mercredi 24 février 2021

La sorcière des Bell

   Un couinement fait sursauter l'homme qui regarde autour de lui. La mer de maïs semble vouloir le noyer mais il baisse les yeux à terre à la recherche de l'intrus. Enfin il l'aperçoit, un gros chien le regarde venir à lui, immobile. Plus il s'approche, plus il se dit que ce chien ne ressemble pas à chien. Il hésite un instant, puis il épaule son fusil, la balle part, déchirant l'air de l'après-midi et il se précipite. La place est vide, nul cadavre, nulle trace de pattes. Perplexe, l'homme rentre chez lui à pas lents.
  Les jours passent et l'homme oublie l'incident. Il joue à la balle avec ses fils lorsqu'un oiseau perché en haut d'un arbre l'intrigue, il s'approche et l'oiseau inconnu ne bouge pas. Avec précaution, le riche fermier épaule son fusil avant de se précipiter au pied de l'arbre.
- Vide, l'oiseau s'est envolé! 
Il hausse les épaules et il rejoint ses enfants.

- J'ai vu une fille de mon âge en train de se balancer à la grosse branche.
- Quelle fille, Betsy? s'étonne le fermier en fronçant les sourcils.
- J'ai essayé de lui parler mais elle ne m'a pas répondu. Elle avait mon âge et portait une robe verte mais je ne l'ai jamais vue dans les environs.
- Où est-elle maintenant?
- Elle a disparu quand je me suis approchée, je ne sais pas où elle est maintenant.
- Comme le chien que j'ai vu.
Le fermier se tourne vers l'esclave qui vient d'entrer et il demande des précisions.
- Un chien noir que j'ai vu plusieurs fois, venu de nulle part. Il grognait et lorsque j'ai pris un bâton pou rle chasser, il a disparu, comme s'il s'était évanoui par magie.
- La magie n'existe pas, retourne au travail.
- Bien monsieur.

-Je ne crois pas à toutes ces histoires! songe l'homme assis sous la véranda sa pipe à la bouche à la nuit tombée. Quelle journée étrange, vraiment. Enfin, tout ceci est terminé. Il est temps d'aller dormir. songe le tennesséen en se levant pour aller dormir.
Cette nuit-là, il rêve qu'un oiseau disparaît sans cesse à l'approche de son fusil et il se réveille à l'aube, en sueur avant de se rendormir paisiblement.

- On a frappé à la porte! Betty, allez ouvrir! dit le maître de maison en prenant son café.
- Il n'y a personne, monsieur. Une farce d'un gamin quelconque, j'imagine.
En fin d'après-midi, une fenêtre claque à l'étage et la petite Betsy se précipite pour la fermer tandis que la porte de la pièce claque. Halentante, elle regarde autour d'elle sans rien remarquer et elle rejoint le rez-de-chaussée. De nouveau, on frappe à la porte et l'enfant se précipite pour ouvrir, trop heureuse de se retrouver face à un être humain quelconque mais de nouveau, le perron est vide.
- J'ai rêvé, voilà tout.
Durant la nuit, la maisonnée se réveille au son de griffes qui raclent le plancher du grenier. Le maître de maison et deux esclaves se rendent au dernier étage de la maison sans rien trouver, ni marques, ni trace de rats ou d'un chien égaré. Alors qu'ils redescendent, une fenêtre claque à l'étage et ils se rendent dans la salle de bain mais la fenêtre est fermée.
- Allons dormir, nous avons rêvé et nous ne pouvons rien faire de toutes manières. Pas avant demain. dit John, las.
Le lendemain matin alors que la famille prend le petit-déjeuner, une porte claque à l'étage mais personne ne se lève. En effet, au dehors, les grognements de deux chiens qui se battent les attirent dans la cour mais elle se révèle vide.
- Terminons de manger, le travail nous attend. décrète le maître de maison d'une voix ferme. Ces manifestations cesseront d'elles-mêmes si nous les ignorons.
Pour lui répondre, la fenêtre se met à battre fortement mais sans se laisser démonter, il la referme avant de se rasseoir devant son petit-déjeuner suivi par sa famille.
- J'ai du travail. dit-il en se dirigeant vers les champs, soulagé d'échapper aux manifestations et de pouvoir réfléchir à son aise mais inquiet de laisser sa famille dans la maison. Lorsqu'il rentre le soir venu, il s'enquiert de la situation.
- Mon maître, les bruits n'ont pas cessé de la journée, pire il y a eu des gargouillis dans les tuyaux. J'ai eu la peur de ma vie mais j'ai fait mon possible pour n'en rien montrer. dit la vieille esclave en espérant qu'il aura une réponse.
- Ignorons ces bruits et bientôt, plus rien n'y paraitra. L'auteur de cette farce finira par se lasser.
- Je l'espère.
A minuit, un bruit de chaînes parcourt la maison entière et la maisonnée se réunit dans le salon, incapable de dormir. Ce n'est qu'à l'aube que monsieur Bell décrète qu'il est temps d'aller dormir tandis qu'au dehors, deux chiens se battent en hurlant.

