lundi 4 février 2019

La dernière sirène Chapitre 4

- Qui est-ce ?
Comme toujours, le pêcheur feint de ne pas avoir entendu la question de son ami, occupé à raccommoder un filet en chantonnant.
- Je t'ai suivi l'autre jour et je vous ai vus.
Alarmé, Morgan relève la tête un peu pâle, le cœur battant.
- Et qu'as-tu vu ? demande-t'il du ton le plus naturel possible en se remettant à sa tâche.
- Rien, je t'ai entendu rire avec une fille sur la plage.
- Elle n'est pas d'ici, tu ne la connais pas.
- Va savoir... dit-il avec un sourire malicieux.
Morgan lève les yeux au ciel en songeant au nombre de conquêtes de son ami et il choisit de ne pas répondre. Son ami n'insiste pas et Morgan se remet à repriser son filet, les yeux perdus vers la mer. Il se demande ce que fait la sirène en cet instant et si elle pense à lui.

  Quelques jours plus tard, son ami revient à l'assaut.
- Je t'ai vu avec elle.
Morgan hésite à poursuivre sa route. Les mains dans les poches, il se dirigeait vers la plage lorsqu'il a croisé son meilleur ami qui visiblement l'attendait. Il feint de ne rien avoir entendu et il salue le pêcheur qui soupire.
- Je l'ai vue.
- Quoi ?
- Cette fille qui t'a ensorcelé.
La peur envahit le jeune homme et son visage tanné par le soleil devient livide.
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Arrête, pas de ça avec moi, on se connaît depuis l'enfance, on a toujours été voisins. C'est qui ?
- Une fille bien.
- Mouais, une fille qui reste seule dehors sur la plage à nager  la nuit tombée. Une fille bien ne fait pas ce genre de chose. C'est quoi ? Une fille de mauvaise vie, une fée ?
- Rien de tout ça mais je ne peux t'en dire plus pour le moment. Bonne nuit. dit Morgan en se dégageant de la poigne de son ami qui l'a pris par le bras pour l'arrêter.
- J'espère que tu sais ce que tu fais. Nozvezh vat ! A demain.
- Bonne nuit, à demain.
- J'espère seulement qu'elle ne te brisera pas le cœur. Je ne veux pas te retrouver en miettes comme la dernière fois...
Morgan hausse les épaules et il se fond dans la nuit sous le regard inquiet de son ami. Il marche un moment puis il bifurque vers la lande avec un pincement au cœur, il sait que la sirène l'attend mais il a besoin d'être seul pour chasser l'inquiétude qu'il sent grignoter son cœur. La seule fille qu'il a aimé n'a pas voulu de lui et depuis il reste seul de crainte de souffrir de nouveau.
Le lendemain soir, il rejoint Melen à qui il avoue que son meilleur ami les a vus et qu'ils ne peuvent continuer ainsi.
- Nous devons trouver une autre solution plus durable. Je vais partir, je connais un sorcier très puissant. Mais je serai absent bien longtemps. Tu me fais confiance ? Tu m'attendras ?
La sirène acquiesce et il l'embrasse avant de la quitter.

  Morgan marche durant des jours, voyant dans son prénom un signe du destin et du rôle qu'il a à jouer. Sans famille, il n'a rien à perdre à tenter sa chance et la jolie sirène l'a atteint au plus profond de son âme lui qui dédaigne les filles qu'il connaît depuis toujours en sachant bien que sa future compagne n'est pas parmi elles. Enfin, il va trouver l'ermite du Menez-Bré et il lui expose son cas et son idée. Puis il repart aussitôt qu'il a obtenu ce qu'il voulait, un flacon à la main. Gwenc'hlan a écouté sa requête et l'un des derniers druides de Bretagne a mis tout son talent dans sa potion, refusant d'être payé pour ses services autrement qu'en renseignements sur la créature que le jeune homme lui raconte une  nuit durant autour d'une marmite de soupe épaisse et nourrissante. Lorsque le pêcheur quitte la maison de l'ermite, il lui murmure les mots magiques qui permettent la transformation.

