mercredi 31 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 14/30

  Andrea dépose Rune sur la pelouse. Raya et Ambrelune un peu en retrait, il soupire avant de relire ses notes. Il ne perd rien à essayer mais la peur d’échouer est bien présente. Le jeune sorcier secoue ses cheveux vert émeraude pour se détendre puis il lève les yeux vers la pleine lune qui illumine le ciel. C’est le meilleur jour pour ce rituel, le moment est venu de tenter l’impossible. Il commence par refermer les blessures du jeune garçon pour le guérir de sa blessure mortelle puis, il relève, il est prêt.
 
D’un signe, il signifie à Raya et Ambrelune que le moment est venu de prendre ses mains pour former  un cercle. Pour se donner du courage, ils serrent leurs mains très fort et ils tentent d’oublier les bruits de la nuit autour d’eux. Peu à peu, leur esprit se vide et leur cœur se calme, il est temps. Ses notes glissées entre deux doigts, Andrea leur dit dans un murmure de ressentir au plus profond d’eux-mêmes l’amour qu’elles ont pour Rune et de le laisser emplir leur cœur. Puis, il les enjoint à croire jusqu’au bout d’elles-mêmes qu’ils vont réussir et à imaginer le miracle s’accomplir. Puis d’y croire et de ressentir la joie qui les emplira le moment venu ; pour cela, ils doivent tous trois y mettre toute leur volonté et leur foi, croire en leurs pouvoirs. Rune va  se réveiller d’un long sommeil comme on s’éveille d’un rêve. Rune dort et il va bientôt se réveiller de son rêve.

  D’une voix forte, Andrea intime à Rune de revenir dans ce monde et d’ouvrir les yeux.

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  Lorsque Rune sort de son rêve, il voit d’abord les étoiles qui illuminent le ciel. Puis il voit ses amis qui forment une ronde autour de lui.

mardi 30 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 13/30

  Andrea est penché sur un grimoire de magie noire dans la bibliothèque de la H.U.M, la Haute Université de Magie. Depuis des heures, il explore les rayons de la bibliothèque et ses grimoires poussiéreux sous couvert de recherches sur les diverses formes de magie et leurs limites. Sous ses yeux, des formules toutes plus effrayantes les unes que les autres destinées à faire des choses contre-nature et interdites défilent au fil des pages. 

  Il ne doit pas reculer, l’enjeu est trop important, la prophétie est claire et l’avenir du royaume repose sur son accomplissement. Si un élément vient à manquer, qui sait combien de temps seront nécessaire avant que les conditions soient de nouveau réunies pour que les choses changent. Après une âpre discussion avec Raya, ils ont fini par conclure que cela ne coûtait rien d’essayer d’autant plus qu’il est très probable que ce ne soit pas possible.

  Le jeune homme relit ses notes et il s’éclipse avant que quelqu’un s’intéresse aux livres qu’il étudie depuis des heures. Il sait que le temps leur est compté et que quelle que soit leur décision, elle sera difficile et irréversible. Une fois le processus enclenché, ils ne pourront pas revenir en arrière. Ils doivent parer à toute éventualité, comme la possibilité que le résultat de leur tentative soit une chose contre-nature à éliminer immédiatement sans le moindre état d’âme.
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  La pleine lune s’élève dans le ciel. Andrea porte le jeune garçon jusqu’au jardin, ils ont besoin d’espace pour officier.

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Notes d’Andrea
« Rituel antique
cercle formé de personnes brûlantes de confiance et d’envie de réussir
personne aimée et respectée
l’officiant réalise le rituel dans un élan de foi et de volonté implacable qui emplit tout son être et toute son âme
se persuader que la personne n’est pas morte mais qu’elle est en sommeil et n’attend que d’être appelée
se persuader que le film invisible qui sépare les morts des vivants est mince comme une toile d’araignée et qu’il peut être déchiré sans effort
se souvenir des fantômes et des esprits : preuve vie après la mort
remplacer la vie par la vie : échange d’énergie
préserver le corps physique
le plus tôt possible pour empêcher la décomposition du corps
risques de séquelles irréversibles
conséquences psychologiques ? »

lundi 29 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 12/30


   Une semaine passe et Rune ne revient pas. Ambrelune étudie seule sous la houlette d’Andrea. Ils travaillent dur pour se changer les idées tandis que Raya cherche à localiser le disparu. Ils ont fait appel à d’éminents confrères de la haute académie de magie mais leurs sortilèges ne fonctionnent pas. Ils ne parviennent pas à localiser l’adolescent. Les sorciers les plus puissants ne comprennent pas cette absence de résultat. Peut-être s’est-il physiquement éloigné ou bien, il est parvenu à revenir dans son monde sans pouvoir communiquer avec eux. Ou il a disparu de tous les mondes existants.
 
  La semaine écoulée, les trois sorciers décident de partir à la recherche du disparu. Il leur semble inconcevable qu’il se soit ainsi évaporé. S’il est parvenu à retrouver son monde, ils estiment qu’il a dû passer par la porte-tableau. Sinon, le royaume est petit et ils le retrouveront facilement avec l’aide des autres sorciers.
 
  Face à la porte-tableau, ils sont forcés de se rendre à l’évidence, leur ami ne s’y est pas aventuré, il leur aurait laissé un indice, ils en sont convaincus. Ils examinent longuement les lieux à la recherche d’une trace de son passage sans succès.
 
  De retour chez eux, ils font appel à leurs connaissances et bientôt une vingtaine des sorciers répondent de nouveau présents. Munis de tous les renseignements qu’ils peuvent leur fournir, les sorciers se téléportent en divers points du pays pour tenter de retrouver le jeune homme grâce à leurs pouvoirs. Andrea essaie de convaincre Ambrelune de lui faire confiance et de le  laisser la guider pour qu’elle localise, si elle le peut, sa moitié-magique. Mais elle doit lui faire confiance et le laisser s’emparer de son esprit. Elle est la personne la plus apte à sentir son pouvoir et à être attirée par le jeune garçon. Inquiète, la jeune fille accepte la proposition et bientôt, Andrea guide Ambrelune. Il lui demande de se détendre après s’être confortablement installée et de faire le vide dans son esprit puis de laisser son instinct la guider. Elle doit pouvoir sentir le disparu. La jeune fille s’exécute mais l’émotion est forte, elle s’estime responsable de Rune, ils auraient dû disparaître ensemble et elle craint son décès plus que tout.
- Je vois une lande et des étoiles.
- Vois-tu la mer ? chuchote imperceptiblement Andrea.
- Je crois entendre le bruit des vagues au loin. Je ne sais pas.
- Laisse mon pouvoir t’envahir. Des chevaux. Une odeur de sang.
 
  Le contact se rompt et ils se regardent.
- Si Rune n’a pas quitté le pays, notre zone de recherche s’est considérablement réduite. Il n’existe qu’une seule mer en Berethiel-Nienor, la mer de Muir, sans oublier la baie de Sliogàn juste à côté.
 
  Sans attendre, ils se téléportent sur la plage battue par le vent. Les deux amis commencent à chercher dans l’eau froide. Le vent emmêle leurs cheveux et agresse leurs yeux mais ils tiennent bon. Dépités, ils remontent et explorent la lande proche. Raya les appelle quelques minutes plus tard. Le cœur débordant d’espoir, ils courent vers elle. Entre deux rochers, ils remarquent ce qu’ils prennent tout d’abord pour un tas de vêtements.
 –—
  Avec délicatesse, Andrea prend le jeune garçon dans ses bras et ils rejoignent la maison de Raya, la mort dans l’âme.

dimanche 28 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 11/30

  Alors que la neige tombe à gros flocons, Rune sort dans le jardin pour admirer le tapis immaculé et cotonneux qui recouvre les alentours. Sans un mot, le jeune homme se lève et part à pied vers la capitale. Il doit vérifier quelque chose et il se téléporte au cœur de Léthyl endormie. Personne ne le remarque lorsqu’il apparaît dans une étroite ruelle. Transi de froid malgré son épais manteau, le garçon aux cheveux châtain en bataille que la longueur n’a pas réussi à discipliner réfléchit à l’endroit le plus approprié pour trouver le renseignement qu’il recherche. Ses yeux se lèvent vers le château et il se rappelle de la bibliothèque où Raya a volé un grimoire lors de leur fuite. Il sent encore sur ses mains la poussière des lourds volumes qu’elle lui avait donnés. Il se demande si le vol a été remarqué. Assis sur ses talons, il tente de se remémorer la pièce et son emplacement puis de retrouver le souvenir de ce moment pour se représenter l’endroit. Alors que le vent apporte une brassée de flocons de neige dans la ruelle, il disparaît.
    
     Rune se retourne, il est seul dans une pièce peu éclairée. A tâtons, il trouve une lanterne et il soupire de soulagement en regardant alentour : il est bien dans la bibliothèque, sa mémoire ne lui a pas fait défaut. Le cœur battant, il écoute un long moment les bruits du château mais tout est silencieux. Rassuré, après s’être déchaussé, il avance avec lenteur entre les rayons. Après une heure de recherche, il trouve enfin le volume qui l’intéresse. Recouvert de peau d’anguille, le mot Prophéties luit en lettres dorées. Le jeune homme hésite puis se ravise, il n’est pas un voleur mais il doit faire vite. Fébrile, il tourne les pages pour trouver ce qu’il cherche.
    Deux étrangers venus d’un autre monde, deux êtres aux immenses pouvoirs, deux âmes qui changeront le monde.
    Il rit doucement, c’est une blague, cette prophétie ne veut rien dire et n’importe quel acte, même infime peut changer la face du monde. Soulagé, il s’apprête à quitter la pièce mais l’envie de visiter ce lieu est la plus forte. Avec précaution, Rune arpente les couloirs déserts. Il entend des domestiques s’affairer dans une pièce proche, des voix et des rires s’élèvent dans le silence. Interdit, il s’arrête, prêt à rentrer au moindre problème. Mais rien ne se passe et il continue d’avancer jusqu’à tomber sur ce qu’il cherche : le cabinet du roi. D’un sortilège, il fait fondre la serrure et il entre dans la pièce déserte. Prestement, il referme la porte et commence sa recherche. Son manteau replié lui sert de sac où il met ce qui l’intéresse : des livres de comptes, des bijoux de prix, des parchemins qu’il ne prend pas la peine de lire. Alors qu’il allait repartir, Rune trouve ce qu’il cherche : les journaux intimes du roi cachés dans le spacieux double-fond du bureau sculpté. Lourdement chargé, il se téléporte dans la forêt.
    
     Transi de froid, le jeune garçon se demande s’il a fait le bon choix et ce qui a bien pu le pousser à cette folie. La nuit est tombée et il se relève, il a une idée. Des heures durant, il dissémine ses trouvailles dans le royaume sans savoir si cette idée est bonne ou s’il s’agit d’un risque insensé qu’il a couru pour rien. Au lever du jour, épuisé, il se téléporte chez Raya et Andrea.
       