Après une nuit paisible, la famille se réunit autour de la table du petit-déjeuner.
- Nous devons garder le secret sur tout ceci, on pourrait nous accuser de sorcellerie et nous condamner au bûcher. Avec le temps et de la patience, les choses s'apaiseront d'elle-même. décrète le père de famille d'un ton qu'il veut assuré.
Les enfants acquiescent et mangent en silence avant de se rendre à l'école où ils ne soufflent mot de l'histoire. Restée seule dans la maison, Betty ne cesse de regarder autour d'elle mais en voyant que tout est calme, elle se met à la lessive en chantonnant comme elle a l'habitude de le faire. Elle a les mains plongées dans le savon lorsqu'un grattement la fait lever la tête. Bientôt le bruit reprend et elle identifie de nouveau, le bruit de griffes raclant le sol. Elle sent son visage blêmir et elle décide d'affronter le fantôme. Avec courage, elle se rend dans la pièce au-dessus de sa tête mais son inspection ne révèle rien.
- Qui est-là? J'ai entendu du bruit. dit-elle d'une voix aussi assurée que possible mais seul le silence lui répond.
Elle inspecte la pièce dans l'espoir de trouver un rat mais tout est vide et elle redescend précipitamment finir sa lessive.
Elle sursaute alors qu'elle se penche pour prendre la bassine pleine de linge humide au son d'une porte qui claque mais la porte de la buanderie est grande ouverte. Elle sort dans le jardin pour étendre le linge avec la sensation d'être observée mais elle tient bon et fait mine de ne rien remarquer dans l'espoir que de nouvelles manifestations n'apparaissent pas. Alors qu'elle rentre dans la maison, elle entend un bruit de quelqu'un qui s'étouffe et elle se précipite dans la salle à manger qui est vide.
Terrifiée, la jeune femme hésite et elle sort dans le jardin pour reprendre ses esprits.
- Je dois rester forte pour le maître et sa famille. A quoi bon me plaindre? Nous sommes tous dans les mêmes tourments.
Avec résignation, elle reprend sa lessive qu'elle achève rapidement avant de mettre le linge à sécher, soulagée d'être à l'extérieur.

Le soir venu, la famille est réunie et évoque sa journée. Soudain, le bruit de pierres qui tombent sur le plancher les fait sursauter mais le regard impérieux du chef de famille les fait baisser le nez dans leur assiette et continuer à manger comme si de rien n'était.

- Cette nuit, j'ai entendu des bruits comme si des rats rongeaient les montants de mon lit. dit la jeune Betsy le lendemain matin mais il n'y avait rien. Je suis restée roulée en boule dans mon lit toute la nuit, terrifiée.
- Hier, j'en entendu quelqu'un s'étouffer alors que je rangeais du bois dans la soupente. dit le fermier. Nous devons nous efforcer de vivre normalement comme si de rien n'était.
Une semaine plus tard, le jeune fils hurle dans la nuit précipitant la famille dans sa chambre. L'enfant en larmes est assis sur son lit et ses couvertures gisent au sol.
- Que se passe-t'il? interroge le fermier.
- Je dormais et mes couvertures ont été arrachées de mon lit. sanglote l'enfant.

