus. Qu'importe, elle dirait à son employeur qu'elle les avait tous donnés et qu'elle refusera désormais tout nouveau contrat.

(novembre 2017)

mercredi 15 mai 2019

Ceci est mon dernier billet

Chers compatriotes,

Dans la situation désespéré que nous traversons, je vous adresse ces quelques conseils que j'ai glanés au cours de ces dix dernières années. Pour ceux qui l'ignorent, je m'intéresse au survivalisme depuis des années, j'ai même tenu un blog parmi les plus influent de cette décennie.

Ne sortez sous aucun prétexte
Vous n'êtes pas sans ignorer le danger qui nous guette en ces temps obscurs. Il est de bon sens de ne pas mettre le nez dehors mais il n'est pas inutile de le rappeler.

Faites feu de tout bois
Rassemblez tout le bois et les combustibles que vous pouvez trouver et stockez-les en lieu sûr : meubles, livres, déchets, tout ce qui brûle est bon à prendre. Mais pour ne pas attirer l'attention, n'oubliez pas de ne pas vous chauffer durant la journée. En effet, qui dit combustion dit fumée qui peut vous faire repérer par les créatures que vous savez. Pour garder la chaleur, empilez les vêtements, bougez régulièrement, pensez à bien couvrir vos extrémités (gants, mitaines, chaussettes). Ne négligez pas les collants. Normalement, si vous vous couvrez d'un pantalon, d'un collant, d'une ou deux paires de chaussette, d'un débardeur, un tee-shirt, un pull-over et un gilet, vous n'aurez pas à craindre de souffrir du froid avec des mitaines et un ou deux bonnets. Calfeutrez votre logement, mettez une couverture sur vos genoux et ne négligez pas d'aérer.

L'épineux problème de la nourriture et de l'eau
Récupérez autant que possible l'eau de pluie en mettant sur vos rebords de fenêtre des récipients susceptibles de la recueillir. Faîtes la bouillir pour éliminer les microbes. Economisez-la et surtout recyclez-la. L'eau de cuisson du riz ou des lentilles peut être consommée dans une soupe, l'eau de cuisson des pommes de terre peut servir à laver le linge. Une bassine avec un fond d'eau suffit amplement à se laver ou faire une vaisselle. Il faut veiller à n'utiliser que le strict nécessaire. Si vous pouvez récupérer de la terre sans danger, vous pouvez cultiver quelques plantes pour avoir de la nourriture fraîche, même si c'est en petite quantité : carottes et pommes de terre coupées peuvent vous fournir de la nourriture si vous êtes patients.

Anticipez les coupures de courant, de gaz et d'eau à venir
Eteignez tous les appareils inutiles, coupez le chauffage, stockez de l'eau si vous le pouvez.

Protégez-vous physiquement
Gardez vos portes fermées à clé, ne sortez jamais seul et sans protection, fermez soigneusement les portes (notamment dans les hall d'entrée des immeubles), trouvez des armes si vous le pouvez (couteau de cuisine, manche à balai, objets lourds).

Ces solutions ne seront pas éternelles, vous le savez. Vous allez devoir sortir pour affronter le fléau qui nous guette pour quitter cette ville maudite à vos risques et périls. Sortez de nuit pour ne pas vous faire repérer et en petit groupe. Ne parlez pas, sous aucun prétexte et ne prenez que quelques affaires avec vous. Evitez les larges rues et préférez les ruelles tortueuses, ils vous repéreront moins facilement. Si vous le pouvez passez par les parcs, les promenades aménagées, vous serez moins visibles sous la végétation. Munissez-vous d'eau si vous le pouvez et de vêtements chauds, d'armes et faites ce que vous pouvez pour passer inaperçu.

Si vous parvenez à franchir le haut mur d'enceinte que les militaires ont érigé autour de la ville, faites entendre notre voix, alertez la presse pour faire savoir au monde que le gouvernement se contente d'enfermer les survivants dans les villes après avoir condamné les égouts qui auraient pu nous permettre de sortir. Il a renoncé à combattre les créatures qui nous traquent et il met toutes ses ressources dans un projet pour quitter la Terre. Ils nous abandonneront à notre sort sans une once de remors et ils nous laisseront nous faire dévorer par ces gigantesques singes aux crocs démesurés qui traquent les humains sans relâche depuis quelques mois. Nous n'étions pas préparés à cela, nous n'avons pas anticité que ces créatures s'échapperaient de l'immense laboratoire qui les élevait en vue de s'en servir comme sujet d'expérience et qu'ils auraient l'intelligence de se montrer dociles, patients, sans défense. Ils attendaient d'être suffisamment nombreux pour éliminer notre espèce. Ils franchiront le mur d'enceinte et ils coloniseront le monde, ce n'est qu'une question de temps. J'espère que ce jour arrivera bientôt et qu'ils fuiront la ville sans chercher les survivants pour aller à la conquête du monde. Quand ils auront fui la ville en nous laissant derrière eux, nous pourrons également quitter la ville et chercher un abri plus sûr. En attendant, nous devons survivre...si nous le pouvons encore.

Merci à tous ceux qui ont suivi mon blog dédié au survivalisme et qui m'ont encouragé à m'informer sans relâche. C'est grâce à eux que je me sens prêt à me battre jusqu'au bout pour survivre. Vous m'avez sauvé la vie.

Ceci est mon dernier billet de blog. Mon téléphone portable n'a plus de batterie et qui sait combien de temps le réseau internet fonctionnera ?

Merci à vous, j'espère vous retrouver vivants et en bonne santé au-dehors.

Marc-Serge alias Le dernier survivant

vendredi 3 mai 2019

Chroniques vampirologiques Eternelle errance

Un souffle de vent fait frissonner la frêle jeune femme au teint blafard qui marche dans la nuit. Sa longue robe rouge flotte autour d'elle et elle resserre contre son corps sa cape d'un bleu profond. Les larmes aux yeux, elle regarde la lune qui luit et elle hésite. Appuyée contre un muret, elle se perd un long moment dans la contemplation de la plage en contrebas et elle hésite à descendre. Après quelques minutes, elle décide de rejoindre la plage et elle tente de se souvenir de sa vie d'avant sa mort. Mais les souvenirs la fuient. Les yeux tournés vers la mer, elle tend la main sur le côté mais aucune main ne prend la sienne. Les larmes montent à ses yeux et elle songe qu'elle n'a jamais connu l'amour durant sa vie humaine et que malgré une éternité passée à errer, l'amour n'a pas croisé son chemin et elle reste désespérément seule.

Le jour s'apprête à se lever lorsqu'elle rejoint son caveau et elle s'endort, les larmes aux yeux. La nuit venue, elle part, un baluchon à la main et elle marche d'un pas vif. Bien décidée à trouver l'âme sœur qu'elle n'a pas trouvé durant sa vie, elle marche aussi vite que son corps qui ne ressent pas la fatigue le lui permet. Lorsque le jour commence à poindre, elle se rend dans des cimetières et elle s'enferme dans des caveaux priant qu'aucune famille endeuillée ne vienne troubler son repos. Dès la nuit tombée, elle repart avec vaillance et courage.
De cimetière en cimetière, elle erre durant des semaines. Seule, toujours seule, elle désespère. Une nuit, alors que sonne minuit, une main sur son épaule, la fait sortir de sa léthargie.
- Nous ne pouvons pas rester là, les villageois cherchent à nous encercler nous devons partir maintenant. Ils ont découvert mon existence, ils me traquent.
Le jeune homme court se réfugier dans la forêt proche après avoir escaladé le mur d'enceinte tandis que des clameurs se font entendre. Elle n'a pas le temps de réagir qu'une flèche d'argent lui entre dans le bras et elle pousse un cri rauque sous l'effet de la douleur. Lorsqu'elle se retourne, elle voit les villageois qui l'encerclent en vociférant des menaces. Le prêtre se rapproche avec de l'eau bénite et des gousses d'ail en collier qui se balancent sur sa poitrine. Elle hésite et elle décide de renoncer.

Debout, les mains croisées devant elle, elle attend la mort en songeant qu'elle sauve la vie de son congénère qui ne sera plus recherché par les villageois. Alors que la vie s'arrache à son être, elle sourit, soulagée à l'idée de quitter enfin ce monde qui n'a rien à lui offrir sinon errance et solitude.

vendredi 26 avril 2019

Patreon

 J'ai décidé de tenter de mettre en place un Patreon pour plusieurs raisons:

- ma vie professionnelle n'est pas ce que je désire et ce pour quoi j'ai fait des études; si j'ai décidé de la mettre entre parenthèse et de revoir mes ambitions à la baisse, la contrepartie, c'est de m'épanouir sur le plan personnel

- l'écriture tient une place importante dans ma vie et c'est un vrai travail au quotidien qui ne s'arrête jamais (écriture, réflexion, correction, préparer les publications) sans rémunération.

-  je me sens assez en confiance pour le faire car c'est un projet que j'ai depuis longtemps; je ferai au mieux, c'est du travail et du temps que je ne mets pas ailleurs. Or, les journées ne font que 24 h (et je déplore toujours que nous soyons forcés de dormir mais sans sommeil, pas de rêves et je crois qu'ils nourrissent l'imagination plus qu'on ne le pense)

- j'ai plusieurs projets de publication et d'autopublication pour les mois/années à venir et c'est un travail de longue haleine, un peu de soutien hors de mon entourage proche ne sera pas de refus

- c'est un défi, je veux me prouver que je suis capable de tenir les délais et de fournir du contenu qui me servira également à évoluer dans mon écriture. Après m'être prouvé que je peux (presque, ce n'est pas fini) publier trois tomes à raison d'un chapitre tous les dix jours en assumant les corrections et en partant de deux chapitres terminés, sans tout à fait savoir où je vais mais en suivant mon instinct, j'avais besoin d'un nouveau défi à relever.

Les formules vont de 1 à 5 €, il y en a pour tous les goûts (lecteurs, écrivains, les deux) en régulier ou ponctuel et ce sera à chaque fois une bonne dose de motivation!

Malheureusement, les nouvelles et poèmes publiés via ce système ne le seront pas ici et ailleurs. Donc je publierai encore moins ici mais je ferai l'effort de ne pas oublier ce blog et mes lecteurs.

https://www.patreon.com/rozennelven

jeudi 25 avril 2019

L'inconnue de la chaloupe débarque chez Lulu

  Après des mois de travail, malgré les coquilles qui pourraient rester, j'ai enfin mis un point final à mon projet d'autopublication de L'inconnue de la chaloupe qui a été publié un temps ici et ailleurs. 