  –—
           A midi, Raya frappe à la porte de la chambre de l’adolescent. Rune gémit puis se rendort.
    - Tu es malade ?
    - Non, j’ai mal dormi.
    - Bien tenté mais ça ne prend pas. La prochaine fois que tu vas courir les demoiselles ou les damoiseaux, range tes chaussures. Je sais qu’elles n’étaient pas là quand tu es allé te coucher car c’est moi qui les ai mises où tu les as trouvées.
    - Raya, j’ai fait une grosse bêtise !
    - Quel genre ? J’adore les bêtises des autres quand elles ne me concernent pas ! dit la sorcière en s’asseyant sur le bord du lit d’un air radieux.
    - On doit en parler dans tout le royaume. J’ai volé des choses que j’ai pensé avoir de l’importance chez le roi et je les ai éparpillées un peu partout. Je ne sais pas ce que je cherchais, une vengeance contre ce tyran, sans doute.
    - Mais nous sommes à l’abri de lui, ici. Presque.
    - Oui, mais Roséliande en a souffert et combien d’autres ? Le roi est riche, pourant, la population vit dans la misère et la terreur des soldats du roi. Le pays d’où je viens n’est pas parfait mais les choses ne sont pas comme ici. Tu comprends ? Ce n’est pas juste et je ne le supporte pas.
    - Je comprends. Lave-toi, habille-toi et viens manger ! dit la sorcière en lui jetant des vêtements propres à la figure. Avec de la chance, tu vas déclencher une révolution, je ne veux pas manquer ça ! dit Raya qui sort en sautillant sous l’œil désemparé et consterné du jeune homme.
    
     Durant le repas de midi qui est fort tardif, Rune avoue ses exploits de la nuit. Andrea le sermonne en lui rappelant qu’il a fait une folie avant de se resservir de la soupe au potiron sans revenir sur l’incident.
    - J’ai trouvé mention de la prophétie dans un grimoire du château : Deux étrangers venus d’un autre monde, deux êtres aux immenses pouvoirs, deux âmes qui changeront le monde. C’est à cause de ça que les habitants nous considéraient comme des sauveurs, ça m’intriguait, je devais savoir ce qu’il en était même si ce ne sont que des foutaises. commence timidement le jeune voleur.
    - Vraiment ? s’étonne le sorcier aux cheveux vert émeraude. Peut-être que la folie de cette nuit ne sera pas vaine.
    
     Les jours suivants, Rune s’inquiète des conséquences de son acte irréfléchi mais rien ne semble changer. Et puis, brutalement, des attaques contre les soldats du roi se font de plus en plus fréquentes, des embuscades ou encore des vols de chevaux. Au début, le roi augmente les effectifs des patrouilles et face au manque de volontaires, il enrôle de force des jeunes gens pour garantir la sécurité dans son royaume tandis que l’hiver se prolonge et que la famine commence à se propager. Des brigands envahissent les chemins et les bourgs isolés. Un soir que Rune s’est téléporté dans la lande pour observer les étoiles et tenter de deviner l’avenir, une flèche se plante dans son cœur. Il baisse la tête et ouvre la bouche pour pousser un cri qui meurt dans sa gorge en même temps que lui.
    - J’ai cru que c’était un riche seigneur, on n’en tirera rien d’autre que sa jolie cape, filons ! dit le chef de la bande.
    Pressant leurs chevaux, les brigands se fondent dans la nuit.

samedi 27 mai 2017

Nanowrimo Novembre 2016 : Le roi de la forêt obscure

  Autrefois, à une époque dont aucun homme ne se souvient, cette région était recouverte d'une forêt qui semblait sans limite. On l’appelait la forêt ténébreuse mais comme ce nom faisait peur, on l’appelait communément la forêt obscure. En effet, les arbres y étaient si denses, si serrés que la lumière n'y entrait pas. On disait la forêt ténébreuse habitée par des créatures dangereuses.
  Enfant, je vivais en bordure de la forêt obscure ; j'avais interdiction d'y aller mais vous savez ce que c'est, je suppose. On vous interdit quelque chose et l'envie d'y aller est décuplée. La nuit, il m'arrivait d'ouvrir silencieusement les volets et de la regarder sous la lune. En effet, elle était noire sous le clair de lune et elle semblait sans vie, morte. Avec mon voisin et ami, nous regardions souvent cette forêt de loin ; une fois, bravant l'interdiction de nos parents, nous allâmes jusqu'à l'orée de cette forêt. Rien ne bougeait, elle semblait morte, sans vie, comme si l'air était figé entre les arbres si serrés que l'on pouvait à peine passer. Ce jour-là, nous n'osâmes pas aller plus loin.
  Une nuit, nous étions allés à un bal et nous rentrions un soir de pleine lune. Vous savez bien ce que sont ces pleines lunes d'été : l'air est chaud, il n'y a pas de nuages et on y voit comme en plein jour tant la lune est proche. Légèrement éméchés par l'absorption de bière, nous décidâmes d'explorer la forêt, de nuit. De jour, elle nous était interdite mais l'idée qu'y aller de nuit n'était pas une meilleure idée ne nous effleura pas. Nous avions dix-sept ans, nous rentrions d'un bal où nous avions bu plus que de raison, nous étions fatigués et nous sentions prêts à affronter n'importe quoi. Sur le moment, cela nous sembla une bonne idée. C'était la pleine lune, on voyait presque comme en plein jour, que pouvait-il nous arriver ?
  Nous entrâmes dans la forêt et aussitôt, la lumière tomba. Il faisait réellement nuit sous les arbres et le paysage s'assombrissait au fur et à mesure que nous avancions. Mais comme nous arrivions encore à voir devant nous, nous avançâmes de plus en plus lentement. Malgré tout, le noir n'était pas complet, nous arrivions à deviner les formes qui surgissaient devant nous : des arbres, toujours des arbres serrés les uns contre les autres. Après un quart d'heure de marche dans la nuit, alors que nous commencions à avoir froid sous nos vestes légères, nous décidâmes de rebrousser chemin et de rentrer chez nous. Nous nous sentirions ridicules le lendemain mais nous n'avions pas de raison de continuer ainsi à avancer dans le noir presque complet d'une forêt sans intérêt. Et c'est alors que nous allions commettre l'erreur de notre vie : dans notre ivresse, nous criâmes avant de repartir en marchant d'un bon pas.
  Un bruit derrière nous nous fit sursauter mais nous ne vîmes rien. Aussi nous reprîmes notre route les mains dans les poches sans parler, attentifs aux alentours. Ne voyant rien, nous continuâmes à marcher d'un pas plus rapide. Alors que nous étions proches de la lisière de la forêt, pas mécontents d'être revenus chez nous, nous montâmes sur une petite butte et c'est alors que nous le vîmes : une haute silhouette encapuchonnée de noir et de haute stature, maigre comme un squelette nous faisait face. Le roi de la forêt obscure nous avait trouvé. De ses yeux sans vie, il nous regarda et nous nous mîmes à courir comme jamais nous ne l'avions fait de notre vie. Il était derrière nous, nous entendions ses pas légers comme ceux d'une fée sur les feuilles mortes.

  Dans sa course, mon ami entra droit sur un arbre. Quelque peu assommé, le roi de la forêt obscure fut rapidement sur lui. Il serra son cou et bientôt ses doigts sans chair qui semblaient n'être que des os lui transpercèrent le cou, le laissant mort. Je le vis de loin alors que je me retournais tout en courant.
Lentement, le roi de la forêt obscure me suivit. J'étais proche de la lisière de la forêt quand il me rattrapa, minuit sonnait. D'une voix caverneuse, il me souffla qu'il était victime d'une malédiction depuis dix mille ans. Il avait conclu un pacte avec une entité maléfique qu'il tenta de tromper et qui le condamna à errer sous cette forme dans cette forêt. Pour se voir délivré, il devait attraper un homme vivant un soir de pleine lune alors que sonnait minuit. J'allais prendre sa place et il reprendrait sa vie là où il l'avait laissée, jeune inconnu de trente ans qui arriverait bien à s'en sortir pour finir sa vie d'homme.

  Depuis mille ans, je suis le roi de la forêt obscure où personne ne vient. Les gens ne croient plus aux vieilles légendes, personne ne viendrait me défier. Et personne ne viendrait à minuit une nuit de pleine lune dans cette forêt qui n'a rien de particulier, hormis que le soleil ne pénètre jamais entre les arbres tant ils sont serrés.

Rune d'ambre Chapitre 10/30

- Allez, tout le monde au laboratoire ! glapit Raya.
- En résumé, la magie, c’est comme la très haute gastronomie ou la cuisine moléculaire : précision absolue et une fois que vous avez les bases, vous pouvez tenter d’innover. commence Andrea.
Durant deux heures, il leur fait découvrir les rudiments de la divination, de la lithothérapie, les tarots, les runes, les différentes bougies utilisables, les poisons et leurs effets ou encore l’hypnose.
  Les jours suivants, ils lancent des sorts mineurs avec plus ou moins de succès tout en apprenant à comprendre les formules du grimoire et à retrouver rapidement un sort parmi les nombreuses pages d’un livre. Avec incrédulité, ils se découvrent des capacités en divination et ils parviennent à réaliser des sorts mineurs. Peu habitués à la magie dans leur monde, les deux amis cherchent des explications scientifiques avant de conclure que ce qu’ils trouvent normal et acceptent comme parfaitement logique sans pouvoir le vérifier, comme envoyer un email en quelques secondes à l’autre bout de la planète, faire voler un avion de plusieurs tonnes voire envoyer une fusée dans l’espace ou allumer une ampoule relève du même questionnement. Une personne qui n’a jamais vu de tels phénomènes malgré toutes les notions théoriques nécessaires pourra continuer à les considérer comme magiques. Ils arrivent à la conclusion que la magie est une science que tout le monde ne peut pas pratiquer.


  Mais au bout de quelques jours, leur enthousiasme retombe, leur apprentissage est difficile et la formation accélérée dispensée par Andrea ne leur laisse pas de répit : il leur fait recommencer leurs sorts jusqu’à ce qu’ils y arrivent de manière satisfaisante. Malheureusement, ses exigences sont élevées en matière de magie car il estime que rien ne peut être laissé au hasard et que l’inexactitude peut être fatale. Pourtant, il rit souvent avec eux de leurs erreurs avant de reprendre une mine sévère. Raya leur apprend quelques sorts de métamorphose notamment pour transformer les animaux domestiques qui errent dans les environs en créatures improbables pour une durée déterminée.

 Les jours deviennent des semaines puis des mois durant lesquels, ils étudient sans relâche jusqu’à une heure avancée de la nuit. Malgré la difficulté de leur apprentissage, des moments de répit leur sont accordés ; ils partent alors en pleine nature à la recherche de plantes ou de pierres qu’ils doivent identifier. Plus sûrs d’eux, les deux adolescents mûrissent et achèvent de passer de l’enfance à l’âge adulte. Ils s’inquiètent de moins en moins de leurs parents qui commencent sûrement à s’inquiéter de leur absence même s’ils estiment que dans leur monde, ils n’ont sans doute disparu que depuis quelques jours.


  A cheval, ils sillonnent le royaume et au fil du temps, ils s’y sentent chez eux, les soldats du roi semblent avoir renoncé à les rechercher et c’est librement qu’ils explorent leur nouveau territoire. Souvent, ils se rendent à la porte qui mène à leur monde au cœur de la nuit pour essayer de nouvelles formules qui ne fonctionnent pas ou ils sillonnent le pays à la recherche d’un autre passage qui les ramènerait chez eux. Peu à peu, ils prennent conscience qu’ils ne rentreront peut-être jamais dans leur monde.