- Ce n'est rien. dit son père en l'attirant contre sa poitrine où l'enfant se laisser bercer. Peu à peu, ses larmes se tarissent et John Bell se sent soulagé.K
- Ce n'est rien, les choses vont finir par s'apaiser, Dieu nous protège et ne permettrait jamais que le Diable nous tourmente alors que nous sommes bon chrétiens.

Les jours suivants, tous les membres du foyer voient leurs couvertures arrachées et plusieurs se plaignent d'avoir reçu des claques pour s'être opposé à l'entité. Betsy se rend compte qu'elle est la plus grande victime de tous, elle se plaint de voir ses cheveux tirés avec force tandis que les autres se plaignent de simples tirements de cheveux. A part elle, elle se demande ce qu'elle a bien pu faire pour mériter ce traitement mais elle n'ose pas poser la question à voix haute dans la solitude de sa chambre. Le soir venu, elle prie longuement Dieu dans l'espoir qu'il la protège mais nul ne lui répond et elle se couche, tremblante entre ses couvertures sanglotantes attendant que l'entité s'en prenne à elle. Lorsqu'elle sent ses cheveux tirés par une force invisible, elle font en larmes, incapable de se défendre face à l'ennemi qui l'assaille sans raison.
- Que t'ai-je fait? demande la fillette, sanglotante.
Mais nul ne lui répond et elle se recroqueville sur elle-même, inconsolable n'attendant que le matin.

Quelques jours plus tard, la jeune fille croise Richard Powell, maître d'école qui lui demande de ses nouvelles avec affabilité. Elle observe l'homme bien consciente qu'il lui fait la cour et elle lui répond poliment avant de reprendre sa route.
L'homme se retourne sur son passage en souriant.
- La fille d'un des plus riches fermiers des environs serait un beau parti. se dit l'instituteur en reprenant sa route, songeur. Mais je suis bien plus vieux qu'elle...
Alors qu'elle arrive en vue de la ferme, la jeune fille se trouve face à Joshua Garner.
- Bonjour, monsieur Garner.
- Bonjour, Betsy. Puis-je venir vous rendre visite à l'occasion?
- Bien sûr. dit-elle à son voisin qui lui répond en souriant.
Joshua Garner sourit et il lui promet de venir rendre visite à la famille de la jeune fille.
Ravie, la jeune fille rentre en rêvassant à son prétendant.

Quelques jours plus tard, Joshua arrive à la ferme et il fait une longue promenade avec Betsy qui semble apprécier sa compagnie.
Au fil des jours, Betsy se rend compte que les visites de monsieur Garner se soldent par un regain d'activité de ce que l'on appelle dans les environs la sorcière des Bell.
- Elle n'aime pas cet homme. songe la jeune fermière en larmes.
Pourtant, elle relève la tête et elle fait bonne figure à son visiteur qui vient le voir de plus en plus souvent à son grand plaisir.
Pourtant, elle doit bien se rendre l'évidence que chaque visite donne lieu à des représailles. Elle en parle à ses parents mais comme personne ne sait ce qu'il se passe, elle décide de faire son choix seule et elle continue à fréquenter son prétendant.
Au fil des jours, les attaques se multiplient et un soir, sa famille se réunit autour d'elle alors qu'elle raccomode une robe dans le salon.
- Tu vas partir, nous nous inquiétons tous pour toi. dit son père.
- Mais, où vais-je aller?
- Prépare tes affaire et fais-moi confiance. dit le fermier.
L'adolescente comprend qu'il ne tient pas à dévoiler à haute voix le lieu de sa retraite à l'entité et elle obtempère soulagée de quitter les lieux mais attristée de quitter sa famille. Elle verse une larme lors de ses au revoir et elle monte dans la carriole, le cœur lourd en ravalant ses larmes, pleine d'espoir.
Durant le trajet nul ne dit un mot et Betsy se détend lorsqu'elle reconnaît la ferme d'amis de ses parents qui ont toujours été bons pour elle.
- Bonjour Betsy. dit le fermier en l'accueillant.
- Bonjour, Jim. dit-elle en se forçant à sourire.
Tandis que la femme de Jim l'installe dans sa nouvelle chambre, elle entend des bribes de voix et elle devine que son père informe son ami de la tournure des évènements et de la gravité de la situation. Elle se force à ne pas écouter et elle descend bientôt les rejoindre pour mettre fin à la conversation. A son entrée, les deux hommes se taisent et son père se penche pour l'embrasser.
- J'espère que nous trouverons une solution et que tu pourras bientôt rentrer à la maison. dit-il, les yeux embués de larmes.
- Moi aussi, père. J'espère que la chose ne s'en prendra pas à un autre membre de notre foyer. Je me sentirai responsable.
- Tu n'as pas à l'être. la rassure le fermier en mettant la main sur son épaule. A très bientôt. dit l'homme en remettant son chapeau et en sortant pour monter dans la carriole qui le ramènera chez lui.
Sur le chemin du retour, il tente de se convaincre qu'il a fait le bon choix mais il sent l'angoisse le tenailler.