  C'est avant tout pour voir comment ça marche et préparer la publication d'un autre projet qui est toujours en cours de rédaction. Malheureusement, je n'ai pas trouvé de bêta-lecteur et malgré toutes mes relectures, je sais qu'il restera des fautes ou des répétitions, j'en suis désolée par avance. 

  Merci à tous ceux qui me liront et me soutiendront dans mes divers projets d'écriture.  

  De quoi est-ce que ce livre parle? Toujours d'une guérisseuse qui se réveille dans une chaloupe sans se souvenir qui elle est et d'où elle vient au XIIème siècle. Elle se souvient qu'elle a été chassée comme sorcière du village où elle vivait et elle frappe à la porte d'un château proche du lieu où elle a accosté. Là, commence sa nouvelle vie auprès d'un apothicaire peu honnête, aux prises avec des rumeurs de sorcellerie qui surgissent de nouveau autour d'elle.

Vous pouvez retrouver Gaenor au format papier (12 €) et epub (5 €)
Format papier
Format epub

Je n'ai pas disparu, je continue à travailler sur de gros projets et j'ai peu de choses à publier pour le moment. 

lundi 4 février 2019

La dernière sirène Chapitre 8/8

  Peu à peu, cette partie de la côte se repeuple et les sirènes vivent en paix dans le lieu hanté. Melen rejoint souvent son peuple d'origine avec ses enfants. Le pêcheur les observe de loin mais il ne se joint pas souvent à eux. Il craint que sa famille ne décide de quitter la terre pour rejoindre la mer et il préfère rester en dehors de cela.
- Tu ne viens pas avec nous ? s'étonne son épouse en s'asseyant à ses côtés alors qu'il reprise un filet un jour d'automne.
- Ma vie est sur terre, tu le sais et je crains toujours qu'un jour, tu ne rentres pas.
- Je t'ai choisi il y a des années, tu le sais. J'ai choisi de lier ma vie à la tienne de mon plein gré.
- Oui mais j'ai toujours entendu dire que les morganez ne pouvaient pas résister à l'appel de la mer.
- Peut-être, je ne sais pas mais je t'ai donné mon cœur et tu m'as fait promettre de te prévenir si j'envisageais de partir, tu t'en souviens ?
- Oui, je m'en souviens. Même si cela fait longtemps maintenant.
- Que vas-tu faire maintenant que ton peuple est revenu ?
- Je ne sais pas, je pense renouer des liens avec eux et vivre tant sur terre que dans la mer avec toi, bien évidemment.
Le pêcheur soupire et il la prend entre ses bras. Il reste un long moment serré contre elle le menton dans ses cheveux.
- Nous trouverons le bon équilibre pour nous et pour les enfants. Je n'en doute pas mais parfois je me demande si tu es heureuse avec moi.
- Bien sûr, sinon je serais partie depuis longtemps. Et nous n'aurions pas eu d'enfants et nous ne les aurions pas élevés ensemble.
- Tu crois que l'un d'eux choisira la mer ?
- Je le pense oui mais seul l'avenir nous le dira. Alors rejoins-nous un peu  plus souvent et apprends à connaître mon peuple et ceux parmi lesquels j'ai grandi, ils sont ma famille.

Melen prend le pêcheur par la main, il met son filet et ses outils en tas dans le creux d'un rocher avant de la suivre. Il se déshabille puis main dans la main, ils entrent dans l'eau. Ils disent la formule et ils rejoignent les sirènes qui s'ébattent sur les rochers. Les sirènes chantent en se peignant les cheveux et en riant. Elles se taisent à leur approche et elles leur font bon accueil. Les deux amoureux parlent de leur vie sur terre et ils leur parlent de l'enchanteur du Menez-Bré. Les sirènes écoutent mais elles disent que le sort ne les intéressent pas. Leur vie est en mer mais elles respectent leurs choix. Melen se sent en paix avec son choix de vivre sur terre et de voir que ses congénères comprennent son choix de vivre sur terre avec l'homme qu'elle a choisi. Elle le regarde et elle le sent se détendre.

Souvent alors qu'ils pêchent, les deux jeunes gens voient des sirènes leur faire des signes en prenant garde de ne pas se prendre dans leurs filets. Ils leur rendent leurs saluts et Melen s'interroge sur ce qu'aurait été sa vie sous les flots si elle l'avait choisi. Puis elle tourne le regard vers la terre et elle se dit qu'elle n'aurait jamais connu la nourriture humaine, la forêt, la campagne et les animaux qu'elle aime caresser, le feu et toutes les choses qui lui font aimer la vie sur terre. Elle songe combien leurs deux mondes sont différents et complémentaires et elle regrette que la peur et l'incompréhension sépare leurs deux peuples.
- Mais nos enfants seront peut-être le lien entre nos deux mondes qui sait ? Peut-être que notre existence sera révélée et que nous trouverons la paix nous enrichissant mutuellement de nos différences ?
Elle songe à la manière dont les siens ont fini par accepter l'humain qu'elle a choisi une fois la peur passée et elle espère qu'il en sera de même pour leurs enfants. Pourtant, elle a compris il y a longtemps que la société des hommes moins libre et plus codifiée que celle des sirènes est un obstacle majeure à la tolérance nécessaire à cette entente.
- On me dirait créature du diable si on savait. Alors qu'un être n'est pas fondamentalement bon ou mauvais, nous avons tous en nous du bon et du moins bon, c'est un choix de vie, une manière de répondre aux aléas de la vie. Mais je souffre de ne pas pouvoir me montrer telle que je suis, de devoir faire attention à ce que je fais ou dis en permanence. Il faut croire que ma nature profonde ne se fondra jamais réellement dans la société humaine.
- Le monde est ainsi, mon amour, tu le sais bien. Nous ne pouvons pas refaire le monde à nous deux, seulement tenter de le rendre un peu meilleur. Et d'être heureux dans nos petites vies tranquilles tous les deux. Tes cheveux ne blanchissent pas ? Tout comme les miens, je commence à m'inquiéter un peu.
- Mon peuple vit bien plus vieux que le tien, peut-être que nous devrions songer à partir loin d'ici...
- Mais j'ai toujours vécu ici, c'est dans ce pays que je suis né, cette terre fait partie de moi, je mourrai de partir loin d'ici tu le sais...
La sirène se mord la lèvre, ils n'avaient pas prévu cette éventualité et ils ont vu les années défiler avec angoisse en se demandant quand ils devraient prendre une décision quant à leur avenir.
- Il y a de petites îles où nous nous cachons, elles sont petites et inhabitées. Nous pourrions y vivre loin des hommes. Et nous ne serions pas loin de chez nous. De toutes façons, ta maison est isolée et battue par les vents, personne ne vient jamais par là.

- Nous avons le temps d'ici là, mon amour des mers. Nous trouverons une solution. Comme toujours depuis que nous nous connaissons.
- Nous avons eu de la chance, je ne sais pas si cela durera. Pourquoi tant d'intolérance de part et d'autre ? Nos deux peuples n'ont jamais été en guerre, je crois.
- Pas que je sache... Mais si nous pouvions changer les choses ? Je veux dire... Amener nos deux peuples à se parler et vivre en paix pour nos enfants.
- Et révéler notre existence aux hommes ? s'étonne Melen
- Cela vaut mieux que de rester cachés toute notre vie, non ?
- Et la mer est vaste, les hommes oublient vite...
- Mais par où commencer ? Le curé, il sait pour nous deux depuis le début. Et ici, les gens te connaissent, c' est un début mais comment l'annoncer ?

Main dans la main, ils marchent en bord de mer, les yeux tournés vers l'océan.
- Et comment l'annoncer ? demande la sirène. Et à qui faire confiance ? Et si on me traite de sorcière ?  Nous devrons partir alors que si nous nous sommes rencontrés, c'est que je ne voulais pas partir, tu le sais bien.
- Je crois que nous n'avons pas de solution dans l'immédiat. Mais c'est ce que nous nous disons depuis des années sans trouver de solution et les enfants grandissent, nous sommes responsables d'eux, ils n'ont pas à payer pour notre choix. Nous avons eu cette discussion mille fois, il faut agir. Allons voir le curé, il se fait vieux mais il saura nous aiguiller, j'en suis sûr.
Ils se dirigent vers le presbytère et ils exposent leur problème à l'homme d'église qui les écoute avec attention.
- Melen, vous m'avez dit il y a fort longtemps que votre peuple vit caché loin des hommes et les hommes ont peur des pouvoirs de votre peuple mais vous prouvez que les sirènes ne sont pas des enchanteresses qui envoûtent les marins. Enfin, un pêcheur. C'est un début mais vous prenez un risque mais je dois pouvoir éteindre l'incendie. J'en parlerai dimanche lors de mon prêche, on m'écoutera.

  Nerveuse, ce dimanche-là, Melen pénètre dans l'église. Depuis longtemps, les gens de l'endroit ne regardent plus avec curiosité l'étrangère qui n'a jamais dit d'où elle venait ni ce qu'elle fuyait. Et après avoir animé les conversations durant des années, on a fini par la considérer comme une habitante comme les autres.
L'homme d'église par le longtemps du peuple de la mer et les yeux se tournent avec insistance vers Melen qui baisse la tête. Des murmures emplissent la petite église mais on écoute religieusement l'homme qui parle d'une voix calme.
- Le peuple de la mer a repeuplé nos côtes et ils aspirent seulement comme nous tous à vivre en paix comme ils l'ont fait depuis toujours. Ils ne constituent pas une menace pour notre communauté et je crois que nous pouvons sceller une entente avec eux.
Le cœur serré, la sirène écoute les murmures parcourir l'assemblée. Puis les notables de la ville prennent la parole les uns après les autres pour se déclarer ouverts à une entente car s'ils ont ignoré la présence du peuple marin, c'est qu'ils ne sont pas hostiles aux humains. A sa suite, les habitants se rendent au bord de la mer et ils attendent en silence. Melen hésite puis elle se glisse dans la mer avant que Morgan la retienne et elle chante un chant de paix. Des têtes surgissent des flots et le peuple des sirènes vient à la rencontre des humains dans l'espoir de sceller une paix durable entre les deux peuples.