  Après six mois d’apprentissage, Raya les présente à la Haute Université de Magie où ils passent leur certificat de premier cycle magique. Elle les estime prêts et elle pense que si le lapin à dents effilées comme des lames de rasoir et à la fourrure pareille à de la barbe à papa rose bonbon n’a pas déterminé le jury à lui refuser son diplôme, ils peuvent réussir. En riant au souvenir de la scène, elle leur raconte qu’il a couru après les membres du jury durant dix minutes puis elle a estimé qu’il avait assez joué et elle l’a fait disparaître à son grand regret car il était beau comme un nuage. Remis de leurs émotions, les examinateurs étaient déterminés à lui refuser son diplôme mais ils ont reconnu sa maîtrise du sort qu’elle avait raté, chose qu’elle s’est bien gardée de leur dire. Raya a bien retenu leur sermon destiné à lui faire comprendre que sa créature était dangereuse.
  Le jour venu, Rune et Ambrelune attendent devant la porte qui va décider de leur destin. S’ils échouent, quel sera leur avenir ? Rune passe le premier et il ressort épuisé au bout de quatre heures d’épreuves, le sourire aux lèvres.
- Je t’attends ! Et prête-moi ton livre, je n’ai rien pris pour passer le temps. Bonne chance ! dit Rune alors qu’Ambrelune entre dans la pièce.
Les épreuves se succèdent et la jeune fille les enchaîne les unes après les autres. Epuisée et incapable de réfléchir, elle accomplit les tâches qui lui sont confiées comme lire l’avenir dans des feuilles de thé, métamorphoser un coussin en couffin ou argumenter sur les pouvoirs et l’utilisation de la pierre de nuumite.

 Une heure plus tard, les résultats tombent. Ils ont patienté nerveusement dans la salle d’attente en réfléchissant à la manière de rentrer chez eux. Malgré leur manque de connaissance en histoire de la magie et autres matières purement théoriques, leurs notes en magie pratique leur permettent d’obtenir largement la moyenne. A cette occasion, Raya et Andrea leur ont organisé une fête qui célèbre également leur majorité qui est fixée au dix-septième anniversaire en Berethiel-Nienor, bien qu’ils aient allègrement dépassé leurs dix-sept ans.
- Nous venons d’obtenir notre diplôme et de fêter notre majorité loin de notre famille. soupire Ambrelune. Tu crois que nous rentrerons un jour chez nous ?
- Je ne sais pas, nous avons sillonné le pays sans trouver de porte liée à notre monde. Et si nous restions vivre ici ?
- Tu es fou ? Et nos familles, nos études ?
- A quoi nous sert d’avoir notre baccalauréat ? Faire des études pour finir au chômage ? Sorcier est un métier intéressant et prestigieux. C’est varié, nous pouvons travailler en indépendant et gagner notre vie correctement ; en plus, nos connaissances nous sont utiles dans notre vie quotidienne. Et il y a peu de concurrence car il faut avoir des capacités, aller au bout des études et maîtriser les sorts communs tout en étant suffisamment inventif pour s’améliorer seul, une fois les bases acquises. Et nous ne travaillons pas seul car notre moitié-magique nous complète. Nous pouvons construire notre vie ici, Ambrelune…
- Tu crois que nous sommes des moitiés-magiques ?
- Au vu de tout ce qui nous lie, nos rêves et le fait que nous ne savons toujours pas pourquoi nous avons atterri ici, ça semble logique, tu ne crois pas ?
- Il faudra que nous demandions à Andrea d’essayer.
  Sous la surveillance du sorcier, ils tentent de réaliser un élixir de félicité temporaire qui rend celui qui le boit heureux de tout durant une durée déterminée. Ils ont réalisé la potion séparément puis ensemble. Le sorcier aux cheveux verts examine attentivement les potions avant de les boire les unes après les autres dès que les effets se sont estompés. Le jeune homme passe d’un sourire béat qui s’extasie du moindre rayon de soleil à une joie profonde à l’idée de courir dans le jardin et humer les fleurs. Une fois les effets de la potion estompée, il revient vers eux quelque peu essoufflé.
- Vous avez votre réponse ! 
 
 Durant des semaines, ils travaillent sur leur projet secret aux heures les plus noires de la nuit. Une nuit, ils pensent avoir réussi et ils se décident à essayer. Sans attendre, ils se téléportent près de la porte-tableau dans l’espoir de pouvoir rentrer chez eux. Ils culpabilisent un peu de partir sans dire au revoir à Raya et Andrea mais ils sont bien trop impatients pour s’en formaliser.
- Vas-y ! chuchote Rune.
Dans la nuit, Ambrelune récite à voix basse la formule qu’ils ont concocté mais rien ne se passe, la porte ne s’ouvre pas.
- Plan B ! murmure la jeune fille dans un souffle.
Main dans la main, ils font le vide dans leur esprit et revoient le musée et l’endroit du tableau. Ils s’imaginent devant mais cela ne fonctionne pas mieux.
- Attends, tu t’es représenté avec les vêtements que nous portions ou ceux que nous portons ? reprend Ambrelune.
- Ceux d’avant…
- Ok, on se change en vitesse avant de se faire repérer !
Dans leurs anciens vêtements qui les serrent un peu, ils recommencent l’expérience sans succès.
- Pourquoi ça ne marche pas ? dit Rune en tapant du poing contre la pierre glacée.
- Tu vas nous faire repérer, imbécile. Je ne sais pas, rentrons. Attends, peut-être est-ce parce que nous avons dans nos sacs des objets venant de ce monde qui n’est pas le nôtre ?
Leurs sacs posés à terre, ils recommencent sans plus de succès.
- Rentrons chez nous ! murmurent-ils d’une seule voix triste.
  Morose et honteux, ils en parlent le lendemain matin avec leurs hôtes qui leur reprochent d’avoir voulu partir sans leur dire adieu même s’ils comprennent leur décision. Après étude de leur formule, ils ne voient pas pourquoi elle ne fonctionne pas.
- Nous sommes prisonniers de ce monde ! s’énerve Rune. Nous ne rentrerons donc jamais chez nous ?
- Ne crie pas, c’est inutile. Vous pouvez rester ici autant que vous voulez. Et même aller vivre chez moi quand nous n’y sommes pas. tente de les rassurer Andrea.
Raya les regarde sans mot dire, elle préfère ne pas se mêler à la conversation en faisant mine de se concentrer pour caresser Acédie II. 

vendredi 26 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 9/30

  Le rire s’élève dans l’air et prend de l’ampleur jusqu’à emplir toute la pièce. Sur le rebord de la fenêtre, la grenouille verte de Raya s’apprête à sauter.
- Acédie II reste ici !
Raya bondit jusqu’au batracien et l’attrape avant de la remettre dans son bocal. Puis, elle se tourne vers Andrea.
- Et toi, Acédie I, cesse de rire, ce n’est pas drôle du tout. Nous avons du travail !
Puis d’une voix plus douce, la sorcière termine le récit de l’évasion des deux adolescents. Même si des gloussements se font entendre par moments, Andrea finit par se calmer.
- Bien voyons ces grimoires, dit le sorcier en tendant la main vers les épais livres posés sur la table. Après avoir mis de côté des coupelles emplies de confiture et de miel ainsi que des pots contenant eau chaude et lait, le jeune homme commence à tourner les pages. Par moment, il secoue ses cheveux vert émeraude qui battent ses épaules en murmurant des mots incompréhensibles. Enfin, il relève la tête et ses yeux verts s’éclairent d’un air amusé.
- Vos grimoires sont des grimoires de base de tout sorcier digne de ce nom, ils regroupent la majorité des sorts utiles et ils décrivent comment créer ses propres sortilèges. Les livres que tu as ramené Raya sont bien plus intéressants mais ils traitent d’une magie puissante et maléfique à laquelle je préfère éviter de toucher. Détruis-les !
- Quoi ? s’étrangle la sorcière.
- Ces grimoires contiennent quantité de sorts dangereux !
- Je pourrais les revendre ?
- Ces grimoires valent très chers, c’est vrai mais ils sont surtout rares. Ils n’ont rien à faire dans la maison de sorciers ordinaires. A ta place, je les ferai porter à la H.U.M. et peut-être qu’ils te considéreront autrement.
- On va me poser des questions !
Andrea soupire et après avoir marmonné une formule magique, il rend les livres comme neufs, toute trace d’usure ou d’annotation a disparu.
- Personne ne peut les faire revenir à leur état d’origine. La Haute Université de Magie sera ravie d’avoir un exemplaire de ces ouvrages dans sa bibliothèque. Vas-y maintenant avant de changer d’avis.
Raya marmonne quelque chose pour montrer sa désapprobation et disparaît.


  Quelques minutes plus tard, alors qu’ils débarrassent la table, la sorcière revient.
- Ils m’ont remerciée et ils avaient l’air heureux de mon présent. Ils m’ont demandé si je causais toujours des catastrophes puis ils m’ont félicitée lorsqu’ils ont appris que je t’avais sauvé et que je faisais moins de blagues douteuses sous ta surveillance, euh à ton contact.


Carte de Berethiel-Nienor

jeudi 25 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 8/30

  Emprisonnés dans une geôle humide, les deux adolescents attendent leur procès. Ils étaient si près du but.
- Alors les enfants, on a des problèmes ? dit une voix moqueuse dans l’ombre.
- Raya ? demandent-ils d’une seule voix.
- Oui, bon, on file.
- Merci, mais comment ?
- Le têtard vous suivait de temps en temps dans son chaudron, il a vu que vous aviez de gros ennuis. C’est qu’elle est sensible, cette petite chose, il s’inquiétait pour vous. Il a jeté un sort et tout le château est endormi, je vais aller faire un tour.
- Pourquoi faire ?
- Le sorcier du roi a beaucoup œuvré pour que je ne puisse pas finir mes études, j’ai bien l’intention de visiter son laboratoire. A l’époque, il siégeait au conseil d’administration de la haute école de magie et il voulait que la sélection soit drastique. Il n’admettait pas que des étudiants ont besoin de plus de travail et de temps que les autres pour réussir.
- Nous devons récupérer nos affaires, elles sont sous un buisson près du château.
- Je peux le faire !
Et quelques minutes plus tard, ils récupèrent leurs affaires.
- Combien de temps le sortilège va-t’il durer ?
- Deux heures… dit la sorcière d’une toute petite voix. J’ai fait croire à Andrea que mes pouvoirs seraient suffisants pour vous retrouver avant de lui avouer que je n’en étais pas sûre. Mais la logique voulait que vous soyez au cachot donc au sous-sol.
  Ils déambulent dans le château endormi et parviennent au laboratoire du sorcier officiel du roi. Raya se sert dans les placards, elle emporte des livres, des ingrédients coûteux et des potions.
- Mais tu voles ? s’étonne Ambrelune.
- Le roi est un tyran. Il nous doit bien ça ! Bon, il nous reste un peu plus d’une heure. Où allons-nous ?
- A la bibliothèque. décide Rune. Qui sait ce que nous y apprendrons.
- Reste à la trouver !
Ils remontent par maints escaliers et ils finissent par parvenir à ce qui est visiblement la salle des banquets. Le roi y festoyait entouré de sa cour lorsque le sort les a frappés.
- Si je le tuais ? propose Raya.
- Mais c’est déloyal.
- Rune, mon petit, je ne suis pas une gentille sorcière…
- Tu ne te le pardonnerais jamais ! Et puis, c’est lâche et indigne de tes grands pouvoirs.
- Peut-être… Les parties privées du château doivent plus ou moins déboucher ici, trouvons le bon escalier.
Ils se séparent et trouvent rapidement ce qu’ils cherchent. Emerveillés par la richesse des appartements, les deux adolescents en oublieraient presque leur mission. Mais la sorcière les rappelle à l’ordre et les charge de nombreux volumes tous plus lourds et poussiéreux les uns que les autres qu’elle choisit avec soin. Dégoûtés par les toiles d’araignée qui pendent des couvertures, les deux adolescents lèvent les yeux au ciel pour ne pas imaginer les arachnides courir sur leurs vêtements.
- On file ! Donnez-moi la main !
- Nous n’avons pas de main disponible ! répondent les deux adolescents de concert qui se retiennent d’éternuer, gênés par la poussière qui se dégage des volumes.
- Que vous êtes nigauds ! s’énerve Raya en leur prenant le poignet.
  Avec un cri de terreur, ils s’élèvent dans les airs mais leurs pieds sont sur une surface ferme bien qu’invisible, quelque peu rassérénés, ils savourent le paysage alentour et leur vent sur leur visage, malgré la peur qui leur glace les entrailles. Dans un grand fracas, le château commence à s’effondrer sous leurs yeux ; fascinés et horrifiés, ils ne peuvent en détacher le regard. 
- Je suis douée pour les sorts de destruction massive.
- Mais tu les as tués ! disent les deux adolescents en chœur.
- Oh, que vous êtes rabat-joie ! Je reconstruis le château, vous voyez ? Je vous promets qu’il y a des survivants ! Nous arrivons !