La soirée se passe sans encombre et la jeune fille reprend espoir. Elle se surprend à chantonner alors qu'elle se déshabille et qu'elle se glisse entre les draps. A minuit, elle se réveille incapable de respirer, elle se débat et essaie de crier sans succès. Le souffle court, les joues empourprée, elle parvient enfin à retrouver sa respiration et elle quitte la chambre en pleurs à la recherche d'un miroir qui ne révèle aucune marque sur son cou.
- Je sais pourtant que je n'ai pas rêvé. sanglote-t'elle en rejoignant sa chambre, bien consciente de n'être à l'abri nulle part.
Elle se recouche et elle finit par s'endormir. Le lendemain, elle se tait dans l'espoir que l'entité se lasse face à son indifférence mais lorsqu'elle sent des aiguilles se planter dans la peau de ses bras, ses nerfs la lâchent et elle fond en larmes, confessant ses tourments. Le lendemain, son père vient la chercher et elle remonte dans la carriole, une boule d'angoisse lui nouant le ventre à la pensée de retrouver la ferme familiale. Le fermier s'inquiète de lui voir un visage rouge et il se décide à l'interroger.
- J'ai souvent l'impression d'étouffer, le souffle court. J'ai la sensation qu'on m'étrangle, parfois je sens que je vais m'évanouir mais que pouvez-vous pour apaiser mes tourments?
Son père ne répond rien et la jeune fille se force à lui sourire dans l'espoir de le rassurer.

En larmes, Betsy supplie qu'on la laisse et elle s'effondre en larmes dans l'obscurité de sa chambre.
- Qu'as-tu? lui demande son père au petit-déjeuner.
Il ne peut ignorer les marques sur la peau de la jeune fille et il la regarde avec intensité.
- Je te promets de chercher de l'aide mettre fin à tes tourments.
Sitôt le petit-déjeuner avalé, le père de famille se rend chez son voisin.
- James, je voudrais te parler.
- Bonjour, monsieur Bell.
- Bonjour, madame Jonhson.
- Viens. dit son voisin en l'entraînant dans la cuisine où il lui sert un café fort avant de se servir lui-même.
Après un soupir, John se confie. Il détaille l'année qu'il vient de vivre, les yeux rivés sur le bois de la table dont il suit les veines avec application pour éviter le regard de son voisin.
- Il faudrait des preuves de ce que tu avances. Des informations complémentaires.
- Venez passer quelques temps à la maison avec ton épouse, vous verrez par vous-même, je suis désemparé.
Le couple prépare ses affaires à la hâte et ils suivent leur voisin jusqu'à sa ferme. Après un repas silencieux, la maisonnée va se coucher. A minuit, on cogne à la porte des nouveaux venus et monsieur Johnson ouvre sans trouver le moindre intrus dans le couloir. Perplexe, il retourne se coucher auprès de sa femme terrifiée et il attend la suite des évènements. Au dehors, il entend deux chiens gronder sourdement et il se force à se lever mais il ne voit rien au-dehors. Il commence à se poser des questions lorsqu'il entend des griffes racler le plancher de sa chambre. Il sursaute et terrifié, il se penche sur l'endroit d'où le bruit provient mais le plancher est intact.
- Je t'en prie, rentrons chez nous. sanglote sa femme.
- Non, nous devons les aider et savoir ce qui se passe exactement, je veux voir et entendre par moi-même ce qui se passe ici.
Au matin, forcé de se rendre à l'évidence, il décide de prolonger sa visite. Au bout de quelques jours, il interpelle son voisin et il lui suggère de former un comité pour enquêter et savoir à qui il a affaire. Ils en parlent autour d'eux dans le voisinage et l'histoire fait peu à peu le tour de la région.

