lundi 25 décembre 2017

Contes d'Halloween et de Samhain Maudit musicien

  Il était une fois, un jeune musicien qui aimait à jouer de la flûte dans les lieux abandonnés et oubliés des hommes. Enroulé dans son épaisse cape rouge brique, le mince jeune homme aux courts cheveux noirs en bataille foulait de ses hautes bottes de cuir des terrains délaissés par tous. Un soir, alors qu'il passait en jouant un air funèbre près d'un cimetière, il se mit en tête de créer une mélodie qui réveillerait les morts. Ainsi son nom ne tomberait pas dans l'oubli et il serait célèbre. Il deviendrait riche et les gens cesseraient de l'ignorer, il aurait un cercle d'amis fidèles et la plus jeune fille du meunier qu'il aimait en secret cesserait de l'ignorer lorsqu'il tenterait de lui adresser la parole. Le flûtiste joua dans le secret de son modeste logis où le froid pénétrait par les planches disjointes, divers morceaux. Ces messes des morts et ces danses macabres des plus grands compositeurs, mêlés à des airs populaires chantés lors des funérailles furent soigneusement étudiés  pour en déceler les similitudes. Avec soin, le jeune homme notait les rythmes, les répétitions, le tempo et les notes les plus utilisés. Jour et nuit, les airs dansaient dans sa tête et ces macabres berceuses l'accompagnaient dans le sommeil. Le musicien s'endormait chaque soir avec l'espoir de trouver au bout de sa route, la renommée qu'il méritait.

  Un froid matin pluvieux, le jeune homme s'emmittoufla dans sa robe de chambre avant de se pencher à sa table de travail pour poser des notes sur du papier à musique. Les doigts sur son piano, il pianotait rapidement les suites de notes qu'il venait de tracer pour les corriger ; la musique semblait voler dans la pièce sous ses doigts menus et l'envelopper. Au bout d'une demie-heure, il courut acheter du pain et du fromage puis il se remit bien vite à sa table de travail. Sa plume crissait sur le papier et dans sa hâte, quelques taches d'encre maculèrent sa robe de chambre et ses doigts mais il les ignora.

  Des heures durant, il travailla sur sa partition et au matin, il était certain d'être arrivé au bout de son œuvre. Mais épuisé, il s'endormit tout habillé sans avoir pu jouer sa création en intégralité pour se faire une idée de son travail et noter les passages à corriger. Lorsqu'il s'éveilla le soir venu, le compositeur d'une nuit réalisa que c'était le soir d'Halloween, nuit idéale pour jouer pour la première fois un tel morceau. Il prit sa flûte, sa partition, son chapeau, d'épais gants de peau de mouton et sa cape de laine puis il s'enfonça dans la nuit, déterminé à trouver un endroit tranquille pour jouer son œuvre. Il craignait trop les quolibets qui accompagnaient habituellement sa musique pour se risquer à être entendu de quiconque. La solitude et les étoiles seraient son meilleur public pour sa première.

  Seul face à la lande, il se remémora sa partition au clair de la lune qui était pleine en faisant jouer ses doigts sur sa flûte tout en fredonnant sa mélodie pour fixer le morceau dans sa mémoire. Puis,  il commença à jouer. Sa musique cristalline monta dans l'air glacé du soir et ses mains gourdes peinaient à se mouvoir mais il tint bon durant de longues minutes. Sa plainte déchirante mais vibrante d'espoir semblait inviter les âmes passées dans l'au-delà à rejoindre le monde des vivants pour une dernière danse endiablée. 

  Et les âmes des trépassés répondirent à son appel. Elles descendaient en masse des alentours et elles commençaient à se rassembler en plusieurs rondes qui se mirent en mouvement autour du musicien. Absorbé par la musique, le jeune homme ne vit rien. Il ne vit pas les âmes voiler l'éclat de la lune de manière imperceptible et il ne se rendit pas compte du silence qui régnait alentour. Les yeux rivés sur sa partition, il luttait à chaque note pour mouvoir ses mains transies de froid. Il sentait confusément que la moindre fausse note briserait à jamais la magie de son morceau et de ce moment. Le temps passa, sembla s'étirer mais le musicien n'aurait su dire si quelques minutes ou quelques heures avaient passé. Enfin, lorsqu'un un nuage dévoila la lune qui illumina la lande, il jouait ses dernières notes. Il relâcha son attention, ravi de sa création si fluide, triste mais en même temps, pleine de vie et d'espoir, et il se rendit compte avec horreur que les morts l'entouraient. Paniqué, il cessa de jouer juste avant d'entamer la dernière mesure et les morts se rapprochèrent de lui.
- Et bien, finis ton morceau que nous achevions notre danse !
- Musicien, joue tes dernières notes pour nous permettre de fêter ce jour particulier.
- Nous te remercions de ta générosité mais ne t'arrête pas en chemin, je t'en prie.
Les mots se croisaient et il ne comprenait rien à ce brouhaha. Apeuré, le jeune homme lâcha sa flûte qui chut dans l'herbe, il voulut fuir le nuage mouvant de fantômes qui approchait de lui. Dans sa précipitation, il marcha sur sa flûte qui se brisa avec un craquement sinistre sous son poids, il perdit l'équilibre et il se fracassa le crâne contre une pierre. Le lendemain, on trouva son corps près de sa flûte brisée et ses partitions s'étaient dispersées dans l'herbe. La pluie avait lavé l'encre et personne ne sut jamais quelle création il était allé terminer seul dans la lande.

  Depuis, chaque nuit d'Halloween, le joueur de flûte joue sa partition et d'autres airs qu'il connaît bien pour faire danser les défunts jusqu'au bout de la nuit dans une danse endiablée sur la lande. Mais jamais, il ne parvient à jouer les dernières notes de son chef d'oeuvre. Une malédiction semble l'en empêcher. Il tente en vain de jouer l'ultime mesure de son morceau mais son corps ne lui obéit plus et les larmes aux yeux, il ne peut que voir ses doigts achever le morceau une fois de plus sans que son souffle ne traverse l'instrument pour porter sa musique dans la nuit.