mercredi 24 mai 2017

Contes et légendes de Berethiel-Nienor: Les collines prémonitoires

  On raconte qu’autrefois, une sorcière spécialisée dans l’étude de l’avenir vivait dans ces collines. Nul ne se souvenait depuis quand elle vivait en ce lieu reculé. Le roi vint la voir un jour pour connaître son avenir. Après avoir longuement étudié les signes des divinités, la sorcière le mit en garde. Il est mauvais de vouloir connaître son avenir.
   Le roi  lui dit qu’il était prêt à savoir ce que l’avenir lui réservait mais elle refusa de lui raconter ce qu’elle avait vu. Le roi la menaça alors de mort et il lui passa bientôt son épée en travers du corps face à son refus.
   Un soir qu’il était ivre après un banquet célébrant une victoire, le roi mit accidentellement le feu au château. Tous les habitants périrent. Une source jaillit à l’endroit où la devineresse était tombée chargée de ses pouvoirs de divination, quiconque boirait à cette source connaîtrait son avenir sans pouvoir en modifier le cours.

mardi 23 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 7/30


   Peu à peu, le climat se radoucit, les collines prémonitoires sont en vue. Les deux adolescents gravissent sur ses pentes douces et herbeuses. Les jours ont passé sans qu’ils s’en rendent compte, une légère pluie gêne leur avancée depuis plusieurs jours mais ils ont décidé de ne pas s’arrêter pour autant. Ils ne veulent pas perdre de temps et surtout, ils ne trouvent pas de lieu où s’arrêter ce qui leur ôte la tentation d’attendre le retour du beau temps. De plus en plus inquiets, ils ont décidé d’avancer coûte que coûte. Le nom des collines les intrigue au plus haut point aussi un soir alors que le vent souffle en rafale et fait trembler la tente, ils feuillettent leur livre pour trouver une explication. Le nom des collines est lié à la source miraculeuse qu’ils ont découvertes il y a peu.
    
     Après trois jours dans les collines, durant lesquelles leur humeur a vacillé entre l’impatience et la joie, ils atteignent enfin la cascade du destin. Ravis de retrouver un lieu familier, Rune et Ambrelune sont soulagés et impatients de bientôt pouvoir rentrer chez eux. 
- Je suis désolée de ne pas toujours avoir été gentille avec toi ces derniers jours, je suis nerveuse. 
- Ambrelune, ne t’inquiète pas, je n’ai pas été très gentil non plus. Toutes les fois où je t’ai dit que tu nous retardais depuis le début parce que tu es lente, ce n’était que méchanceté pure de ma part.
- Je sais et j’ai pensé que tu étais décidemment un idiot de dire ces mensonges.
    
     Dans leur impatience, ils décident d’un commun accord de couper à travers les bois pour arriver plus rapidement à la porte qui les ramènera chez eux. 
 - Arrêtez ou nous tirons !
 Stupéfaits, ils s’arrêtent et voient trois soldats avinés s’avancer vers eux.
- Où courez-vous comme ça ? Videz vos sacs !
Rune et Ambrelune s’exécutent, ils ne peuvent rivaliser avec ces soldats.
- Un grimoire ? Vous êtes de sorciers ?
- Oui, disent-ils d’une seule voix.
- Je hais les sorciers, vous êtes morts.
D’instinct, en le voyant mettre son arc en joue, Ambrelune ramasse une pierre tranchante puis la lance de toutes ses forces et le frappe violemment à la tête. La flèche part et la blesse mais l’homme meurt sans pouvoir riposter. De son côté, Rune plante son couteau dans le ventre d’un soldat qui s’approchait pour le tuer tandis que le troisième prend la fuite ; il ne s’attendait pas à tant de résistance.
 - On a tué des gens ! se lamente Rune.
 - Tu pleureras après, on n’a pas le temps pour ça ! Nous ne sommes pas chez nous où les gens ne se tuent pas entre eux pour régler leurs comptes ou se défendre. C’était eux ou nous. Viens, on file, le soldat va donner l’alerte. 
 Ils courent à perdre haleine dans le bois mais dans leur panique, ils se perdent et ils sont bientôt incapables de se repérer. Ils tournent en rond et n’ont qu’une crainte, arriver droit sur le château.
    
     Ils errent tout le jour dans la forêt. Et quand la nuit tombe, ils entendent des chiens hurler au loin. 
 - Tu crois qu’il y a des loups dans ce bois ? demande Ambrelune.
 - Franchement, ça m’étonnerait, il est trop petit. Un loup a besoin d’un grand territoire de chasse. Par contre, peut-être que des chiens errants se promènent dans les parages et c’est tout aussi dangereux. 
 - Merci de me réconforter !
    
     Après une courte nuit difficile, ils reprennent leur route le lendemain matin. Après une nouvelle journée de marche, qui est de plus en plus facile à mesure que leurs muscles s’habituent à leur rythme soutenu, le château est en vue.
    
     La nuit venue, ils s’aventurent dans la ville où des affiches battues par le vent et la pluie sont placardées : ils sont recherchés. Le cœur battant, ils avancent vers le château qui est leur seul point de repère dans cette ville inconnue. Les rues sont désertes ce qui les soulage mais également les effraie car ils sont bien plus repérables si un passant venait à les croiser. Vêtus de longues capes noires pour mieux se fondre dans la nuit, ils avancent d’un pas léger. Ils ont enfoui leur tente et la majorité de leurs affaires sous un buisson à l’extérieur de la ville avec l’espoir de plus en avoir besoin à l’avenir. Sans parler, ils trottinent sur les pavés, main dans la main, légers comme des ombres.
    
     A pas de loup, ils s’avancent vers le château. Des soldats effectuent leur ronde sur les remparts et d’autres patrouillent aux alentours de siège du pouvoir. Après avoir traversé la moitié de la ville en silence, le château est en vue et ils cherchent à repérer la porte qui mène vers leur monde. Désorientés, ils jugent plus prudent de faire le tour du château pour repérer le chemin qui mène droit vers la porte et leur délivrance. Après un long détour, ils foulent enfin du pied le chemin de terre battue qui mène au château. Quatre heures du matin sonnent, ils n’ont pas de temps à perdre. Epuisés, ils savent qu’il leur faut fournir un ultime effort pour rentrer chez eux.
    
     La porte-tableau est enfin en vue, du moins, ils l’imaginent car ils ne distinguent rien dans le noir. Durant une demi-heure, ils la cherchent à tâtons, paniqués à l’idée qu’on les surprenne. L’aube commence à pointer lorsqu’ils la trouvent, des soldats hurlent derrière eux, ils sont repérés. 
- Tu es sûre que c’est là ?
- Oui, ne t’inquiète pas, murmure Ambrelune. Rune, aide-moi à chercher !
Ils doivent rapidement se rendre à l’évidence, ils sont au bon endroit et la porte demeure invisible alors que des soldats arrivent. Terrifiés, ils regardent en arrière puis se regardent, ils ne peuvent plus fuir et ils n’ont qu’un couteau chacun pour se défendre.  



lundi 22 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 6/30

  Après s’être éloigné des soldats, ils longent la chaîne de montagne jusqu’à atteindre une baie au climat plus clément. Elle s’ouvre sur une mer inconnue, bordée par quelques petites villes qui étincellent sous le soleil. La plage de sable fin les appelle et ils cachent précipitamment leurs affaires derrière des rochers puis ils se dirigent vers la mer. Avec délice, ils font couler le sable chaud entre leurs doigts puis se lancent dans la construction d’un château de sable. Cet amusement enfantin leur permet d’évacuer la tension des jours précédents.
- Tu crois qu’on se rapproche de la porte ? demande Ambrelune.
- Je ne sais pas. Pourquoi ?
- Nous pourrions tenter de rentrer chez nous. Nos parents doivent s’inquiéter.
- Dans tous les livres que j’ai lu qui parlent de voyage dans un autre monde soit personne ne remarque l’absence des héros, soit ils reviennent alors que des siècles ont passé. Je ne m’en inquiète pas.
- Si je résume, tu ne t’inquiètes pas de peut-être trouver ta maison en ruine, des étrangers vivant dedans et tes parents morts depuis des siècles. répond la jeune fille.
- Je ne voyais pas les choses sous cet angle. Et puis, nous n’avons pas le choix. Il semble que cet endroit soit désert, peut-être pourrions-nous y passer la journée ?
- J’approuve ! Une journée de vacances nous fera du bien.

  La journée se passe en baignades, promenades sur la plage, châteaux de sable et ramassage de coquillages pour le repas du soir. Le soir venu, ils tendent une tente de fortune avec des bâtons plantés dans le sable et des pierres. Les yeux levés vers des constellations inconnues ils se demandent comment elles se nomment et quelles sont les histoires qui s’y rattachent. Ils se disputent longuement pour décider si la lune qui éclaire le ciel est la même que dans leur monde, elle est si brillante qu’ils n’en distinguent pas les cratères mais ils concluent qu’il est impossible que cette lune soit la même que la leur. Si elle se voyait de ce monde, cet endroit aurait été découvert depuis longtemps par les diverses missions spatiales. Même s’ils n’en sont pas convaincus.
 