La dernière sirène Chapitre 7

  Le dieu Lir se promène sur le rivage et il écoute la rumeur du vent. Une sirène vit là avec un  humain. Il voit leurs enfants batifoler dans l'eau, leur queue de poisson battant l'eau dans des éclaboussements d'eau et des éclats de rire. Il se mêle à son ancienne communauté qui a prospéré et s'est jointe à une autre communauté sur la côte anglaise. Il se glisse parmi eux, chuchotant ça et là. Il parle d'une rumeur disant que de l'union d'une sirène et d'un humain, quatre beaux enfants sont nés, vivant sur la terre et dans l'océan sur la plage qu'ils ont quitté des années plus tôt. Intrigués, un groupe est mandaté pour aller voir et ils observent un long moment la sirène et le pêcheur nager dans les vagues houleuses de ce jour de tempête. Cachés derrière un rocher, ils observent longuement les enfants en discutant à voix basse de l'attitude à adopter.

- Melen! crie l'un d'eux en quittant le groupe.
Le cœur battant, la sirène se retourne à ce cri et ses yeux s'arrondissent.
- Pesk ! Comme tu as changé !
Les deux sirènes se jettent dans les bras l'un de l'autre en larmes.
- Vous êtes revenus par ici ?
- Oui, une rumeur disait qu'une sirène vivait toujours ici.
- Oui, je suis restée et... Je me sentais si seule. Où êtes-vous allés ?
- De l'autre côté, en Angleterre. Nous y avons été bien accueillis. Nous sommes quelques-uns à être revenus.
Les larmes se mêlent au sourire de la sirène.
- J'ai toujours su que vous finiriez par revenir.
- Où vis-tu ?
- J'ai longtemps vécu seule dans une grotte et je vis, je vis avec mon mari et mes enfants. Dans une maison de pêcheurs.
- Parmi les humains ?
Interloqué, son ami la regarde avec des yeux ronds.
- Oui, il est venu me voir à plusieurs reprises et il m'a convaincue de le suivre. Pour moi, il est allé voir un puissant sorcier au loin et nous pouvons prendre forme humaine ou sirène à volonté. Mais nous devons rester discrets, il est le seul qui connaît notre existence.
- En espérant qu'il en reste ainsi.

- Tout va bien ?
Melen manque pousser un cri en sentant deux bras l'enserrer.
- Tu m'as fait une de ces peurs.
- Et à moi donc ! Tu ne revenais pas alors, j'ai commencé à m'inquiéter.
Puis Morgan lui murmure plus bas à l'oreille :
- Tout va  bien ?
- Oui, quelques membres de ma communauté sont revenus s'établir dans les parages.
Les traits du pêcheurs se crispent et il déglutit avec difficulté. Un silence s'installe que l'homme ne se décide pas à briser. Il inspire profondément avant de se décider à poser la question qui lui brûle les lèvres.
- Tu comptes les rejoindre ?
Son cœur bat dans sa poitrine à lui briser les côtes et il ne se rend pas compte qu'il serre la femme un peu trop fort contre sa large poitrine.
- Tu me fais mal...
- Pardonne-moi.
- Je ne sais pas. Peut-être lorsque j'aurais fini les tâches ménagères en attendant que tu rentres de la pêche les jours où je ne viens pas avec toi pour m'occuper de la maison.
- Deux jours par semaine sera-t'il assez ?
- Je ne sais pas. La mer me manque, tu sais ?
- Je sais... Mais je croyais que je serais une raison suffisante pour t'en éloigner un peu.
- Et le dimanche comme nous ne travaillons pas, il doit être possible de trouver quelques heures pour rejoindre la mer comme c'est déjà le cas.
- Cela te suffira-t'il ?
La sirène rougit, confuse de l'aveu qu'elle va faire.
- Tu te doutes bien que les jours où je reste à terre, une fois mes tâches accomplies, je rejoins la mer en guettant ton retour.
- Tu ne me l'avais jamais dit...
- Tu ne m'as jamais posé la question.
- Je sais, elle m'a brûlé les lèvres maintes fois mais je n'ai jamais osé la laisser les franchir. Je ne pourrai pas t'empêcher de les rejoindre, tu le sais. Si... si cela devait arriver, préviens-moi.
- Je sais, nous avons passé un accord, il y a des années de cela.
- Et il tient toujours.

 Pesk fait mine de ne pas entendre leur entretien et il observe autour de lui. Rien ou presque n'a changé et il regrette de ne pas être revenu plus tôt dans les parages.
- L'endroit est sûr, à ton avis ? se hasarde-t'il à demander.
- Je ne sais pas. Je veux dire... La grotte où nous vivions passe toujours pour hantée. Je crois que ceux qui nous ont dérangés étaient des naufrageurs qui cherchaient un lieu où entreposer un trésor ou quelque chose comme ça.
- Pourquoi n'êtes vous pas revenus avant ?
- Nous avons trouvé à nous établir et une rumeur a circulé comme quoi une sirène vivrait toujours dans les parages. Et les hommes de l'endroit parlent de nous, nous nous sommes montrés imprudents.
- Vous reviendriez vous établir par ici ?
- Il y a les grottes sous-marines qui nous semblent plus sûres que celles près de la côte. Mais nous serons toujours sous l'eau sans pouvoir choisir et on ne sait jamais, la possibilité de rejoindre la terre ferme en cas d'attaque de prédateur est essentielle à notre survie.
- Je sais... murmure Melen.
- Et l'île des trépassés ? Personne n'y vient jamais, on la dit hantée par les âmes des prisonniers qui y ont passé leur vie dans cette prison naturelle à la merci des uns des autres. Je ne suis pas moi-même certain que rien de dangereux ne s'y trouve mais elle est loin de la côte et les bateaux prennent toujours soin de passer au large. L'intérêt de cette île, c'est qu'un mur a été construit tout autour pour l'isoler du monde extérieur pour faire pression psychologiquement sur les prisonniers. Le mur s'est effondré par endroit mais la majorité reste debout. J'ignore s'il y a des grottes sous-marines ou quelque chose dans le genre mais vous seriez à l'abri du regard des hommes et vos chants passeraient pour les chants des prisonniers morts là-bas. dit Morgan qui se décide à se joindre à la conversation.
La sirène le regarde un moment cherchant le piège avant de reprendre la parole :
- Merci, humain, j'irai voir moi-même ce qu'il en est mais si tu dis que personne n'y vient jamais, cela pourrait nous permettre de revenir. Qu'en dis-tu Melen ? Tu connais les hommes et leurs habitudes mieux que moi...
- Je ne sais pas, mais si les hommes croient ce lieu hanté en restant discret notre espèce pourrait y trouver la paix.
- Entourée de murs... conclut Melen. Et si on nous voit et que nous sommes attaqués ? Nous serons coincés. Il faudrait des ouvertures en profondeur, très en profondeur. Je crois qu'on dit qu'il y a des tunnels sous-marins sous cet endroit.
- Nous pourrions tenter de nous y établir pour voir. J'imagine que tu ne rentres pas avec nous ?
La sirène hésite mais elle a choisi un humain et elle ne peut revenir en arrière.
- Non, ma vie est sur terre. dit-elle avec une pointe de regret dans la voix.

- J'ai vu quelque chose bouger. dit Melen en entraînant son époux dans l'océan.
Ils plongent et ils émergent à bonne distance pour observer ce qui se passe.
- C'est un des tiens ? questionne le pêcheur.
- Je ne sais pas, je ne vois rien mais j'entends des voix et avec le vent, il est difficile de se faire une idée.
Ils attendent un long moment mais la voie semble libre.
- Nous pourrions sortir ailleurs ?
- Et nos vêtements ?
- Ou nous attendons la nuit pour  rentrer... souffle l'humain avec une grimace.
Enlacés, ils restent un long moment à observer autour d'eux sans rien voir et ils ont beau écouter, ils n'entendent que le vent. Main dans la main, ils nagent sous l'eau jusqu'à atteindre le rivage mais tout est calme. Ils s'habillent rapidement et ils remontent sur le chemin
- Nous avons été imprudents... dit la jeune fille alors qu'ils rentrent chez eux.
- Je sais, nous avons été fous de ne pas attendre la nuit. Le curé m'a dit qu'il voulait te parler.
Surprise, Melen se tourne vers lui et ses yeux bleus se voilent d'inquiétude.
- Je ne pense pas qu'il te veuille du mal, c'est un homme bon. Il veut peut-être te connaître un peu mieux...

  Tremblante, la sirène pousse la porte du presbytère et lorsque l'homme lui sourit, elle se rassure sous son regard bienveillant.
- Je voulais vous voir pour une question qui me taraude depuis des semaines. Asseyez-vous donc.
Elle s’exécute et elle attend qu'il lui expose l'objet de leur entretien.
- J'ai pris le temps de faire quelques recherches et d'après ce que j'ai lu, les sirènes n'auraient pas d'âme et je crains pour le salut de la vôtre...
- Mes croyances ne sont pas les vôtres, vous le savez fort bien et elles n'ont pas changé.
- Il ne s'agit pas de cela mais c'est une déformation professionnelle qui me fait m’inquiéter. Néanmoins, je me demande si votre espèce est dotée ou non d'une âme.
Elle réfléchit un long moment avant de répondre qu'elle n'en a aucune idée mais qu'elle ne croit pas que les animaux ou les plantes soient foncièrement bons ou mauvais. Et qu'elle croit que ce n'est pas la nature d'un être mais ses choix qui font la valeur d'une âme.
- Dans les contes, on dit que  les sirènes n'ont pas d'âme mais comment savoir ? dit l'homme.
- Comment savoir, en effet... dit Melen en souriant.