- Bonjour, c'est bien ici la ferme des Bell?
- Oui. dit le fermier, en fronçant les sourcils. Que puis-je pour vous?
- Je suis exorciste et j'ai entendu parler de votre histoire. Si vous permettez que je...
Avec un soupir, l'homme acquiesce, lassé et il regarde l'énergumène vêtu comme un cow-boy inspecter la ferme et interroger les habitants. Il observe le vieil homme imposer ses mains sur les murs et lorsqu'il lui dit ne rien pouvoir faire, il se sent presque soulagé. Mais bien conscient que ce n'est que le premier d'une longue série, il hésite sur la marche à suivre, il regarde Betsy qui a pâli sous les mauvais traitements et il décide de laisser leur chance aux démarcheurs dans l'espoir d'avoir des réponses même s'il n'y croit guère. Au fil des semaines, le défilé se poursuit sans résultat et John Bell s'interroge sur le bien-fondé de sa décision d'autant plus qu'il ne voit aucune amélioration du sort de sa fille.
- Au moins, ils ne me demandent pas de les payer. bougonne-t'il en examinant ses champs.

- Répondez à ma question, un coup pour oui et deux coups pour non.
Dans la chambre de Betsy, le medium reste à l'écoute de l'entité qui répond par des coups sans lui apporter de réelles réponses sur sa nature et son but. Navré, il rejoint la famille qui attend au salon, tout en évoquant des résultats encourageants.
Ses confrères se suivent et bientôt l'entité siffle pour répondre aux questions des medium sans se faire menaçante, les encourageant à continuer. Le fermier et la jeune fille écoutent les rapports et ils décident de continuer leurs démarches dans l'espoir d'avoir une réponse à leurs interrogations.
- Mon Dieu! s'écrie le medium en se levant de sa chaise. Je l'ai!
Il se penche et il tente de décrypter les mots que la voix vient de lui dire mais il ne parvient pas à reconnaître le message et la nature de l'entité même s'il juge le résultat encourageant.
- J'ai réussi à entrer en contact avec l'entité. Elle a parlé, je n'ai pas compris ce qu'elle a dit mais c'est une avancée. Nous pouvons espérer savoir ce qu'elle veut à votre fille et la faire partir de chez vous. Je reviendrai dans quelques jours, si vous l'acceptez.
- Je l'accepte. dit le père de la jeune fille qui n'a pas de meilleure piste.

- Bien, allons-y.
De nouveau, le medium tente d'entrer en communication avec la voix seul dans la pièce en essayant de ne pas penser à la famille terrifiée qui attend dans le salon. Il regarde la chambre de la jeune fille et il laisse son esprit s'ouvrir à son environnement. De nouveau, il interroge l'entité dans l'espoir d'avoir une réponse qui l'aide à porter assistance à la famille. Il interroge de nouveau l'entité sur son origine et sur son but en vain. Découragé, il songe à quitter les lieux lorsque la voix se fait entendre, claire et nette mais saccadée.
- Je suis un esprit venu de partout, ciel, enfer et terre. Je suis dans l'air, dans les maisons, en tous lieux, tout le temps, née il y a des millions d'années. C'est la seule chose que je vous dirai.
Perplexe, le medium rejoint la famille qui a entendu le discours de l'entité et Betsy fond en larmes tandis qu'il tente de rester rassurant.