  Le lendemain matin, ils étudient la carte pour tenter de déterminer où ils se trouvent. Ils se se situent sur la plage de Sliogàn en bordure de la baie du même nom. Incapables de se repérer seuls, ils cherchent le volcan indiqué par la carte et décident de s’y rendre afin de s’en servir comme point de départ fiable. Ils suivent le rivage durant une journée et arrivent en vue du volcan qui gronde doucement. Inquiets, ils observent le massif et décident de ne pas s’y attarder. Malgré le soir qui tombe, ils continuent leur route vers la vallée divine qu’ils estiment à trois heures de marche. N’écoutant pas leur fatigue, ils continuent leur route en se retournant à maintes reprises pour s’assurer que le volcan ne se réveille pas. Ce n’est qu’en arrivant en vue de la vallée dans la nuit tombante qu’ils se rendent compte de leur épuisement.

  Au matin, la vallée divine s’étend devant eux. Emerveillés, ils se demandent comment ils n’ont pas pressenti cette merveille en se couchant. La vallée est emplie de fleurs de toutes sortes qui se mêlent en un harmonieux mélange de couleurs et de parfums. Leur petit-déjeuner rapidement avalé, ils s’empressent de s’enfoncer sous le couvert des arbres. Des fleurs inconnues aux couleurs, aux parfums et aux formes improbables les entourent de toutes parts. A regret, ils ne s’y attardent pas, fébriles à l’idée de rentrer chez eux le plus tôt possible. En quittant la vallée, ils hésitent car ils ne savent pas quelle direction prendre. De plus, ils s’étonnent que ce pays soit si peu peuplé car hormis quelques villages, ils n’ont pas rencontré beaucoup de traces de vie humaine. Ils se demandent si les souverains sorciers ne les auraient pas fait fuir vers des royaumes voisins.

   A la sortie de la vallée merveilleuse, Rune et Ambrelune se rendent dans le village qu’ils voient en contrebas. Ils ne seraient pas contre un peu de compagnie mais ils supposent qu’on les recherche toujours, même s’ils sont vêtus à la mode du pays et qu’ils ont lavé leurs vêtements chaque fois qu’ils en ont eu la possibilité ; en effet, ils ont trouvé au bord d’un ruisseau où les habitants du lieu qu’ils traversaient alors lavent leur linge, un savon. Ils regrettent de ne pas oser nouer des contacts avec les habitants du pays. Depuis qu’ils ont quitté Raya, Andrea et Roséliande, ils sont seuls dans leur périple.
 
 Après avoir étudié la carte, ils jugent plus prudent de suivre la rivière qui les mènera jusqu’aux collines prémonitoires puis à la porte en une dizaine de jours. Une fois qu’ils se sont assuré que leurs calculs tombent juste, ils commencent à s’inquiéter de leur absence prolongée. D’après leurs estimations, ils sont déjà partis depuis douze jours. Horrifiés à cette idée, ils décident de changer leurs plans.
- Si je me fie à la carte, si nous suivons la rivière puis prenons tout droit vers la porte, nous y serons au bout d’une trentaine d’heures de marche, soit environ six jours. Mais si nous sommes prudents et faisons un détour, nous perdrons deux jours.
- Ambrelune, peut-être pouvons-nous marcher plus longtemps chaque jour ?
Ils se regardent puis se replongent en silence dans l’étude de la carte. Ils savent tous deux qu’ils n’ont pas l’habitude de marcher autant. Cinq heures de marche quotidiennes entrecoupées de haltes sont le maximum qu’ils se sentent capables de faire.
- Ne t’inquiète pas, nous finirons bien par y arriver et dans les contes, personne ne se rend compte de l’absence des héros. Vite, cachons-nous, des soldats arrivent !
- Où ?
- Mais là, dans ces fourrés !
Des soldats en armure passent à petite distance de leur cachette. Aucun soldat ne les remarque mais cette frayeur leur rappelle le danger où ils sont.
 
  Les jours suivants, ils continuent de longer la rivière et marchent de nuit pour passer inaperçus. Il leur est plus difficile de trouver des lieux où dormir et où ils ne sont pas à la merci des moustiques mais ce qui les inquiète le plus est la diminution de leurs provisions et l’absence de village auprès de la rivière. Dans leur monde, les villes se construisent autour des points d’eau, il semble que les choses soient différentes en Berethiel-Nienor.
- Tu crois que nous pourrions construire un radeau ? Il y a beaucoup de branches et d’arbres sur les bords de la rivière qui semble inhabitée. Nous gagnerions du temps.
- Je ne sais pas, je n’ai pas envie de finir noyée.
- Nous pouvons toujours essayer.
Ils mettent une demi-journée à construire un radeau suffisamment solide pour supporter leur poids. Ils savent qu’ils prennent un risque mais la tentation d’éviter plusieurs jours de marche est grande.

  Au matin, ils mettent leur radeau à l’eau. Inquiets, ils craignent la dislocation de leur frêle esquif mais il tient. Malheureusement au bout de deux jours, ils manœuvrent mal leur embarcation qui vient s’échouer contre des pierres. Les bras et les jambes éraflées sur des pierres, les muscles douloureux, ils laissent libre court à leur découragement et leur colère.
- Mais qu’est-ce qui nous a pris de nous éloigner de cette fichue porte ! Au final, on y revient ! s’énerve le jeune garçon en tapant du pied dans une pierre.
- Nous aurions regretté de ne pas avoir visité ce pays, tu le sais.
- Mouais, un pays dangereux et inhabité. Quel merveilleux endroit pour des vacances improvisées.
- Sauf que nous n’avons pas le choix. Bon, on y va ?
- Non ! Tu sais où nous allons ? Droit sur les collines prémonitoires !
- Tu as raison, je propose qu’on continue jusque là et le moment venu, nous verrons à les contourner, je n’ai pas envie de revoir ce lieu maudit.

dimanche 21 mai 2017

L'alter ego de Raya

  Dans le monde de  Raya la sorcière, les pouvoirs magiques n’atteignaient leur apogée  qu’une fois jumelés avec ceux de sa « moitié magique ». Cette sorcière de trente ans avait le pouvoir de modeler les molécules pour transformer tout ce qu’elle voulait en n’importe quoi. Elle voyait ses proches trouver leur moitié-magique et leurs pouvoirs conjugués décuplés mais pas elle. Tout au fond d’elle, elle les enviait mais elle se rassurait en se disant qu’elle trouverait bientôt son alter ego. Au début, on la regardait étrangement, puis ses amis et sa famille prirent leur distance, quelque chose n’allait pas avec elle, c’était sûr. Elle n’était pas comme les autres, elle était différente, destinée à demeurer seule.

  Pour oublier sa condition de paria, elle se livrait à des expériences dans son laboratoire en parlant avec Acédie, son têtard domestique qu’elle désespérait de voir devenir un jour grenouille. La sorcière lui avait aménagé un confortable bocal mais elle perdait peu à peu espoir de le voir un jour se métamorphoser et ainsi avoir plus d’interactions avec lui ou elle. Au fond, Acédie était comme elle, un être à part.  Dans le voisinage, elle était connue comme l’effrayante Raya suite à quelques blagues ratées qui avaient effrayé les personnes à qui elle les destinait. Un jour, elle avait voulu créer une créature à la douce fourrure bleue clair pour amuser les enfants mais la créature, à la vue des enfants, avait tenté de les dévorer. Ce n’est qu’à grand peine que la sorcière était parvenue à la maîtriser.
 
 Elle observait souvent son têtard, elle lui parlait mais l’animal se contentait de frétiller dans l’eau ou de la regarder à travers la paroi de verre de son bocal. Elle avait l’impression qu’il la comprenait. Elle lui parlait de son désarroi de ne pas avoir trouvé sa moitié-magique, ce sorcier ou cette sorcière qui compléterait ses pouvoirs. Dans son monde, cet alter ego permettait de tirer le meilleur parti de ses pouvoirs ; en unissant leurs forces, ils compensaient leurs faiblesses. La plupart du temps, les sorciers se rencontraient à la haute école de magie ou à l’académie de magie qu’ils avaient choisi ; comme une évidence, ils se liaient et se nouait alors une relation de collaboration et d’amitié puissante. Mais Raya avait toujours été seule et elle avait peu à peu été rejetée par ses camarades au fur et à mesure qu’ils se liaient les uns aux autres puis s’enfermaient pour exploiter leur lien après les cours. En quittant l’université, toujours seule, le reste du monde la considérait d'un œil mauvais en cherchant à élucider le mystère de sa solitude. Dans son laboratoire, elle avait travaillé seule à perfectionner ses pouvoirs mais son cœur noircissait au fil des années, racorni par la solitude et de plus en plus souvent, elle se laissait aller à des expériences discutables, elle se surprenait à lancer des maléfices sans vraiment le vouloir sous l’effet d’une impulsion. Sa petite maison isolée dans un charmant coin de campagne lui semblait toujours plus solitaire.

   Raya avait croisé, quelques jours auparavant, une ancienne camarade de l’académie de magie qui s’était moqué d’elle. De rage, Raya avait fait brûler la magnifique pelouse de son ancienne camarade de classe qui lui avait lancé un regard furieux avant de tenter de rattraper les dégâts tandis que Raya fuyait à toutes jambes, ses longs cheveux violets flottant derrière elle. Une fois rentrée chez elle, ses yeux violines lançaient des éclairs. Elle balança son sac en peau de chauve-souris dans un coin avant de chercher sur quoi passer sa colère.
- Et toi, Acédie ? Tu me sers à quoi ? Tu ne te changes pas en grenouille, tu ne parles pas et tu n’as même pas de pouvoirs magiques ! Je ferais mieux de te remettre dans ta mare où tu te feras dévorer.
Le têtard tourna un moment dans son bocal avant d’aller se cacher parmi les algues. Raya se demanda s’il avait compris ce qu’elle venait de dire ou si seul le ton de sa voix l’avait effrayé. Depuis quelques temps, elle se disait de plus en plus souvent que ce têtard était bizarre. Toute la nuit, elle rêva que son têtard se changeait en grenouille et qu’il sautait à ses pieds alors qu’elle se promenait sur la berge. Elle le regardait puis elle l'écrasait avec rage comme s'il était responsable de la situation.
 
  Au réveil, elle se trouva de nouveau en seule compagnie de son têtard domestique. Devant ses tartines beurrées, elle l’observait du coin de l’œil. Raya l’avait depuis un an, elle l’avait ramassé pour obtenir une grenouille en deux ou trois mois mais il ne changeait pas d’aspect. Au départ, elle avait guetté l’apparition de pattes ou d’un début de métamorphose puis elle avait renoncé. Elle avait longuement observé la transformation des têtards de sa mare et puis, il n’était resté qu’Acédie qu’elle avait fini par prendre en pitié, il restait seul avec pour unique protection les hautes herbes de son environnement, à la merci des échassiers. La sorcière l’avait adopté dans l’espoir de pouvoir utiliser sa bave pour ses potions car cet ingrédient coûtait très cher et elle ne roulait pas sur l’or.
- Et toi, qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça, à la fin ? Tu pourrais au moins parler !
Le têtard tournoya dans son bocal et lui tourna le dos. Raya n’en revenait pas, voilà que son têtard lui faisait la tête ! Il n’était décidemment pas normal. Elle se questionna un instant en se demandant si elle ne pourrait pas le transformer en grenouille au moyen d’un de ses sortilèges mais elle craignait de se retrouver avec une grenouille morte sur les bras. Elle pourrait toujours la faire sécher pour décorer son intérieur mais elle s’était étrangement attachée au petit animal. Et au fond, elle commençait à s’inquiéter qu’il ne se métamorphose pas.
  