  Dans la grotte où vivent les sirènes, Melen retrouve avec plaisir l'atmosphère des jours d'autrefois. Elle se tourne vers Morgan qui est en grande conversation avec une sirène qu'il ne connaît pas. Il lui sourit et il cherche quoi faire pour se donner une contenance.
- C'est toi l'humain ? demande un jeune homme aux cheveux d'un rouge flamboyant.
- Oui, je...
- C'est la première fois que nous voyons un humain de près, enfin si on peut dire... dit-il en regardant sa queue de poisson argentée.
- Je ne suis guère différent de vous grâce à un grand sorcier sauf que je vis à la surface la plupart du temps.
- On dirait bien, en effet. Tu ne sembles pas constituer un danger pour nous. Je veux dire qu'elle ne t'aurait pas choisi si tu n'en valais pas la peine. dit la sirène en nageant autour du pêcheur qui se sent mal à l'aise mais le regard de son interlocuteur semble plus curieux qu'hostile.
Des voix emplissent la grotte et Morgan tourne la tête pour voir ce qui se passe. Un chœur s'est installé  au centre du groupe et il chante une chanson dont il ne comprend pas les paroles mais les notes cristallines l'enchantent. Il se souvient de la voix de Melen lorsqu'elle chante et il se dit que la voix des sirènes doit être plus aiguë que celle des humains pour mieux se propager dans l'eau.
- C'est pour cela que le chant des sirènes nous semble si beau, il est inhumain car il n'est pas fait pour se propager dans l'air mais dans l'eau. se dit-il.
Le jeune homme observe autour de lui curieux de mieux connaître ce peuple qu'il ne connaît que par ce que lui a dit son épouse.
- Viens, allons danser. dit la sirène en le prenant par la main.
- Je ne sais pas danser sous l'eau. s'insurge le pêcheur.
La sirène rit en l'entraînant à sa suite.
- Laisse-toi faire, je vais te guider, tu verras, l'apesanteur permet de se mouvoir différemment.
Le jeune homme se sent flotter et il laisse la sirène le faire monter à haute vitesse vers la surface. Mais juste avant de l'atteindre, elle amorce un virage pour le ramener vers le fond de la mer.
- Tu vas trop vite...
- Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer. rit la jeune femme.

  Enlacés, ils tournoient un long moment ballottés par les flots. Melen se dit que c'est cela le bonheur et que tout est parfait pour la première fois de sa vie. Elle lève la tête vers Morgan qui lui sourit et elle dépose un baiser sur ses lèvres avant de poser la tête sur son épaule pour se laisser bercer par la danse.

La dernière sirène Chapitre 6

- Tu sembles préoccupée...
- Ce n'est rien. répond Melen en séchant ses larmes.
- Tu es sûre que ça va ? lui demande Morgan en s'asseyant auprès d'elle sur le tapis de la pièce principale. Tu es glacée, tu frissonnes. Serais-tu malade ? dit-il en se levant pour aller chercher une couverture pour l'envelopper.
Face à son silence, le pêcheur s'inquiète, il l'attire dans ses bras et il la tient serré contre lui en attendant qu'elle se décide à parler. Enfin, la sirène se confie.
- J'attends un enfant. Et j'ignore s'il sera humain ou sirène.
Interloqué, Morgan la serre plus fort contre lui et la jeune femme sent ses muscles se raidir autour d'elle. Enfin, il se détend doucement.
- Je suis surpris, je ne pensais pas que c'était possible.
- Mais je croyais que tu avais pensé à cette éventualité...
- Bien sûr mais sans y croire vraiment tant cela me semblait impossible. Bien, normalement, ils seront comme nous à la fois de la terre et de la mer.
- Normalement ? Tu imagines leur vie, ils seront à part tout comme nous et l'idée de leur infliger un tel fardeau m'est insupportable.
- Tout se passera bien, j'en suis convaincu. Si nous fêtions la nouvelle ?
Melen le regarde, hésitante puis elle reprend :
- Tu prends les choses à la légère, tu ne te rends pas compte.
- Je suis conscient que ce sera difficile mais j'ai assez confiance en nous pour être certain que l'on saura les guider dans la vie malgré leur différence.
- Mais si cela se sait ? Les enfants lorsqu'ils sont jeunes n'ont pas conscience de leurs actes par moment, tu le sais.
- Que veux-tu faire, ma chérie ? Nous ne pouvons qu'accepter notre destin.
- C'est vrai. Je vais rester à m'ennuyer, il n'est plus question pour moi d'aller en mer.
- Je peux t'apprendre des chants de marins, tu aimes chanter, ça augmentera ton répertoire. J'ai appris à lire à l'école même si je lis mal et que j'ai peu de livres, seulement des reliques de chez mes parents, cela t'occupera quelques temps. Peut-être que je peux te trouver un livre sur la broderie ou la couture ? Tu pourras préparer l'arrivée de notre enfant...
- Je supposée m'enfermer durant six mois, si je comprends bien ?
- Six mois ? Chez les humains, c'est neuf mois et...
- Disons entre six et neuf mois. soupire la jeune femme.
- Bien sûr que non. Et pourquoi ne pourrais-tu pas aller en mer ?
- La mer peut se montrer violente, tu le sais. Et rapidement, je ne serais plus assez agile pour partir rapidement en cas de danger.
- Comment faites-vous dans ce cas ?
- Une sirène enceinte évite de sortir seule, elle est accompagnée au cas où. Pour fuir rapidement, les autres la tirent après eux si nécessaire, l'eau la porte et elle ne pèse pas bien lourd.
- Etrange technique. sourit le pêcheur en cherchant comment la tranquilliser. Tu sais, il y a bien des façons de profiter de la mer, tu pourrais le faire à la manière des humains en te baignant ou en marchant sur le bord de la plage... Ce n'est que six à neuf mois. Et je viendrais avec toi si tu veux nager sous ta forme de sirène.
Un peu tranquillisée, la jeune femme acquiesce.

Durant les sept mois suivants, Melen se pose beaucoup de questions quant à son choix de vivre sur terre. Bien sûr, son époux est aux petits soins avec elle et elle s'adapte peu à peu à sa nouvelle vie mais chaque jour ou presque, elle fait de nouvelles découvertes. Au fil des mois, elle apprend à tenir la maison, gérer les achats et les comptes, cuisiner et effectuer toutes les tâches nécessaires à la tenue de la maison. Elle découvre également son environnement et elle se mêle à la vie du village. Elle sent les regards peser sur elle lorsqu'elle fait son marché son panier maladroitement tenu en main mais elle fait mine de les ignorer. Chaque soir, elle apprend à lire et à écrire avec son mari qui estime que c'est nécessaire. Des heures durant, elle déchiffre les lettres qu'elle écrit patiemment. Elle a du mal à comprendre pourquoi les lettres imprimées sont différentes des signes qu'elle trace et malgré toutes les explications du pêcheur, elle ne comprend pas. Elle finit par abandonner et elle fait ce qu'il lui demande pour lui faire plaisir et parce qu'il l'a assurée que c'était nécessaire.

Un jour qu'elle est malade, le jeune homme lui ramène des plantes à infuser qu'elle ne connaît pas et elle hésite à approcher l'infusion brûlante de ses lèvres.
- Tu crains que je ne t'empoisonne ?
- Non mais il est vrai que j'ai adopté la nourriture terrestre sans me méfier. J'aurais pu me faire du mal.
Le pêcheur la regarde, il lui avoue ne pas y avoir pensé lui-même.
- Tu as raison, les médicaments terrestres pourraient te faire du mal mais nous nous en rendrons bien compte si cela arrive, non ?
- Oui, normalement, je ne devrais pas m'empoisonner sans m'en rendre compte. sourit-elle timidement.
Le goût ne dit rien à la sirène mais elle boit sans protester.
- Je dois aller travailler, je peux te laisser seule ?
Prise de frissons, Melen resserre la couverture autour d'elle.
- J'avais pensé que tu resterais...
Morgan soupire avant de lui répondre.
- Je dois aller gagner notre vie, nous ne sommes pas riches tu le sais.
- Et si je devais mourir ?
- Mais pourquoi un simple rhume serait-il mortel ?
- Peut-être parce que je ne n'en ai jamais eu auparavant. s'énerve la sirène.
Le pêcheur s'assied à côté d'elle et il la serre contre lui un moment.
- Je dois vraiment y aller, ma chérie. Reste au chaud et tout ira bien, je te le promets. J'ai été malade de nombreuses fois et je m'en suis toujours sorti indemne.
Seule, Melen hésite à rejoindre la mer mais elle se sent incapable de marcher jusqu'à la plage. Elle reste toute la journée à frissonner et à pleurer en attendant le retour de son mari. Le soir venu, elle se jette dans ses bras en pleurant et il la serre longuement contre lui.
- Ca va aller, dans quelques jours, tu seras guérie, je te le promets. Tu as mangé ? Bien, je vais nous faire à manger et je reviens te voir.

Alors qu'il revient avec un bol de soupe et une épaisse tranche de pain beurrée, il s'assied à côté d'elle sur le lit et il hésite un moment à prendre la parole.
- Je me demandais. On dit que vous noyez les marins, est-ce vrai ?
Interloquée, Melen réfléchit un moment avant de répondre.
- Cela ne m'est jamais arrivé. Il paraît que les hommes ne peuvent pas respirer sous l'eau et ton appréhension la première fois que tu es devenu sirène me le confirme. Disons que  nous estimons que si un humain se n’oit, c'est dans l'ordre des choses et nous n'avons pas à risquer nos vies pour le sauver. Toutefois, nous ne restons pas insensibles et nous le secourons lorsque nous estimons qu'il a une chance de survie. Nous l'aidons à rejoindre la surface mais parfois, alors qu'il est presque trop tard pour lui, nous le retenons et nous lui donnons un baiser qui le transformera définitivement en sirène. Mais nous ne le faisons que rarement, je veux dire, qui sommes-nous pour décider qui doit vivre ou mourir, même qui va vivre ou mourir ? Et pour décider à sa place qu'il devra quitter sa famille et tout ce qu'il connaît ?
Le jeune homme ne répond rien, il reste songeur un long moment et la sirène se demande s'il n'espérait pas une autre réponse.
- Pourquoi si vous les sauvez, dit-on que vous les noyez ?
- On dit qu'ils refusent souvent notre baiser et nous ne les forçons jamais même pour sauver leur vie. De plus, les hommes ont une survie fort courte dans l'océan et souvent nous arrivons bien trop tard. Et puis le risque est grand pour nous, on peut nous voir ou nous tuer si on nous voit approcher du marin. Parfois nous nous contentons de pousser l'humain vers la surface mais comme je l'ai dit, il est souvent déjà trop tard. Vous êtes des créatures fragiles hors de votre environnement naturel. Et ils ne nous entendent pas sous l'eau.
Elle sourit et Morgan lui rend son sourire, pensif.