Au fil des jours, le comportement de l'entité changea de nouveau. Un jour en rentrant de la messe, la famille eut la surprise d'entendre la voix répéter mot pour mot le sermon qui venait d'être prononcé par les deux pasteurs qui officiaient dans la paroisse.
- Mon dieu, quand cela s'arrêtera-t'il? s'interroge le fermier.
Lassée de son manège, l'entité se mit à dire des obscénités qui horrifient les prudes fermiers. Elle ne manquait pas de leur chuchoter à l'oreille ses paroles à n'importe quel moment de la journée. Avec soulagement, Betsy remarque que leur agresseur s'attaque à leur famille dans son ensemble mais bientôt, l'entité s'acharne sur sa mère, Lucy, accroissant son sentiment de culpabilité. L'entité chuchotait à son oreille à toute heure de la journée sans jamais lui faire de mal directement à son grand soulagement. Bientôt, l'entité s'attaqua à John Bell qui craignait que toute la famille soit concernée au fil du temps, culpabilisant de ne pouvoir les aider.
Un soir que des voisins s'étaient réunis dans la cuisine de la ferme pour partager une bouteille de bière, la voix de la sorcière se fait entendre "Je suis déterminée à hanter et faire souffrir le vieux Jack tout au long de sa vie".
John Bell reconnaît là son surnom et il frissonne même s'il espère que l'entité cessera de tourmenter les autres membres de sa famille pour s'acharner sur lui. Horrifiés, les voisins ne disent rien, se bornant à regarder le fermier avec compassion.
- La sorcière des Bell a encore frappé. dit l'un d'eux avec résignation en quittant la ferme, triste d'abandonner la famille dans ses tourments mais bien conscient de son impuissance.

- Je ne remarque rien d'étrange. dit le médecin de la famille, perplexe. Et si Betsy était ventriloque? Même sans s'en rendre compte, dans un état second, durant une absence? Je repasserai dans quelques jours.
Les visites s'enchaînent mais le médecin s'avoue impuissant jusqu'au jour où la voix se met à parler et qu'il place précipitamment la main sur la bouche de la jeune fille.
- Au moins, nous savons que Betsy n'est pas ventriloque... dit l'homme en se grattant la tête, perplexe. Je ne trouve aucune explication rationnelle pour le moment.

Un matin, le fermier se réveille avec la sensation d'étouffer. Sa bouche le fait souffrir et le miroir lui renvoit l'image d'une langue gonflée qu'il tâte pour déterminer la cause d'un tel changement. Son reflet déformé lui fait craindre le pire et il décide de ne pas appeler le médecin dans un premier temps.
- On dirait que je me suis fait piquer par une guêpe mais il n'en est rien. se dit-il en descendant jusqu'à la cuisine pour prendre son petit-déjeuner.
L'horreur se lit sur les visages lorsqu'il prend place autour de la table et il sourit faiblement.
- Je ne sais pas ce qui se passe, je ne crois pas être malade, l'entité... dit-il avec difficulté avant de servir en lait et en pain beurré, se forçant a avaler la nourriture malgré ses difficultés.
Alors qu'il se met au travail, une voix l'assaille de grossiéretés qu'il feint d'ignorer. Tout au long de la journée, il se contient mais une fois couché dans son lit, les larmes l'assaillent dans la chambre silencieuse.
Au matin, toute trace de l'enflure a disparu même s'il continue à être la proie des injures de la créature et qu'il continue son travail comme à l'accoutumée. Pourtant après une nuit agitée, il se rend à l'évidence après quelques jours d'apaisement, l'enflure marque de nouveau son visage et il s'examine avec horreur. Au fil des jours, la situation se dégrade et il se voit contraint de cesser son travail et de rester dans la maison incapable de soutenir la moindre activité.