 Quelques jours plus tard, en revenant du marché, elle avait pris sa décision. Son bocal à têtard sous le bras, elle marcha avec précaution jusqu’au logis de son ancien professeur de métamorphose. Le vieil homme à la longue barbe blanche se raidit à son entrée.
- Tiens, mais qui voilà ? L’effrayante Raya, pardon, mon ancienne élève Raya !
- Trêve de formalités. Je sais très bien que je suis mal considérée depuis que l’école a été accidentellement envahie par ma faute d’araignées et de serpents venimeux.
-Accidentellement, vraiment ?
- Oui, je jure que c’était un accident !
- Les apparences sont contre vous et nous avons accepté que vous poursuiviez vos études par correspondance et obteniez votre diplôme en session extraordinaire après cela.
- Oui, vous avez fait de moi une paria.
Le vieux mage l’observa avec circonspection.
- Bien, continua la sorcière, j’ai trouvé cette chose l’an dernier, elle ne se métamorphose pas en grenouille et semble comprendre et entendre ce que je dis lorsque je lui parle.
- Intéressant ! D’où vient-elle ?
- De la mare près de chez moi. C’est le seul têtard à ne pas s’être transformé en grenouille, j’ai eu pitié de lui.
- Cette chose n’est pas un têtard ordinaire ma petite, tu aurais dû le deviner seule. Comment as-tu donc obtenu ton diplôme ?
- En session extraordinaire, seule et isolée de mes camarades sans personne pour me soutenir ou juste parler avant et après les épreuves. marmonna Raya en levant les yeux au ciel et en s’asseyant dans le fauteuil car son hôte ne le lui proposerait visiblement pas.
  Après quelques incantations, le têtard laissa place à un jeune homme aux cheveux et aux yeux vert émeraude. Très mince, sa peau laiteuse luisait sous la flamme de l’âtre, accentuant sa maigreur.
- Raya, vous avez entendu mes appels et vous m’avez sauvé ! Pardon, je me présente, Andrea pour vous servir.
- Non, je n’ai entendu aucun appel, je me demandais pourquoi tu ne te transformais pas en grenouille !
- Pardon, je peux vous en offrir une pour me faire pardonner !
- Ce serait la moindre des choses, dit-elle en croisant les bras.
- Comment te remercier ? Tu t’es toujours si bien occupée de moi, tu me parlais tout le temps et je sais tout de toi.
- Trouve-moi une grenouille et déguerpis, dit-elle en quittant la maison, très contrariée d’avoir perdu son confident.
  Peu après, le jeune sorcier revint, une grenouille verte dans la main.
- Tiens ! Je me demandais… N’as-tu jamais songé que je pourrais être ta moitié de sorcier ?
- Pourquoi donc ? dit-elle d’un air bougon en haussant les épaules. Tu as bien trouvé la tienne à l’académie, non ?
- Oui, mais elle est morte dans un accident de laboratoire avant la fin de nos études. Et c’est dans ta mare que j’ai atterri et moi que tu as choisi entre tous les têtards.
- D’ailleurs, comment es-tu parvenu à ma mare ?
- J’ai fait une mauvaise manipulation un jour de pluie, je me suis transformé en têtard et le ruissellement de l’eau m’a mené à ta mare. Bien, essayons toujours ! Commençons par un sort simple !
- Mais tu n’as pas faim ? Envie de retrouver ta famille ? s’inquiéta Raya.
- Plus tard ! Tout ceci est trop important, je ne peux attendre. Le reste, si !
Et ils durent se rendre à l’évidence, leurs pouvoirs magiques s’accordaient parfaitement.
- Maintenant, je veux bien manger un morceau et prévenir ma famille…
Raya lui montra la table garnie pour le petit déjeuner et le téléphone bien visible dans la cuisine. Elle était de mauvaise humeur, elle s’était attachée à son animal de compagnie.
- Au fait, pourquoi m’as-tu appelé Acédie ?
Raya ne répondit rien, comment lui avouer qu’en premier lieu, elle avait projeté de le laisser dans son bocal pour voir combien de temps il survivrait sans son aide ?

Ce texte a été rédigé dans le cadre d'un appel à textes sur le forum L'allée des conteurs. En fonction de divers critères, j'ai hérité d'une effrayante Raya et de son têtard domestique. 2 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 5/30

  En maugréant, Raya les transporte dans la baie de Wyvre.
- Nous y voilà ! C’est joli, non ? Surtout la nuit !
- Merci mais que sommes-nous supposés faire ici ? demande Ambrelune qui ne comprend pas son allusion à la nuit qui ne permet pas d’admirer le paysage.
- Je vous ai rapprochés, ce n’est pas à moi de vous dire où vous allez. Bon voyage et au revoir !
- Attends Raya ! Que risquions-nous à boire l’eau de la cascade du destin ?
- Ben, de connaître ton avenir, quelle question ! dit la sorcière d’un ton sarcastique en mettant ses poings sur les hanches.
- En quoi, est-ce mal ? demanda la jeune fille, décontenancée.
- Tu veux savoir ce qui t’arrivera ? L’heure de ta mort ? Avec qui tu vas te marier ? Quel intérêt de vivre si on sait tout d’avance ?
- Mais il serait possible d’influencer le cours du destin, non ?
- J’ai essayé, crois-moi, le destin ne bascule que quand il le veut bien. En plus, cette eau est gelée à ce que l’on dit, même s’il paraît que son goût est divin.
- Des gens y ont donc bu ?
- Oui et par un étrange hasard, ils se sont tous noyés dans le bassin sous la cascade. Va savoir ce qu’ils ont appris…Je dois y aller, Acédie, euh mon têtard, je veux dire Andrea m’attend.
- Merci Raya, nous reviendrons peut-être te voir un de ces jours, disent-ils d’une seule voix. Si tu le veux bien.
- Moui, peut-être. Je n’ai pas l’habitude des gens. Je n’ai pas d’amis, sauf Andrea évidemment. Dans un éclair de gentillesse extraordinaire, j’aurais volontiers lavé vos effets, mais ma machine à laver a tendance à salir le linge.
- Tiens, c’est mon adresse et mon numéro de téléphone dans mon monde. Tu es une sorcière alors si tu viens par chez nous, viens nous voir.
- Tu sais, mon petit, j’ai eu mon B.O.U.M., pardon, mon brevet de l’ordre universitaire magique, parce que l’université voulait se débarrasser de moi en ne me faisant pas redoubler. Mais je m’améliore !
- Andrea t’aidera. dit Rune en riant.
- Oui, il est doué ce petit têtard. Il a quand même fini par me faire comprendre qu’il était un problème à résoudre. Bon vent !  
En un instant, Raya a disparu.
- Elle nous a abandonnés ! Je n’en reviens pas ! s’exclame Rune. En même temps, elle n’avait pas l’air si gentille que ça. Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? En plus, il doit être près de midi et je commence à avoir faim.
- Nous pouvons toujours aller vers cette montagne. Ce volcan qui a l’air éteint.
Les deux voyageurs hésitent, le volcan semble éteint mais l’est-il vraiment ? Il est à trois heures de marche à vue d’œil et ils ne savent pas ce qu’ils vont y trouver. Perdus, ils observent le paysage alentour. Après une âpre discussion, ils décident de se rendre au volcan éteint pour se faire une idée de l’endroit, la curiosité l’emporte.

  Au terme d’une agréable marche dans une prairie où ils n’ont croisé que des lapins et des oiseaux, le duo arrive en vue du volcan.
- Bon, quand il faut y aller, il faut y aller ! dit Rune.
Peu à peu, l’étendue d’herbe se change en un terrain boueux. Lorsqu’un cri leur glace le sang en provenance de la baie, ils observent le rivage au loin et aperçoivent une chauve-souris dont le corps de la taille d’un lapin adulte semble pourvu de longs tentacules velus. Sans demander leur reste, les adolescents courent droit devant eux sans un mot. Un marécage nauséabond succède à la prairie, leur but se rapproche. Epuisés par plus de trois heures de marche, ils cherchent un endroit où se reposer mais ils ne trouvent pas d’îlot suffisamment ferme pour s’y attarder. Ils constatent, en outre, avec horreur que s’ils s’arrêtent plus de quelques minutes, ils s’enfoncent à grande vitesse dans la vase qui émet un bruit de succion et semble les attirer vers le fond. Avec une grimace de dégoût, ils se décident à avancer jusqu’à épuisement.
 
  Enfin, le volcan éteint est en vue et ils se reposent sur ses pentes, un peu inquiets. Peu à peu, le climat a changé. De chaud et humide mais agréable, il est devenu très chaud et très sec, le soleil semble s’abreuver de leur sueur et l’eau vient rapidement à manquer. Ils trouvent quelques sources qui se font de plus en plus rares au fur et à mesure de leur avancée.
Alors qu’ils se reposent, Ambrelune montre du doigt une cabane délabrée au loin. Epuisés, ils reprennent leur route, reconnaissants au destin de les avoir menés en vue de cette cabane qui les dispense d’entamer l’ascension de la montagne. Durant cette halte, ils mangent les sandwichs que Raya et Andrea leur ont fournis, ils ne parviennent pas à définir ce qu’ils contiennent mais après réflexion, ils décident de ne pas chercher à en savoir plus. Une demi-heure plus tard après plusieurs détours à cause de la végétation, ils frappent à la porte de la cabane.
- Bonjour, que puis-je pour vous ?
Un homme leur fait face, son regard avide les détaille longuement lorsqu’ils entrent.
- Bonjour, nous nous reposions près de votre cabane et nous avons jugé impoli de ne pas venir vous dire bonjour, commence Ambrelune.
- Je vois. Vous n’avez donc pas peur de Gurloës, le sorcier de la montagne fumante.
- Non, pourquoi ?
- Entrez donc mes amis, dit le sorcier d’un ton obséquieux. Vous n’êtes pas d’ici.
- Non, pourquoi ?
- Parce que vous êtes en mon pouvoir, jeune homme ! Inutile de tenter de fuir, la porte est verrouillée. Je vais faire des potions merveilleuses grâce à votre sang venu d’ailleurs, dit le sorcier en frétillant de plaisir. Et si je m’y prends bien, je vais devenir roi !
  Interdits, les deux adolescents reculent et se trouvent bientôt bloqués contre la porte.
- Pour ce genre de potions, il faut du sang royal. C’est d’ailleurs l’ingrédient principal.
- Comment le sais-tu, jeune fille ?
- Je suis une très grande sorcière dans le monde d’où je viens. Une sorcière de niveau cinq qui maîtrise les cinq arcanes lunaires, solaires, terrestres, stellaires et opalescentes.
Rune profite de la stupéfaction de leur ravisseur qui réfléchit à ses paroles pour lui asséner un coup de poing dans la mâchoire qui l’envoie contre une table. Assommé, il ne bouge plus.
- Bien joué ! On a eu de la chance sur ce coup-là ! On file, déclare Ambrelune. Surveille-le, je fais le tour pour voir ce qu’on peut voler. Quoi ? Pourquoi me regardes-tu ainsi, c’est un dédommagement pour le préjudice moral qu’il nous a causé !
- Fais vite dans ce cas !
 