- Mais dans ce cas, d'où peuvent bien venir ces croyances, je veux dire qu'elles ont presque toujours un fond de vérité...
- Je me suis souvent posé la question. Chez les sirènes, on dit que les hommes nous tuent lorsqu'ils nous voient et que vous êtes dangereux. Mais tu n'es pas dangereux, du moins, tu ne l'es pas avec moi.
- Peut-être que des sirènes ont tenté de sauver des marins et qu'on les a vues.Et puis, si certains ont été sauvés, rien ne dit qu'ils se souviennent de ce qui est arrivé ou qu'ils aient seulement compris ce qui s'est passé trop heureux d'être encore en vie.
Pensive, Melen ne dit rien.
- Je crois que certains ont été sauvés et qu'ils ont livré leur interprétation de ce qui s'est passé. continue le pêcheur.
- Sans doute mais quelle importance a tout cela ? demande la sirène. Pourquoi cela t'intéresse-t'il soudain ?
Le pêcheur sourit, un peu surpris et il la regarde intensément.
- Rien, je voulais seulement en savoir plus sur toi, j'ai rassemblé mes connaissances sur le sujet, c'est tout. Et il serait dommage de ne pas te demander ce que tu en sais car tu es la mieux placée pour le savoir.
Peu convaincue, Melen acquiesce sans rien dire.

 Une semaine plus tard, Melen décide de se rendre en ville seule alors que le pêcheur est au travail. Elle a peur mais elle sait qu'elle ne peut passer son temps enfermée et qu'elle doit affronter le monde où elle a choisi de vivre. Elle s'habille du mieux qu'elle le peut et elle s'observe dans le miroir durant de longues minutes en se demandant si elle ne suscitera pas de moqueries et si elle a bien fait de choisir cette jupe rose et un corsage rouge à dentelle. Elle n'est pas certaine que les deux couleurs s'accordent mais elle hausse les épaules et elle jette un châle sur ses épaules avant de sortir. Elle regarde l'océan qui lui fait face un long moment et elle se promet de se dépêcher pour avoir le temps de rejoindre la mer avant le retour de son mari. Elle suit le chemin un long moment et elle tourne sur elle-même pour se repérer sur le chemin du retour. Lorsqu'elle arrive dans le bourg, elle essaie d'ignorer les regards posés sur elle et elle se retient à grand peine de rectifier sa tenue.
- Il est trop tard pour cela alors arrête, tu sais que ça ne sert à rien.
Elle se force à sourire et elle marche au hasard en observant autour d'elle, elle cherche à en apprendre le plus possible sur la vie des hommes et elle prend note de l'usage qu'elle devine aux objets qui l'entourent de toutes parts. La jeune fille contemple un long moment les édifices de pierre car elle a compris que les bâtiments les plus précieux ou les plus importants étaient faits de cette matière et plus ornementés. Elle en déduit que le cœur du village a plus de valeur que les faubourgs environnants. Elle sent les regards peser sur elle et les chuchotements à son passage alors elle renonce et elle rentre rapidement dans la maison du pêcheur pour attendre son retour.

- Tout va bien ?
- Je m'ennuie, je ne connais personne. Je veux dire avant j'étais seule mais je le savais, je veux dire que je n'espérais pas que ma situation change mais maintenant, c'est différent.
- Je suis souvent en mer, c'est vrai. Termine de manger rapidement, j'ai une idée.
Intriguée, Melen termine rapidement sa soupe et après une rapide vaisselle, les deux jeunes gens sortent
- On va où ?
- Tu sais, les femmes des autres pêcheurs aiment bien se réunir le soir au coin du feu pour coudre, tricoter ou faire... des activités de femmes.
La sirène fait la moue.
- Je ne comprends pas ce que signifie des activités de femmes. Chez nous, il n'y a pas de réelles distinctions dans les rôles selon le genre.
Désarmé, le pêcheur sourit.
- Sur terre, ce n'est pas tout à fait pareil. Du moins, ici. Je crois que c'est comme ça depuis toujours ou presque.
- Mais ce partage des tâches ne se fait pas en fonction des compétences et des affinités de chacun ?
Le jeune homme secoue la tête sans répondre, il n'avait jamais vu les choses sous cet angle.
- Je peux toujours essayer, ça me changera les idées et je me ferai peut-être des amis.

Le soir venu, les hommes vont boire à la taverne et après un rapide baiser, Morgan laisse sa femme avec les autres épouses des pêcheurs, un peu inquiet.
Mais elle lui a fait comprendre qu'elle doit apprendre à se débrouiller seule.
- Bonjour, je suis Melen, la femme de Morgan, puis-je me joindre à vous ?
Les yeux se lèvent vers elle et on lui fait place sur les bancs autour de la table de bois grossier poli par les ans. Elle sent les regards peser sur elle et une femme de son âge ouvre la bouche lorsque sa sœur jumelle visiblement lui murmure qu'elle est amnésique et qu'il est inutile de l'assommer de questions.
La sirène regarde autour d'elle, elle voit les mains des femmes s'agiter pour coudre, raccommoder, tricoter et elle croise les mains sur ses genoux. Elle n'a pas amené d'ouvrage pour s'occuper et elle se contente d'écouter les conversations qui parlent des derniers ragots à propos de personnes qui lui sont inconnues. La soirée passe lentement et Melen hésite à rejoindre la mer mais elle se dit que son mari le prendrait sans doute mal. La nuit est tombée depuis longtemps lorsque les hommes reviennent parfois fort éméchés. Le regard suppliant que la jeune femme lève vers lui décide le pêcheur à écourter la soirée. Enfin seuls, ils marchent main dans la main dans la nuit.
- Tout s'est bien passé ? se risque enfin à demander Morgan.
- Je ne me suis ennuyée, je ne savais ni quoi dire ni quoi faire. Je ne me suis pas sentie à ma place, je...
Les larmes montent à ses yeux et le jeune homme a tout juste le temps d'ouvrir les bras pour la recevoir contre sa poitrine.
- Je suis désolé, j'avais pensé... Mais il est important que tu t'entendes avec elle, on ne sait jamais, je n'ai pas de famille mais les femmes de pêcheur seront là si je ne le suis plus. Je vais t'apprendre à coudre, tricoter, lire et tout ce qui pourra t'occuper. Peu à peu, tu t'intégreras à la terre et tu pourras te mêler aux conversations.
- Je l'espère... murmure la jeune femme nichée contre lui.
L'homme déglutit en fermant les yeux, le cœur serré de douleur, il sait que si elle ne trouve pas sa place en ce monde, elle retournera à la mer sans lui. Mais il se dit que c'est peut-être la meilleure solution pour eux avant de se rappeler qu'ils seront seuls face à la nature hostile.

La dernière sirène Chapitre 5


  Dans la petite maison, elle observe autour d'elle assise sur le tapis de la pièce principale.
- Où vis-tu d'ordinaire, tu as un abri quand il y a de la tempête ? demande le pêcheur les sourcils froncés et visiblement inquiet.
La sirène le regarde et elle cherche à deviner la cause de son malaise sans succès.
- Il y a quelques grottes sous-marines au large.
- Mais tu n'es pas une fée des houles ou quelque chose comme ça...
- Je ne sais pas ce que c'est.
- Une fée qui vit dans des cavernes... Elles ont des pouvoirs magiques.
- Je n'en ai jamais entendu parler. dit la sirène d'une toute petite voix en continuant à observer les objets inconnus qui l'entourent. Et je n'ai pas de pouvoirs.
- Si ce n'est celui de voler le cœur des marins...
A ces mots, Melen sourit faiblement et elle lui répond que ce n'est qu'une réputation sans fondements.
De temps en temps, elle prend en main un objet et elle le repose aussitôt, intimidée. Patiemment, Morgan tente de lui expliquer de son mieux son utilité et la manière de s'en servir.
- Tu as froid. Pardon, j'avais oublié.
Il va chercher une couverture dont il l'enveloppe. Elle serre l'étoffe contre elle qu'elle caresse un long moment en essayant de comprendre comment est fait le tissu mais elle n'ose pas poser la question et elle se tait.
- Je ne sais pas ce que tu manges, j'ai fait de la soupe de poisson, j'ai pensé que cela te plairait. Mais j'ai peut-être eu tort, ça se mange chaud et je doute que tu connaisses cette sensation.
Muette, la jeune fille ne répond rien et elle se contente de secouer la tête latéralement pour signifier son ignorance. Lorsque le jeune homme revient ses bols à la main, elle renifle longuement le liquide avant de tremper son doigt dans le récipient pour examiner la mixture de plus près. Puis, elle se décide à goûter avec prudence le breuvage qui semble lui plaire après avoir observé comment le jeune homme utilise son bol.
- Qu'est-ce que c'est ?
- De l'eau dans laquelle j'ai fait longuement cuire les poissons. Cuire sur le feu. Avec des légumes.
- Je connais le feu, un peu mais je n'en ai jamais vu de près.
- Viens avec moi. dit le jeune pêcheur en lui tendant la main.
Dans la cuisine, Melen observe l'âtre où le feu crépite. Elle approche sa main pour sentir sa chaleur , sensation qu'elle ne connaît que par le soleil les jours d'été. Cette sensation délicieuse l'intrigue et elle reste un moment à laisser sa main au-dessus de l'âtre jusqu'à ce que Morgan la prenne d'une voix douce.
- Tu vas finir par te brûler et la soupe va refroidir. Tu manges quoi dans la mer ?
- Des algues et des coquillages. Parfois du poisson mais c'est plus rare. Il y a suffisamment de nourriture à portée de main pour nous éviter de partir en chasse. Nous n'avons jamais été nombreux dans cette partie de la côte.
Emue, Melen pleure en silence et le pêcheur feint de n'avoir rien remarqué, ne sachant comment la consoler. Bientôt, elle sèche ses larmes et elle interroge son hôte.
- Tu n'as pas de famille ?
- Mon père était pêcheur comme moi, la mer l'a pris. Ma mère est morte de chagrin peu après. J'avais un frère de cinq ans plus âgé qui s'est noyé en mer et je crois que le cœur de ma mère s'est brisé à la mort de mon père. Cette partie de la côte est battue par les vents et on n'y accède que par un petit chemin escarpé. Nous sommes isolés, ce coin n'intéresse personne ; je vis seul mais je vais souvent au village le dimanche pour danser et m'amuser. Et aller à la messe quand le curé vient. Et toi ? Tu as une famille ?
- Non, non, je suis seule.
De nombreux mots ne disent rien à la jeune fille mais elle n'ose pas l'interroger, elle sait qu'elle finira par découvrir de quoi il parle. Le silence de Melen qui ne cesse d'observer autour d'elle met Morgan mal à l'aise et il la ramène à la table où il partage une pomme avec elle. Elle observe longuement le fruit avant de se décider à croquer dedans.
- Cette pomme est un fruit qui vient d'un arbre du jardin, je te montrerai tout à l'heure. Et aussi le potager d'où viennent les légumes que j'ai utilisé pour faire la soupe, j'imagine que tu ne sais pas ce que c'est.