Le fermier entre dans la porcherie et il souflle.
- Je reste épuisé par la dernière crise. se dit-il en se tournant vers son fils cadet qui lui sourit. Nous allons faire un sort à la truie, nous aurons de la viande pour cet hiver.
John s'arrête, les yeux baissés et il secoue la tête.
- Ce n'est rien, j'ai perdu ma chaussure. songe-t'il avec soulagement en se baissant pour le renouer.
Il reprend sa route lorsque l'autre chaussure reste dans la poussière de la cour. Les sourcils froncés, il revient en arrière et il refait son lacet avec application pour s'assurer que la chaussure ne le quittera pas de nouveau. Il reprend sa route, rejoint par son fils mais de nouveau, il perd un soulier.
- Je ne comprend pas, cette paire de chaussure est étroite, je peine à les mettre! dit-il en renouant de nouveau ses lacets.
Sans un mot sur l'incident, feignant de l'ignorer les deux hommes s'occupent des cochons en silence. Leur tâche accomplie, ils retournent vers la ferme mais de nouveau, John perd son soulier à plusieurs reprises, renouant les lacets avec application à chaque fois.

En vue de la ferme, père et fils se regardent, soulagés de retrouver leur abri précaire.
- Ah!
Le fils se précipite vers son père qui se tient le visage, plié en deux.
- Il étouffe. se dit-il en l'aidant à s'asseoir sur un rondin, le souffle court.
- J'ai été frappé. dit le fermier en grimaçant.
- Nous allons rentrer et tout se passera bien. tente de le rassurer le jeune garçon tandis que le visage de son père commence à se contracter pour se convulser bientôt suivi de son corps tout entier.
- Richard, je...
- Père. dit-il ne sachant que faire, se contentant de tenir la main de son père.
En son for intérieur, il craint qu'il ne meurt mais il se retient de prononcer ses craintes à voix haute, attendant avec angoisse la fin de la crise. Des chants se font entendre sans qu'ils puissent en distinguer les paroles mais le ton empli de moqueries ne fait aucun doute et il se bouche les oreilles alors que le volume du chant ne cesse d'augmenter. Un éclat de rire signe la fin des chants et le jeune homme soupire de soulagement. Il reporte ses regards sur son père dont le visage continue à se convulser et il se retient d'essuyer les larmes qui inondent ses joues.

En pleurs, le fermier s'adresse à son fils.
- Mon fils, je ne tarderait pas à quitter ce monde. Je ne pourrais survivre bien longtemps aux persécutions que cette chose horrible m'inflige. Elle m'assassine à petit feu, je sais que la mort approche.
Le jeune garçon sanglote et il aide son père à se relever pour le ramener dans la ferme. La famille note leur mine triste mais personne ne pose de questions et le jeune garçon aide son père à rejoindre sa chambre et à se coucher. Au fil des jours, le fermier sent ses forces le quitter, incapable de quitter son lit. Les semaines passent, n'apportant pas d'amélioration et la famille se désole.

- Mon dieu!
La famille se précipite dans la chambre du malade au cri de la mère de famille et ils trouvent leur père secoué par les convulsions et inconscient tressautant sur son lit sans qu'ils puissent faire quoi que ce soit.
En désespoire de cause, l'un des fils s'attarde sur la table pleine de flacons de verre contenant des médicaments à la recherche d'un remède, pris d'un sentiment d'urgence.
- Qu'est-ce que? dit-il en élevant vers la lumière un flacon qui lui est inconnu.
La famille secoue la tête, personne n'a jamais vu ce flacon ni ne sait ce qu'il contient. Le médecin ne tarde pas à arriver et il se penche sur le malade avec inquiétude.
- C'est une perte de temps que de tenter d'aider le vieux Jack. J'ai eu sa peau, cette fois-ci. dit la voix grinçante où le triomphe pointe.
- Et le flacon, que contient-il? demande le fils qui tient toujours la bouteille à la main.
- Une potion que j'ai concoctée et que j'ai fait ingurgiter au vieux Jack cette nuit pour qu'il ait enfin son compte.
La voix se tait et tous frissonnent. La mère de famille s'empart du flacon et elle en donne une goutte à un des chats de la ferme qui se prélasse dans la cour. Sous les yeux horrifiés de tous, il saute en l'air en miaulant de désespoir avant de faire plusieurs tours en apesanteur puis retombe brutalement sur le sol, mort.
- Mon Dieu! Jon a bu ce breuvage par malice, il est condamné. comprend-elle en pleurs avant de revenir au chevet de son mari qui continue à se convulser toute la nuit pour mourir au matin.