  Quelques minutes plus tard, ils fuient avec des provisions et deux grimoires qu’ils ont pris sans réfléchir. Ils fuient droit devant eux vers des montagnes, ils ont besoin de solitude pour prendre la meilleure décision. Ils marchent durant trois jours en essayant de passer inaperçus. Mais ils croisent peu de voyageurs sur les grands axes, ce qui les conforte dans leur choix. Peu à peu, le terrain monte et la température descend ce qui les réjouit, ils approchent de leur but. Durant des heures, ils marchent dans le froid et la neige qui se fait de plus en plus présente. Ils se disent qu’ils sont fous et qu’il est temps de rebrousser chemin lorsqu’ils aperçoivent une maison devant eux. Ils n’ont pas le choix, une tempête de neige se prépare. Ils ont passé la dernière dans un igloo de fortune fait de neige, ils sont gelés car ils n’ont pas les vêtements adaptés et c’est sans réfléchir qu’ils courent vers la maison. Abandonnée, la maison de bois leur paraît accueillante et inhabitée depuis quelques temps. Transis de froid, ils décident de fermer tous les volets pour se protéger du froid et ne pas éveiller la curiosité d’un habitant de la région. Enfin, ils font un feu dans le poêle à bois puis ils font chauffer de l’eau pour de rapides ablutions dans un baquet avant de se changer. Réchauffés, leurs estomacs se rappellent à eux et ils se servent dans le garde-manger bien garni.
- Cette maison semble abandonnée depuis des lustres. dit Ambrelune après une rapide inspection. On dirait que les habitants ont fui. Il y a un tas de déchets dans la buanderie.
- On peut toujours aller regarder, ce ne sera pas du vol, vu qu’ils allaient jeter tout ça. répond son compagnon.
Avec un haussement d’épaule, elle lui emboîte le pas. Des effets sont entassés parmi des déchets alimentaires momifiés, des objets et des meubles cassés. L’odeur n’a rien de particulier, ils estiment que la pièce est vide depuis assez longtemps pour avoir chassé l’odeur de pourriture. Ils récupèrent une toile qui pourra de tente de fortune, des ustensiles de cuisine, des livres de contes et légendes de la région, des couvertures chaudes et légères, des bottes ainsi que le nécessaire pour faire du feu.
  Plus tard, le ventre plein, ils s’installent dans une chambre à l’étage après avoir pris soin de fermer tous les rideaux de la maison pour masquer leur présence de l’extérieur. Par prudence, ils ont baissé le poêle au minimum pour limiter la fumée qui pourrait intriguer un improbable passant. Epuisés, ils s’endorment immédiatement.

  Le lendemain matin, reposés par leur nuit dans un vrai lit, ils fouillent de nouveau la maison et concluent qu’elle est abandonnée depuis longtemps. Ils ajoutent à leur butin une carte du pays qu’ils examinent en prenant leur petit déjeuner. Après concertation, ils décident de quitter la chaîne de montagne des Élondianes où ils se trouvent pour tenter de revenir vers la porte par laquelle ils sont entrés en longeant la côte qu’ils espèrent tranquille. Ils estiment leur périple à quatre jours de marche forcée. Mais la perspective de retrouver un climat plus clément est une source de réconfort. Peu enclins à quitter leur nid douillet malgré les risques, ils s’accordent une journée de repos supplémentaire qu’ils passent à lire et à parler de leur avenir. Pourront-ils rentrer un jour chez eux ?
 
  Le jour prévu, après avoir nettoyé la maison en dédommagement de ce qu’ils ont pris, ils partent à l’aube par crainte d’être remarqués. Ils ferment soigneusement la porte de leur éphémère logis et marchent d’un bon pas en espérant prendre la bonne direction. Ils suivent la chaîne de montagne sans savoir à quel moment bifurquer, ils n’osent pas entrer dans les rares villages qu’ils voient sur leur chemin. Après avoir comparé leurs estimations basées sur la carte, ils décident de poursuivre durant deux jours avant de s’éloigner de la montagne, ils l’espèrent, pour rejoindre la mer et un climat plus clément. Peu à peu, ils atteignent la vallée et la neige se fait plus rare, la température se radoucit. Vêtus à la mode du pays, ils saluent gaiement les personnes qu’ils croisent de plus en plus souvent dans l’espoir de ne pas se faire remarquer s’ils tentent de passer inaperçus.
 
  En quittant les montagnes, ils s’accordent une journée de repos dans un bois. Ils ramassent des noisettes, des mûres et des champignons qui complètent leurs provisions avant de se promener sous les arbres en quête d’un lieu où faire une halte. C’est là que des soldats les surprennent et les assaillent.
- Nous recherchons des étrangers.
- Nous venons des montagnes d’Élondianes, nous n’avons croisé personne de suspect.
- Dans ce cas, vous ne verrez pas d’inconvénient à nous suivre.
- Non, bien évidemment.
Ambrelune foudroie Rune du regard. Ils suivent les soldats jusqu’à un poste de police hâtivement construit avec des planches où on les interroge. Ils disent habiter au pied de la montagne fumante, près de la maison d’un sorcier étrange, Gurloës, dans l’espoir que les soldats ne connaissent pas la région.
- Que faisiez-vous chez ce vieux fou ? Il est connu de tout le pays.
- Nous voulions être moins souvent malades pour servir au mieux le roi et la reine.
- Tu n’as pas vu d’étrangers ou des gens habillés de manière étrange, petit ?
- Non, dit Rune.
- Et toi ?
Ambrelune secoue la tête pour dire que non, elle n’a rien vu.
- Filez, vous deux !
Ce qu’ils s’empressent de faire.

samedi 20 mai 2017

Nanowrimo Novembre 2016: Le sorcier incompétent

  Il y avait une fois, il y a bien longtemps dans un pays lointain, un sorcier qui n'avait pas été très assidu durant sa formation. Il ratait souvent ses tours, se trompait dans les formules et les résultats étaient parfois hasardeux, voire désastreux.
Un jour, alors qu'il préparait une potion pour éliminer une fatigue passagère alors qu'il avait de nombreuses tâches à accomplir, il se rendit impalpable. Pas invisible, non, il n'avait plus de réalité physique : il ne pouvait ni parler, ni saisir des objets, rien. Inquiet, il se déplaça jusqu'à son miroir et s'examina. Il ne vit rien dans le miroir et quand il tenta de le toucher, le miroir ne changea pas d'aspect, il n'y avait ni buée ni rien qui indiqua qu'on l'avait touché. Quand il passa sa main au travers du miroir, le sorcier compris que sa situation était difficile. Quand il tenta sans succès de parler, il comprit que sa situation était désespérée. En effet, comment produire des sons sans muscles, a fortiori sans cordes vocales ? Comment trouver de l'aide de cette manière ? Consulter des livres pour trouver un remède à sa situation ?

  Il avait beau réfléchir, il ne savait que faire. Il commença à pleurer et resta longtemps ainsi. Puis il sortit dans le but de trouver de l'aide. Il ne pouvait pas plus marcher que parler mais par chance, sa fenêtre était ouverte et un courant d'air l'emmena au-dehors. Flottant dans l'air, il traversa sa ville, invisible et ignoré de tous. Sa situation lui semblait désespérée jusqu'à ce qu'il traverse un nuage de poussière et que son maître qui était très observateur remarque que la densité de l'ombre qu'il projetait sur le sol délimitait une silhouette. Intrigué, il jeta un sort qui lui rendit son apparence première.
Le sorcier remercia son maître mais celui-ci fut furieux et lui fit comprendre le danger qu'il y avait à pratiquer la magie sans la maîtriser. Il le renvoya en formation qu'il supervisa lui-même. Quand le sorcier obtint de nouveau son diplôme dix ans plus tard, il savait utiliser la magie et intérieurement, il remercia son maître de sa sévérité qui le mettait à l'abri d'une deuxième mésaventure.

vendredi 19 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 4/30

  Ambrelune réfléchit en silence à cette histoire de moitié magique. La façon dont elle semble inexplicablement liée à Rune, le fait qu’on semble les attendre dans ce monde. Tous ces indices lui font craindre le pire. Et s’ils avaient vraiment un rôle à jouer ?

  Tout le jour, ils continuent de marcher. Au début, les deux jeune gens observaient le paysage mais bientôt, ils sont trop fatigués pour y prêter attention. Le soir venu, ils arrivent devant la cascade du destin qui étincelle sous la lumière dorée du soleil couchant. Emerveillés, ils admirent ce spectacle avant de préparer leur campement pour la nuit. Au moment où l’aube se lève, Rune ouvre les yeux et va se rafraîchir sous l’eau de la cascade où il boit avec délectation l’eau glacée qui le purifie des peurs passées. Après une sommaire toilette car l’eau est gelée, il s’assied pour profiter de la fraîcheur qui émane de l’eau.

- Ce n’est pas une bonne idée de boire l’eau de la cascade du destin…
- Pourquoi ? demande Rune.
- Tu pourrais apprendre des choses que tu ne veux pas savoir… dit une femme enveloppée d’une cape.
Un cri s’élève et le jeune garçon court dans sa direction sans réfléchir. Il trouve Ambrelune en pleurs auprès de Roséliande.
- Ne pleure pas, dit la fée d’une voix douce. Ma vie touche à sa fin, même si elle aurait dû être bien plus longue, elle a été heureuse. Portez-moi seulement dans l’eau quand la fin sera venue. Je vais m’endormir et devenir une nymphe des eaux ou peut-être un poisson. dit-elle dans un rire.
Sur ces mots, elle s’endort et quitte ce monde pour passer dans un autre. Les spectateurs restent interdits et ils exécutent ses dernières volontés puis regardent Roséliande s’enfoncer dans l’onde mouvante.
- Qu’allons-nous faire ? se demandent-ils, incapable de réfléchir.
- Venez chez moi. dit la femme à la cape.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis Raya.
- L’effrayante Raya ? s’étonne Rune.
- Non, mais c’est pas bientôt fini, cette histoire ?? Oui, j’ai fait des blagues douteuses, avant, enfin je n’en fais plus beaucoup et des pas méchantes. Je me suis beaucoup améliorée auprès d’Acédie, euh Andrea. Bon, vous venez ou vous restez plantés là, les enfants ?
- Nous ne sommes pas des enfants, grommelle Rune. Bon, on la suit ou pas ?
- Allons-y. soupire Ambrelune.
- Vous prenez ma main, les enfants ? On ne va pas marcher jusque chez moi ! Enfin, ma maison de vacances.
Avec un peu d’hésitation, ils prennent sa main et se retrouvent en un instant dans une petite maison au bord d’une plage ensoleillée.

- Mon têtard, nous avons des invités !
- Ah ?
Ils voient s’avancer un jeune homme aux yeux et aux cheveux vert émeraude qui contraste avec sa peau de lait.
- Bonjour, je m’appelle Andrea ! les salue le sorcier avec un sourire lumineux qui contraste avec l’air un peu revêche de sa partenaire.
Ils se présentent et s’assoient timidement comme les y invite leur hôte tandis que Raya prépare un goûter. Quelques minutes plus tard, ils grignotent des tartines beurrées devant du thé fumant en racontant leur aventure.