  Après, une rapide visite au jardin sous le clair de lune, il finit par déclarer qu'il est temps d'aller se coucher pour briser le silence pesant qui règne.
Dans le débarras aménagé, le pêcheur explique du mieux qu'il peut à la sirène à quoi servent les objets de toilette qu'il a mis. Il l'aide à se changer, rougissant lorsqu'il lui désigne la chemise de nuit qu'il a cousu dans un vieux drap, se promettant d'aller acheter quelques vêtements à Melen dès le lendemain. Plus tard, couchée dans le lit, la sirène écoute les bruits de la nuit, elle en reconnaît quelques uns et elle s'endort avec le bruit de la mer qui provient de la plage qui la berce.
Seul dans sa chambre, Morgan se demande s'il n'a pas fait une erreur en ramenant la sirène chez lui, elle semble si perdue qu'il s'interroge sur le fait qu'elle puisse s'adapter à la vie terrestre. Puis il s'endort, épuisé. Elle pourra toujours retourner dans la mer si elle le souhaite, lui brisant le cœur à jamais.

  Le lendemain, le pêcheur se lève tôt, inquiet de voir la sirène partie durant la nuit. Il reste un long moment l'oreille collée à la porte de sa chambre mais il n'entend rien. Pourtant, il n'ose pas l'ouvrir pour s'assurer de la présence de la jeune fille. Une fois le petit-déjeuner et le repas du midi prêts, il songe qu'il ne peut repousser le moment fatidique et il toque à la porte avant d'ouvrir prudemment la porte. Melen s'est assise sur le lit à son entrée et elle le regarde sans rien dire.
- Je ne savais pas si tu dormais et comme tu ne répondais pas... Bref, je dois aller travailler pour gagner notre vie. Je resterai la majeure partie de la journée en mer puis j'irai au marché où j'irai vendre ma pêche du jour. Mais demain, je rentrerai tôt, je te le promets. J'ai laissé de quoi manger sur la table de la cuisine pour toi pour ce matin et ce midi, tu n'as pas besoin de le réchauffer. Il y a aussi de l'eau pour boire et te laver. J'espère que tout ira bien pour toi ?

  La sirène acquiesce, elle retrouvera la mer aussitôt que le pêcheur aura passé la porte. Ce dernier, inquiet de la laisser seule, l'embrasse longuement avant de la serrer dans ses bras et quitter la maison. Son cœur se serre à l'idée qu'elle soit retournée à la mer à son retour sans un adieu mais il doit gagner sa vie. Il se demande si le pain et le fromage qu'il lui a laissé lui plairont mais il se dit qu'il  ne peut faire mieux pour le moment et qu'elle pourra toujours se débrouiller dans la mer ou au pire qu'elle ne mourra pas de faim d'ici à ce qu'il revienne.

  Sur la plage, il retrouve son associé qui le hèle, heureux de le voir de retour au travail. Il lui avait glissé un billet sous la porte avant de retrouver la sirène pour le prévenir de son absence comme lors de son escapade chez l'ermite du Menez-Bré.
- Te voilà de retour ! La pêche a été moins bonne sans toi. Tu viens au fest-noz ce soir ?
- Je ne sais pas. dit-il en regardant son ami.
- C'est à cause de cette fille qui t'a brisé le cœur ? Il y en aura d'autres...
- Je l'ai retrouvée... murmure le jeune homme. Elle est chez moi et je m'inquiète de la laisser seule.
- Tu l'as ramenée chez toi ? Et sa famille ?
- Elle n'a pas de famille et nulle part où aller.
- C'est une vagabonde ?
- En un sens. Je compte bien l'épouser demain si elle veut bien. Viens demain matin avec Yann avec qui nous pêchons parfois, j'irai voir le curé en rentrant chez moi. Et si elle ne veut pas, vous la rencontrerez.
Interloqué, le pêcheur regarde son ami en cherchant à comprendre comment sa solitude l'a amené à recueillir chez lui une vagabonde qu'il connaît à peine et à l'épouser si vite. Mais il ne dit rien, il estime que ce ne sont pas ses affaires.
Le soir venu, Morgan entend la sirène chanter en arrivant sur le pas de la porte. Il sourit avant d'entrer sans bruit et il reste un long moment à l'écouter tandis qu'elle démêle ses cheveux d'or. Devinant sa présence, elle finit par se retourner.
- Je t'ai dérangée... dit le jeune homme, intimidé.
- Non, je t'ai attendue toute la journée et j'avais hâte de te revoir. Tu m'as surprise, c'est tout. Je ne savais pas à quel moment tu rentrerais.
S'approchant à grands pas, il la serre dans ses bras et l'embrasse avec fougue.
- Veux-tu toujours m'épouser ?
- Oui. Mais n'est-ce pas un peu tôt ?
- Demain, je n'irai pas au travail et nous irons trouver le curé qui nous mariera. Je dois juste préparer la noce. Mes amis pêcheurs viendront. S'il devait m'arriver quelque chose, tu n'aurais nulle part où aller ; en tant qu'épouse, tu as un peu de droits, pas beaucoup car je ne possède presque rien mais c'est mieux que rien du tout. Et si tu veux rester sur terre, tu auras une existence légale. Ca va ? Je crains toujours que tu t'ennuies dans la journée.
- Je rejoins souvent la mer après ton départ. Viendras-tu avec moi un jour prochain ?
- Je viendrai. Mais la vie est dure ici et je dois gagner notre vie.
- Je le sais, tu me l'as dit.
- Je ne sais pas en quoi tu crois, je veux dire si tu crois en un dieu, une divinité. interroge le jeune homme en s'asseyant auprès d'elle, mesurant qu'au fond, il ne sait rien d'elle si ce n'est qu'il est fou amoureux d'elle.
- Je crois seulement en Llyr, le dieu de la mer. Et en Belenos, le dieu du soleil.
- Nous ne croyons plus depuis bien longtemps en ces vieux dieux. Nous avons un dieu unique que nous appelons Dieu, tout simplement.
- Je ne changerai pas mes croyances pour toi.
- Je le sais et si nous avons des enfants, peu m'importe en quoi ils croient tant que leurs croyances les aident à trouver leur chemin dans la vie. Je ne suis pas très croyant ni très pratiquant pour tout t'avouer. Mais quelques fois, il nous faudra aller à la messe, si tu veux bien.
La sirène acquiesce, elle sait qu'elle doit s'adapter à la vie sur terre et faire ce qu'on attend d'elle. Mais le soir venu, Morgan n'en est plus si sûr. Il reste un long moment les yeux ouverts dans le noir en se demandant ce qu'il sait de la sirène et il craint de faire des découvertes qui l'amènent à douter de sa décision. Pourtant, il se dit que si son cœur l'a choisie, il doit lui faire confiance. Et qu'il est trop tard pour revenir en arrière.

Avant que la nuit tombe, ils se rendent dans le jardin où il la laisse à loisir observer les plantes.

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  Le lendemain, le pêcheur emmène la sirène à la ville où il lui achète une robe rouge brodée de fil d'or pour la noce, ainsi qu'une robe du même vert que sa queue de poisson qu'elle s'empresse de mettre et des chaussures de cuir noir. La longue robe la gêne un moment mais elle finit par s'amuser de la sentir battre ses chevilles qui se font bientôt douloureuses, peu habituées à la marche. Des merveilles l'entourent de toutes parts et elle entraîne le pêcheur au gré de ses découvertes. Amusé, il se laisse entraîner avant de lui rappeler qu'on les attend, il achète de quoi régaler leurs invités avant de regagner leur logis. La sirène le regarde préparer le repas, elle l'aurait bien aidé mais le jeune homme lui répond qu'il n'a pas le temps de lui apprendre à cuisiner et de lui présenter les ingrédients. Mais que plus tard, il le fera.
Morgan chantonne en s'affairant avec des ustensiles que la sirène ne connaît pas et elle l'observe, avide d'apprendre et de découvrir ce monde nouveau. Elle le voit découper les légumes et la viande qu'ils ont acheté au marché et elle se lève pour observer les ingrédients changer de couleur et de texture au fur et à mesure de la cuisson. A plusieurs reprises, le pêcheur prend une louche et il la laisse tâter la viande et les légumes, observer les changements qui s'opèrent dans la nourriture. Il sort du pain et il la laisse goûter le bouillon avec circonspection. Longuement, il lui explique le déroulement de la cérémonie à venir et il l'interroge pour être certain que son choix est fait. Mais la sirène se dit sûre d'elle et le jeune homme veut croire en sa bonne fortune tandis que la préparation mijote sur le feu. Ils mangent en silence avant de se diriger vers la petite église où le pêcheur retrouve quelques connaissances venues pour la noce. Melen à son bras, ils affrontent le vent qui bat la lande et qui décroît à mesure qu'ils se rapprochent du bourg où la sirène observe autour d'elle le lieu où elle va vivre désormais qu'elle n'a pas vraiment eu le temps d'observer à sa guise. Elle voudrait poser des questions mais le pêcheur reste silencieux et recueilli à son côté et elle préfère se taire, elle aura tout le temps pour satisfaire sa curiosité. Elle reste un moment devant la petite église, elle reconnaît la roche de granit qui compose une partie de la côte qu'elle connaît bien mais elle ne comprend pas bien comment ils s'empilent pour former l'édifice mais elle ne dit rien se contentant de garder sa question en mémoire pour plus tard.

  Lorsqu'elle entre dans la petite église, la sirène reste un long moment à regarder les vitraux et les peintures sur les murs, même si elle n'est pas certaine de comprendre toutes les scènes qui se jouent sous ses yeux. Mais les couleurs et la lumière qui passe à travers les vitraux suffisent à la ravir. Le prêtre que Morgan a bien dû mettre au courant de la situation ajoute Melen-Océane Tristana sur ses registres de baptême et de mariage, rappelant le choix de la jeune femme de quitter la mer qui l'a vue naître et lui donnant ainsi une existence légale. La cérémonie est rapide et les quelques invités se pressent pour féliciter les nouveaux mariés avant de rejoindre la maison du pêcheur. Melen ne dit rien de peur de commettre un impair, nerveuse, elle se contente de sourire et d'observer ce qui se passe autour d'elle pour suivre le mouvement.