Le jour des funérailles, des cris de triomphe emplissent l'église et tous les amis et la famille sursautent tandis que des rires s'élèvent. La voix chante, triomphante et la cérémonie se déroule malgré tout.

Après l'enterrement, la vie reprend son cours et Betsy retrouve Joshua Gardner chaque jour.
- Acceptez-vous de m'épouser cette fois-ci? A la fin de votre période de deuil.
La jeune fille de seize ans hésite et elle regarde son soupirant qui attend sa réponse avec anxiété.
- J'accepte, il faudra que vous en parliez avec ma mère maintenant que mon père n'est plus.
Alors que les préparatifs battent leur plein, Betsy entrevoit un avenir radieux et elle attend chaque jour les visites de son fiancé.
- Par pitié, Betsy, n'épouse pas Joshua Gardner.
La jeune fille se lève d'un bond, se piquant le doigt avec l'aiguille avec laquelle elle raccomodait un chemisier et elle regarde autour d'elle.
- Elle est revenu. songe-t'elle tandis qu'un gémissement s'échappe de sa gorge.
Puis elle se reprend et d'un air de défi, elle se remet à son ouvrage feignant de n'avoir rien entendu et se forçant même à chantonner tant par bravade que pour dompter sa peur.

Désormais à toute heure de la journée, la jeune fille était poursuivie par la voix suppliante de la sorcière et malgré son amour pour son fiancé et sa détermination, elle céda. Un après-midi que son prétendant était venu lui rendre visite, elle le prit à part pour lui parler seul à seule.
- Joshua, je vous aime mais je ne peux pas vous épouser. Je romps nos fiançailles et j'annule notre mariage. La sorcière qui a tourmenté mon père jusqu'à le conduire à la mort et qui m'a tourmentée également est revenue me parler. Elle me supplie de ne pas vous épouser. J'ai peur de subir le même sort que mon père et de vous plonger ainsi que ma famille dans l'affliction. Je vous aime mais je ne peux pas vous épouser. J'espère que vous me comprendrez et que vous me pardonnez. dit-elle les yeux emplis de larmes.
- Vous me brisez le cœur, Betsy mais j'accepte votre décision. Je vous souhaite de trouver le bonheur. dit-il d'une voix brisée avant de se détourner pour rentrer chez lui le cœur lourd.

- Je reviendrai dans sept ans. lance la voix avant de s'évanouir.
Soulagée de ne plus avoir de visites de la sorcière des Bell, Betsy que le maître d'école a commencé à courtiser accepte sa demande en mariage et elle espère de tout son cœur ne pas voir la sorcière surgir le jour de la cérémonie mais à son grand soulagement, tout se déroule à merveille et elle espère un avenir radieux

Sept ans après les évènements, Lucy Bell et deux de ses fils qui habitaient encore dans la maison craignaient le retour de la sorcière comme elle l'avait promis. Le cœur battant, la femme sursaute lorsqu'elle entend des bruits mais à son grand soulagement, rien d'autre ne se passe et elle attend qu'ils cessent.
- John Bell Junior. chuchote la voix dans le noir.
L'héritier des Bell s'éveille, le cœur battant et il se force à répondre.
- Oui?
- Je dois te parler du passé, du futur, de ton père. J'avais mes raisons de le tourmenter mais je puis te dire de quoi il retourne.
L'homme hésite à défendre son père mais il décide de se taire par crainte des représailles, il attend donc la suite de la conversation.
- Je reviendrai dans cent sept ans. dit la voix avant de s'évanouir.
- Mais en mille neuf cent trente-cinq, je ne serai plus de ce monde. songe le jeune garçon qui craint qu'elle ne tourmente ses héritiers.

Quinze ans après l'épisode de la sorcière des Bell qui emporta son père, le bonheur de Betsy se brisa après la mort de son époux.

042020