  Horrifiée, Raya les sermonne :
- Il n’est pas prudent de se promener seuls dans ce pays. Le roi et la reine ne se préoccupent pas de nous et les soldats nous évitent ; mais dans le reste du royaume, il peut être dangereux de se promener sans armes.
- Ils ont surtout peur de l’effrayante Raya. rit Andrea.
- Ma réputation me précède, je n’y peux rien ! Et cesse de rire ou je te transforme en têtard.
- Si tu y arrives !
- Vous n’avez rien d’effrayant, s’exclame Ambrelune tandis que Rune lui donne un coup de coude dans les côtes.
- Je sais, je n’ai pas arrêté de le dire durant des années, dit-elle en tortillant nerveusement une mèche de ses cheveux violets que Rune ne quittait pas des yeux, fasciné par cette couleur improbable. J’ai raté quelques sorts…
Devant leur regard interrogatif, Raya avoue ses erreurs.
- J’ai accidentellement envahi mon école d’araignées et de serpents venimeux. Les professeurs n’ont pas voulu que je les aide à réparer les dégâts. Et j’ai fait des blagues qui ont été mal interprétées comme la fois où j’ai créé une créature à la douce fourrure bleue clair pour amuser les enfants. Elle a voulu jouer avec eux et a tenté de les dévorer. Mais je les ai sauvés, ça n’a pas été facile mais j’ai réussi. Et on ne m’a même pas remerciée ! Encore un peu de thé ?

  Une tasse de thé plus tard, Rune se décide à poser la question qui les taraude.
- Et la moitié magique, c’est quoi ?
- C’est le sorcier dont les pouvoirs sont compatibles avec les vôtres. Lorsque vous faites des sorts ensemble, ils sont plus puissants car les forces de l’un complètent les faiblesses de l’autre.
- Il faudrait pour cela que nous ayons des pouvoirs magiques. l’interrompt Ambrelune.
- Ne vous est-il rien arrivé d’étrange par le passé ?
- Hormis être aspiré par un tableau et faire des rêves prémonitoires ?
- Cela signifie qu’il y a de la magie en vous. Au moins, des pouvoirs de divination. répond Raya.
- Et on semble nous attendre comme des sauveurs… murmure Rune.
- Ah oui, cette prophétie à la noix ! Des sauveurs venus d’ailleurs, je n’y crois pas. Tant que le pouvoir m’oublie, ça me va. Quoi, Acédie ?
Devant leur air interrogateur, Raya leur explique qu’autrefois, Andrea était un têtard domestique nommé Acédie.
- Les aider ? Et risquer des ennuis ? Alors que nous sommes si tranquilles ? D’ailleurs où voulez-vous aller, au juste ? Quoi, vous suivez une fée sans vous souvenir où elle voulait vous emmener ? Vu la direction que vous suiviez, vous alliez vers la baie de Wyvre. Cet endroit est dangereux !
- Pourquoi ? demandent-ils d’une seule voix.
- Il y a des choses là-bas à ce que l’on raconte. Des choses effrayantes.
- En fait, nous ne savons pas ce que nous cherchons, hormis rentrer chez nous, alors nous explorons le pays.
- Ambrelune, vous ne savez pas où vous êtes tombés. Depuis soixante ans, ce pays est asservi par des souverains au grand pouvoir. Mais je sens que vous avez des pouvoirs, trouvez-les, apprenez à les maîtriser et peut-être que vous serez de taille à lutter. Les prophéties ne mentent pas toujours.

jeudi 18 mai 2017

Rune d'ambre Chapitre 3/30


   Le lendemain matin, Ambrelune est réveillée par de délicieuses effluves venant de la cuisine. Elle y rejoint Rune et leur hôtesse. Après avoir siroté sa boisson qui rappelle un chocolat chaud particulièrement épais et onctueux, elle se décide à interroger la vieille femme.
- Quelle est donc cette histoire de prophétie ?

- Ce pays est sous la coupe d’un roi et d’une reine qui font régner la terreur depuis soixante ans. Leurs soldats parcourent le pays pour faire respecter leurs lois liberticides et récupérer les impôts. Beaucoup parmi nous sont emprisonnés et ne reviennent jamais ou ils sont exécutés sans jugement. La justice n’a rien de juste dans ce pays. Pourtant, autrefois, la paix et la prospérité régnaient jusqu’à ce que le roi mourut et que ses seuls héritiers soient ce roi et cette reine sanguinaires et tyranniques. Ils vivent dans l’opulence tandis que le peuple vit dans la terreur et la misère lorsque les habitants n’ont pas les bonnes relations.
- Et cette prophétie ?
- J’y viens jeune homme, un peu de patience. Une enchanteresse qui a tenté de fomenter un complot pour renverser la souveraine a été condamnée au bûcher et alors qu’elle attendait qu’on enflamme le combustible, elle a déclaré qu’un jour, quelqu’un d’un autre monde mettrait fin au règne de la reine tyrannique si personne ne le faisait avant. D’où venez-vous au juste ?
- De la planète Terre. Comment s’appelle ce pays ?
- Jeune fille, vous êtes en Berethiel-Nienor, gouverné par le roi Calminaiel et la reine Aistacariel. Qui êtes-vous ?
- Je m’appelle Ambrelune et voici Rune. Si je comprends bien la reine est plus tyrannique que le roi qui suit ses instructions ?
- A dire vrai, c’est une excellente question. Ses décrets portent généralement mention des deux souverains. Je crois que sa majesté Aistacariel se plie plus volontiers à ses obligations mondaines que le roi, on la voit plus souvent donc on l’associe au pouvoir en place. Voulez-vous visiter notre monde ? Je vous ai préparé des baquets d’eau chaude, vous pourrez vous laver. Je vais vous trouver de nouveaux vêtements dans le voisinage, vous ne pouvez posséder que deux tenues, je reviens.

Ils regardent la vieille femme sortir.
- Si elle nous dénonce ? chuchote Ambrelune.
- Va te laver, je surveille tes arrières.
Heureuse de retrouver de l’eau chaude et du savon, Ambrelune se glisse avec délice dans le baquet. Une robe blanche et marron avec un laçage a été déposée dans la pièce sans qu’elle ne s’en soit aperçue mais elle ne s’en formalise pas et elle goûte la joie de se vêtir d’un linge propre et frais.
Rune la remplace et elle rejoint leur hôtesse qui lui dit qu’elle va les emmener visiter la ville pour qu’ils se fassent une idée de la situation. Le jeune homme est accueilli par les rires de sa compagne qui ne trouve décidemment pas son habit vert émeraude brodé de fil d’or. Il détaille le pantalon bouffant et la tunique à manches longues à peine soulignée d’un galon doré sans comprendre. Lorsqu’il examine le gilet brodé d’or des épaules aux avant-bras, agrémenté d’une large bande dorée aux  poignets, il comprend mieux son hilarité causée par la surprise.
- Quoi, ça change de mon style habituel, non ?
- Tu sembles sorti d’un film historique !
- Tu ne t’es pas regardée…
- Si vous cessiez de vous disputer, nous pourrions visiter les lieux, les coupe Roséliande.


  Ils quittent le village d’abord tendus puis sereins lorsqu’ils se rendent compte que personne ne les observe. Ils reconnaissent le chemin par lequel ils sont venus qui mène au château et au tableau qui leur a permis d’entrer en ce monde. Par-delà le chemin, ils aperçoivent une grande prairie puis de la lande et enfin la mer bordée d’une plage de sable fin. De l’autre côté, Roséliande leur explique que plusieurs villages se trouvent en bordure de la forêt qui est traversée par un lac et une rivière qui jaillit des montagnes enneigées qu’ils voient au loin. De l’autre côté du lac, se trouve un désert de sable et de cailloux qui n’a pas d’intérêt même si on dit que les oasis sont belles. Et le château se dresse devant leurs yeux, le siège du pouvoir du tyran.
- Le château a toujours été là ? Et le chemin ?
- Il paraît que le roi qui a fait construire ce château a aussi fait construire ce chemin.
- Donc ce roi viendrait de notre monde ? s’interroge Rune.
- Peut-être bien, nul ne s’en souvient, lui répond la vieille femme. 

  Durant la journée, ils explorent une partie de ce petit royaume. A la prairie et à la forêt succède un lac puis leur nouvel ami leur montre des montagnes au loin avant de les ramener au bout d’une vingtaine de kilomètres de marche vers la mer qui s’étend à perte de vue. Après s’être longuement reposés et avoir déjeuné, ils reviennent par la porte qui leur a permis d’entrer dans ce monde. Le lendemain, ils partent explorer l’autre côté du village. Ils arrivent à un lac où ils passent la journée. Roséliande leur explique que la rivière qui alimente le lac naît d’une cascade et qu’elle est bordée par une forêt touffue. De l’autre côté, se trouvent deux déserts côte à côte, l’un de sables brûlants et l’autre de pierres.

   Le surlendemain, ils préparent un petit voyage qui les mène à la mer après avoir traversé une longue lande verdoyante. A leur passage, des gens les acclament sans qu’ils en comprennent bien la raison. Toutefois, ils profitent de ce voyage pour prendre du bon temps et observer le paysage. Une après-midi, alors qu’ils trempent leurs pieds dans l’eau qui borde une plage de sable fin, ils se demandent si dans leur monde leur disparition a été remarquée ou si le temps s’écoule différemment. Ils finissent par mettre la question de côté car pour le moment, ils ne peuvent rien faire.
  Dans les villages qu’ils traversent, ils entendent des rumeurs inquiétantes. Le roi a eu vent de leur venue et il les fait rechercher par ses soldats. Les deux jeunes gens se rassurent  car personne ne les remarque.
Alors qu’ils se rafraîchissent à une fontaine à la sortie d’un village, un soldat les questionne sur leur nom et le lieu d’où ils viennent. Ne sachant que répondre, ils lui assènent un coup de poing dans le menton avant de fuir à perdre haleine dans la forêt proche.
- Partons loin des villes durant quelques temps, décide Roséliande.
Ils marchent plusieurs jours jusqu’à atteindre une rivière qu’ils finissent de remonter jusqu’à sa source, la cascade du destin. Cette cascade est, leur apprend leur interlocutrice, située au pied des collines prémonitoires bien que personne ne se souvienne d’où leur vient ce nom étrange. Cette promenade leur a été agréable, malgré la peur qui les tenaille et les rend taciturnes. Durant leurs rares haltes, les adolescents ne peuvent s’empêcher de regarder autour d’eux d’un air inquiet mais personne ne s’intéresse à eux.

- Dis-moi, Roséliande, saurais-tu pourquoi nous avons rêvé l’un de l’autre sans même nous connaître ? demande Ambrelune alors qu’ils se sont installés pour camper. Cela n’arrive jamais dans notre monde, enfin, c’est rare…
- Peut-être parce que… Non, ça ne peut être ça. Savez-vous ce qu’est une moitié magique ? Non, pour vous aider à comprendre, voici l’histoire de l’effrayante Raya et son alter ego, sa moitié magique Acédie. Cette histoire serait trop longue à exposer ici et elle est connue de tous, continuons notre histoire.

  Le récit terminé, les jeunes gens se regardent, ils ne sont pas certains de comprendre. Ils auraient des pouvoirs et les associer pourrait les décupler ?