  Le repas de noces qui suit est frugal et composé de crêpes et de galettes aux produits de la ferme que Melen découvre pour la plupart. Circonspecte, elle tâte longuement les aliments le plus discrètement possible bien consciente des yeux braqués sur elle. Elle n'aspire qu'à retrouver la solitude mais elle sait qu'elle a choisi son destin et qu'elle doit surmonter cette épreuve. Les amis de son mari se montrent aimables avec elle mais elle est mal à l'aise dans cet environnement nouveau pour elle, elle observe minutieusement ce qui l'entoure et elle tente de deviner les coutumes. Elle ne sait pas comment se tenir et elle reste assise sur sa chaise en bougeant le moins possible de crainte de commettre un impair. Un coup de coude la fait sursauter et elle tourne les yeux vers son nouvel époux.
- Bois, mais doucement. C'est de la goutte, un alcool fort, il risque de te brûler les entrailles mais nous devons trinquer, c'est la coutume.
 L'odeur ne dit rien à la jeune mariée qui renifle un instant le liquide transparent sous le regard amusé du pêcheur assis à ses côtés.
- Prête ?
Elle acquiesce et elle boit. Bientôt, le feu envahit ses entrailles et elle se sent nauséeuse, elle fuit la salle pour respirer l'air du dehors. Autour d'elle, tout tangue et elle doit s'appuyer au mur de la bâtisse pour retrouver l'équilibre.
- Je t'en ai trop mis, j'aurais dû te prévenir de ne pas tout boire d'un coup ? Ca va ? Respire, l'air frais te fera du bien. Viens dans mes bras, rien ne peut t'arriver tant que je suis à tes côtés.
Melen se niche contre la poitrine de Morgan qui la serre contre lui tandis que le vent de l'océan les malmène. Le jeune homme a froid mais il ne dit rien.
- Je ne me sens pas bien, je voudrais aller dormir.
- Le repas n'est pas terminé, nous devons encore danser.
- Je ne sais pas danser.
- Tu n'auras qu'à me suivre.
Melen se crispe et elle ouvre la bouche pour parler avant de renoncer. Mais les mots sortent sans qu'elle puisse les arrêter.
- Je ne me sens pas à ma place ici, je ne sais pas quoi faire, quoi dire. Tes amis ont l'air gentils mais je ne me sens pas bien ici, je voudrais être seule avec toi.
Une larme perle à ses yeux et Morgan soupire.
- Je te promets d'écourter la soirée autant que possible. Mais c'est notre mariage, on ne te connaît pas, tu comprends ? Tu ne parles à personne.
- J'ai peur de dire des bêtises, je ne connais rien de la vie sur Terre, j'écoute mais je ne comprends le plus souvent pas de quoi on me parle alors je me tais et je souris.
- Je comprends, je suis désolé, j'aurais dû te laisser plus de temps. Mais ce ne sont que quelques heures et ensuite, tu auras tout le temps voulu pour découvrir ce nouveau monde qui s'offre à toi.
La sirène prend la main que le jeune homme lui tend et il rejoint ses amis à quoi il annonce que son épouse est fatiguée et qu'il est temps de servir le dessert. Seule en bout de table, Melen grignote un morceau de crêpe garnie de confiture de mûres de l'an passé en guettant le moment où elle pourra se trouver loin de toute cette agitation. Elle se remémore les saveurs nouvelles qu'elle a découvertes en une seule soirée et elle se demande si la cuisine terrienne est aussi réputée et variée qu'on le prétend. Elle croise le regard de Morgan sur elle et elle se redresse avec un sourire tandis qu'il boit un dernier verre de rhum avec ses amis à l'autre bout de la table. Puis les quelques musiciens de l'assemblée se mettent à jouer et à chanter et les deux amoureux ouvrent le bal avec maladresse sous les rires de leurs amis. Morgan serre la sirène contrer lui, la soulevant presque pour danser.
- Je te promets que je t'apprendrai plus tard à danser. Mais pas ce soir. Je te jure que nous quitterons la fête très bientôt. Tu t'es amusée quand même ?
- Pas vraiment. Tu es resté avec tes amis et je me suis sentie un peu seule.
- Je suis désolé ma chérie, mais je ne pouvais pas rester tout le temps avec toi.
- Je comprends, je ne t'inquiète pas pour ça, mais j'ai trouvé le temps long, c'est tout.
Après trois danses, Morgan entraîne la jeune femme dans son sillage pour enfin la soustraire à cette agitation. Leurs amis leur souhaitent une bonne nuit avec des éclats de rire et ils se retrouvent enfin seuls.
- Viens. Ca va mieux maintenant que nous sommes seuls?
- Un peu mieux. dit-elle en le suivant jusqu'à la chambre où il la tient un moment contre lui, heureux de sentir sa présence à ses côtés et un peu inquiet à l'idée qu'elle choisisse de rejoindre la mer un jour.
- Promets-moi de ne pas partir sans me dire au revoir si tu sens que tu ne peux rester à mes côtés. On dit que les morganez partent sans prévenir un beau jour et on n'entend plus parler d'elle, laissant mari et enfants dans la peine. Je ferai mon possible pour t'aider à t'adapter à la vie sur terre et pour t'expliquer les choses que tu ne comprends pas.
- Je te le promets. dit-elle la tête posée sur son épaule déjà presque endormie.
Avec un sourire, Morgan l'aide à se coucher alors qu'elle est déjà à moitié partie au pays des rêves.

  Le lendemain, ils se rendent au bord de la mer et le pêcheur lui parle des plantes, des pierres et des animaux qu'ils rencontrent. La sirène touche longuement les plantes agenouillée au bord du chemin, elle les hume et elle tente de se souvenir des noms et des propriétés dont lui parle le pêcheur. Un papillon blanc attire son attention et elle observe le vol de l'insecte en essayant de comprendre comment une si frêle créature peut voler sans que ses ailes ne se cassent.

  Le dimanche suivant, après une courte messe à la chapelle où le pêcheur se rend plus par habitude que par conviction, la jeune sirène sent les regards peser sur elle. Ne sachant que faire malgré les explications de Morgan, elle suit tant bien que mal l'assemblée impatiente de voir l'office se terminer.
- Ca a été ? lui chuchote le jeune homme sur le parvis de la petite église.
- Je ne me sens pas à ma place ici. Tous ces regards sur moi.
- Ne t'inquiète pas, c'est normal, on ne te connaît pas au village. Et puis... on ne m'a jamais vu avec une fille à mes côtés. Alors ce mariage précipité intrigue et fait parler, c'est un petit village, les gens ont besoin de distraction.
Melen sourit perdue dans ses pensées.
- Et  après que fait-on ?
- Chacun rentre chez soi manger en famille. sourit le pêcheur en la prenant par la main. Que veux-tu faire cet après-midi ?
Melen ne répond rien et son silence buté malgré les questions de plus en plus pressantes de Morgan n'y font rien. La sirène s'est murée dans le silence et le pêcheur décide de parler d'autre chose. Une fois, la porte de leur logis fermé, il se tourne vers elle, inquiet.
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Je voulais retourner à la mer mais on pourrait nous voir.
- Ce n'est que ça. Il y a sans nul doute un endroit où nous pourrons plonger sans risque. Au bout du promontoire, il y a une sente qui descend jusqu'à un bout de plage si petit que personne n'y vient jamais.
- On pourrait nous voir ?
- Oui mais que verrait quelqu'un qui passerait par là ? Tant que nos queues de poisson restent sous l'eau nous n'avons rien à craindre. Viens avec moi, il n'y aura personne sur la plage, tout le monde est parti manger. A moins que tu n'aies faim ?
La sirène secoue la tête et elle revêt un robe toute simple avant de courir vers la plage en riant aux éclats dans le vent. Le pêcheur la suit du mieux qu'il peut mais il a peine à la suivre. Enfin, face à l'océan, la jeune fille cherche du regard un lieu où abriter leur transformation lorsqu'elle remarque une profonde cassure dans la falaise au pied de la mer et elle court s'y cacher sans se préoccuper de Morgan qui grommelle en la voyant reprendre sa course alors qu'il venait tout juste de la rejoindre. Dans l'eau mouvante, la sirène prononce la formule à voix basse et bientôt, elle se change en sirène. Tout sourire, les yeux levés vers Morgan, elle lui tend la main pour l'aider à la rejoindre dans l'eau. Elle le soutient tandis qu'il prononce à son tour la formule. Surpris, il se sent attiré vers le fond et lorsqu'il sent ses poumons se remplir d'eau, il se débat.
- Ne lutte pas ! lui dit Melen qui lui a pris la main et l'entraîne un peu plus vers le fond.
Les poumons du jeune homme s’emplissent d'eau de mer et vient le moment où il ne peut plus lutter et où il ouvre la bouche pour inspirer de l'air qui est resté en surface. Son pouls s'accélère à la pensée de mourir noyé mais il se rend alors compte qu'il respire tout à fait normalement inspirant et expirant de l'eau de mer sans dommage.
- Tu vas bien ? lui demande Melen derrière lui.
Il acquiesce malgré ses efforts pour lui parler. Il se force néanmoins à articuler quelques mots :
- Le plus dur est fait !
- Viens avec moi, je voudrais voir si quelques uns des miens sont revenus dans les parages comme je le fais régulièrement.

  Main dans la main, ils explorent les grottes et les fonds marins mais ils ne trouvent aucune trace des congénères de la morganez. Après un moment où il s'est vu mourir noyé, Morgan a dû apprendre à se servir de sa longue queue. Puissante, cette dernière l'a propulsé la tête la première dans un banc de sable d'un mouvement mal maîtrisé. Après avoir ri de sa mésaventure, Melen est venue aider le jeune homme à se remettre d'aplomb. Puis elle l'a entraîné vers le lieu où fraient des bancs de poisson qui s'entrecroisent en un lent ballet. Le pêcheur est resté un long moment à observer le lent ballet des poissons d'argent qu'il pêche chaque jour pour se nourrir. Ce spectacle qu'il n'avait jamais espéré voir un jour l'emplit de sérénité et il ne quitte les lieux que lorsque son épouse le prend par l'épaule pour l'emmener plus loin. Le pêcheur s'émerveille de voir les poissons autour de lui nullement effrayés par leur présence mais il a beau regarder autour de lui, il ne voit nulle sirène dans les parages.

- Viens, allons danser.
- Je ne sais pas danser. Et tout le monde va me regarder.
- Ils finiront par s'habituer...
Le pêcheur soupire avant de reprendre.
- Nous sommes dans un petit village où tout le monde se connaît. On ne m'a jamais vu m'intéresser à une fille d'ici et un beau jour, je ramène une jolie jeune fille venue de nulle part que personne ne connaît que j'épouse aussitôt. Les gens se posent des questions, c'est normal, ils s'habitueront à toi. Viens. Que je t'ai choisie ou une autre ne changera rien pour eux, ils auraient fait de même pour n'importe qui. C'est un mauvais moment à passer, fais moi confiance.
Melen lève les yeux vers la main qu'il lui tend et elle la prend pour lui montrer quelques pas de danse. Les lèvres dans ses cheveux, il lui promet que tout se passera bien et qu'il danse tous les samedi soir avec ses amis, il ne se voit pas y aller sans la sirène qu'il aime. Melen se laisse aller contre lui, bercée par le rythme de la danse et heureuse de se trouver dans les bras de l'homme qu'elle a choisi.
A leur entrée, les conversations se taisent et Melen cherche la main du pêcheur qui la serre fort dans sa main puissante qui la rassure. Mal à l'aise, il cherche ses amis du regard et lorsqu'il les voit, il entraîne la jeune fille à sa suite. Les danses reprennent et les deux jeunes gens se placent dans un coin de la salle pour que Melen se familiarise avec les pas et les rythmes qui se succèdent. Puis son mari l'entraîne dans une danse simple sans lui laisser le temps de protester. Maladroite, la sirène s'enhardit au fil des danses et c'est les joues rosies par le plaisir de faire quelque chose dont elle a toujours rêvé qu'elle entraîne le pêcheur dehors pour prendre l'air. Dans la nuit fraîche, la sirène lève les yeux vers les étoiles lorsqu'elle entend parler à voix basse non loin d'eux.
- Il est joli garçon mais trop pauvre pour être un parti acceptable.
- Mais il aurait pu trouver mieux que cette fille que personne ne connaît, sortie de nulle part. Personne ne l'a jamais vue par ici.
- Il a dû la trouver dans un endroit sordide pour qu'elle accepte de vivre dans sa maisonnette loin de tout. Mais d'où peut-elle bien venir ? Ils se sont mariés sans famille et rapidement à ce qu'on dit.
- C'est une fille de mauvaise vie à n'en point douter.
- Et il y a peut-être un enfant à venir dans l'histoire.
- Rentrons danser.
La conversation à voix basse s'est tue et Melen a senti son époux se crisper autour d'elle.
- Qu'ont-elles dit ?
- Ce que tout le monde doit penser tout bas. Que tu es... et bien, le genre de fille qu'on n'épouse pas. Ou que je t'ai épousée pour de mauvaises raisons.
- Je ne comprends pas ce que tu dis...
- Une fille à la mauvaise réputation que j'aurais rencontrée loin d'ici... Ou que nous attendrions un enfant avant même de nous marier.
- Une fille dont personne ne voulait. C'est ce que je suis, personne n'est resté avec moi quand ils sont partis...
- Qu'importe, ils apprendront à te connaître et ils changeront d'avis mais je crois qu'il va falloir leur dire que je t'ai trouvé un soir sur la plage, une naufragée qui ne sait qu'une chose, qu'elle vient de la mer. Cela fera taire les rumeurs et on nous laissera tranquilles. Et surtout, on ne te posera pas de questions auxquelles tu ne saurais répondre. Je pense surtout à nos enfants et ce n'est pas tout à fait un mensonge, n'est-ce pas ? Rentrons, il est tard.
- Pourrons-nous avoir des enfants ?
- Je n'en sais rien, à vrai dire. Mais je pense que oui. Et si ce n'est pas le cas, ce n'est pas grave.

  De retour dans la maisonnette, Melen reste un long moment à une fenêtre, le regard tourné vers la mer. Le pêcheur finit par la questionner et elle lui confie l'objet de ses tourments, si elle ne peut lui donner des enfants, il n'y aura plus la moindre chance de voir des sirènes sur cette partie de la côte à son décès. Morgan croit comprendre qu'elle envisage de revenir à la mer et il tait son inquiétude.
- Mais rien ne dit que ce ne sera pas le cas et qui sait ce que nos enfants choisiront entre la terre et l'océan ? Viens dormir, il est tard.
La jeune fille se blottit contre sa large poitrine et elle reste un long moment à écouter son cœur battre à son oreille. Le pêcheur s'endort et elle n'ose bouger de crainte de le réveiller.

- Je viens avec toi !
- Pourquoi ? Il est tôt, tu pourrais rester dormir.
- J'ai quitté la mer pour toi et tu me laisses seule la majorité de la journée.
- Mais qui va tenir la maison ?
- Tu vas vendre ta pêche au marché et pendant ce temps, je m'occupe de la maison. Je m'ennuie ici et si tu n'es pas avec moi à quoi bon vivre sur terre ?
Le cœur du jeune homme manque un battement, elle a dans l'idée de le quitter et la crainte de rentrer un jour dans une maison vide lui fait de nouveau peur mais il n'en montre rien. Il réfléchit qu'une paire de bras en plus ne serait pas une mauvaise idée mais il craint de voir la jeune femme le fuir. Il conclut qu'il vaut mieux qu'elle parte maintenant si l'envie lui prend et qu'il ne perd donc rien à tenter l'aventure. Ils marchent main dans la main dans la nuit pour retrouver NOM ? qui attend Morgan en fumant sa pipe à petit bouffée en regardant le soleil se lever.
- Bonjour, Melen, c'est ça ? Tu viens dire au revoir à ton mari ? Il reviendra, ne t'inquiète pas.
Intimidée, la jeune fille ne répond pas et elle attend que son époux réponde à sa place, elle ne connaît pas bien les usages sur terre.
- Elle vient avec nous, elle a insisté et qui sait si sa connaissance de la mer ne nous sera pas profitable ?
- On trouvera bien à l'occuper. On y va, on va manquer la marée.
Heureuse de retrouver la mer, la sirène se blottit dans un coin pour ne pas gêner la manœuvre de sortie du port mais rapidement la sensation nouvelle pour elle de voguer sur l'eau la met mal à l'aise. La main dans l'eau, elle tente d'apprivoiser les mouvements du bateau qui tangue sur la mer agitée. Cette sensation nouvelle lui est plaisante et elle regarde autour d'elle heureuse de découvrir la mer comme elle ne l'a jamais vue en se demandant si des sirènes se trouvent dans les eaux au-delà de l'horizon.
- On est arrivés.
Les deux hommes mettent les filets à l'eau et la pêche commence. La jeune fille observe ce qui se passe en silence pour ne pas effrayer les poissons. Un long moment se passe en silence sans que rien ne se passe puis les deux hommes remontent les premiers poissons pris dans leurs filets. Melen les regarde agoniser dans la caisse de bois où ils s'entassent et son cœur se serre mais elle ne dit rien même si elle voudrait dire aux deux hommes d'au moins abréger leurs souffrances.
- Pourquoi en prendre autant ?
- Pour les vendre au marché et nous procurer autre chose tout en offrant à d'autres la possibilité de manger des produits de la mer.
La sirène acquiesce et elle demande comment elle peut aider les deux hommes qui ne savent que répondre. Morgan comprend que son épouse s'ennuie et il se place à son côté pour lui montrer comment s'y prendre. Lorsque les deux hommes jugent qu'ils ont suffisamment pêché, ils se rendent au marché pour vendre le fruit de leur pêche. Melen observe autour d'elle et elle remarque des produits qu'elle ne connaît pas mais elle ne pose pas de question, ses compagnons sont fatigués et ils veulent vendre leurs prises au plus vite. Ils vont voir un poissonnier avec qui ils sont souvent en affaires à qui ils vendent le tout hormis ce qu'ils prélèvent pour eux-même.
- Tu veux quelque chose ? glisse le pêcheur à l'oreille de la sirène. Nous ne revenons pas en ville de sitôt, tu le sais.
- Non, rien, j'ai faim et sommeil.
- Nous allons rentrer, j'achète juste quelques provisions. Tu as dû t'ennuyer...
- C'est vrai.
- Tu pouvais en profiter pour nager...
- J'ai pensé que c'était impoli et je n'ai pas osé.
- La prochaine fois.
- Oui. acquiesce doucement la sirène le cœur serré au souvenir des poissons agonisants dans la caisse de bois du bateau.
Mais au fond d'elle, elle sait que c'est dans l'ordre des choses et qu'elle ne peut rien faire contre ça.

- Combien de temps vivez-vous ?
- Pardon ? demande Morgan alors qu'il arrivent à leur petite maison. Nous vivons en général entre cinquante et quatre-vingts ans, ça dépend. Pourquoi ?
- C'est que nous vivons bien plus longtemps que cela. En général, les deux premiers siècles nous vivons dans l'insouciance et ensuite nous dépérissons.
Le pêcheur semble préoccupé, elle le voit froncer les sourcils.
- Je pense que le moment venu, il nous faudra ou aller vivre ailleurs ou rejoindre la mer. Si nous vivons deux cent ans, nous allons attirer l'attention sur nous, on pourrait nous accuser de sorcellerie ou nous brûler. Nous verrons bien ce qu'il en est... Mais si nos enfants doivent avoir les mêmes caractéristiques que nous et l'ermite du Menez-Bré me l'a dit, nous devons les préparer eux et leurs descendants à cette éventualité. Mais nous avons bien le temps d'y penser, tranquilise-toi, mon amour des mers.
- Cela m'inquiète mais oui, le plus sage sera de quitter la terre le moment venu pour aller vivre dans la mer.

  En son for intérieur, la sirène s'inquiète de toutes ces choses auxquelles ils n'ont pas songé mais elle a confiance dans leur capacité à faire face. Le pêcheur se montre toujours calme et réfléchi ce qui la rassure, il semble prendre les choses comme elles viennent et elle espère que sa nature ne finira pas par le révulser au fil du temps. Cette nuit-là, Morgan se questionne sur son choix de vie mais il arrive à la conclusion que si c'est la seule jeune fille qui a su toucher son cœur, c'est qu'elle est celle qui lui est destinée et qu'ils surmonteront tous les obstacles.