  Arrivé de nuit, le pêcheur se rend dans sa petite cabane solitaire dont il fait rapidement le tour.  Alors, il se rend sur le rivage où la sirène lance au vent une chanson mélancolique dont il ne comprend pas bien les paroles mais qui parle de solitude et d'amours perdus.
- Je suis revenu ! Melen, tu m'entends ? la hèle-t'il face à son manque de réaction.
La jeune fille se retourne et la surprise envahit son visage à sa vue. Inquiète, elle observe les alentours mais elle n'entend que le bruit de la mer, il ne semble pas être venu avec des renforts dans le but de la capturer. Il est entré dans l'eau et déjà, il la serre dans ses bras en l'embrassant longuement.
- Je commençais à me dire que tu ne reviendrais pas, qu'il t'étais arrivé quelque chose en route.
- Je ne te quitterai plus jamais. dit-il avant de boire, craignant de perdre son courage.
Puis comme le sorcier le lui a recommandé, il tend la fiole à la jeune fille qui craint qu'il n'ai ramené un poison mais comme il a bu avant elle, elle se rassure. Elle n'a jamais entendu parler de poison qui diffère entre les sirènes et les humains. Elle va l'interroger mais il lui demande de répéter un mot qu'elle dit sans réfléchir. Lorsqu'elle voit sa queue de poisson se transformer en des jambes et l'humain devenir sirène, elle comprend ce qu'il est parvenu à faire.
- Tu as trouvé ?
Il acquiesce et il la serre contre elle.
- Désormais nous pourrons choisir de vivre sur terre ou dans la mer avec des jambes ou une queue de poisson selon notre envie du moment. Ainsi que tous nos descendants et leurs descendants qui transmettront ce pouvoir à tous leurs descendants pour l'éternité, le grand sorcier que je suis allé voir me l'a assuré. dit-il en serrant Melen contre lui, le cœur battant. S'ils le veulent, la mer se repeuplera sur ces côtes.
La sirène met du temps à comprendre ce qu'il lui dit et elle rit sous la lune.
- J'ai froid maintenant que je suis humaine. Viens !
Elle l'entraîne dans la mer main lui tenant la main pour lui faire découvrir son royaume en rêvant à une mer repeuplée dans un futur lointain si leurs enfants choisissent la mer et non la terre. Et si le vent murmure aux sirènes exilées au loin que cette partie du rivage se repeuple.

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- Viens avec moi ! Tout va bien se passer...
Melen vacille sur ses pieds maladroits et elle laisse Morgan la soutenir sur la plage. Sous ses pieds, elle sent le sable lui chatouiller la peau, sensation nouvelle pour elle. Elle prend appui sur ses pieds neufs en s'appuyant sur Morgan puis elle lui demande de s'arrêter et elle laisse ses doigts de pied s'enfoncer un moment dans le sable fuyant souriant d'amusement sous la lune. A petits pas prudents, la sirène commence à apprivoiser ses jambes et le jeune homme sent ses muscles se détendre sous ses mains. Gêné, il l'aide à se vêtir d'une simple robe bon marché qu'il a acheté au marché ne sachant que choisir devant l'étal de la marchande. Il retournera avec la jeune fille choisir d'autres vêtements par la suite. La robe informe de couleur grisâtre accroît l'aspect fragile de Melen qui semble avoir du mal à s'en accommoder, elle manque de se prendre plusieurs fois les pieds dans les pans de la robe qui lui bat les chevilles alors qu'elle fléchit les genoux dans sa tentative pour marcher. Elle claque des dents et elle frissonne de froid, sa peau toute neuve étant plus sensible au froid que ses écailles de poisson. L'aube pointe à peine et le pêcheur craint que quelqu’un les remarque malgré l'heure matinale. Il ne veut pas l'inquiéter mais malgré tout, il tente de l'entraîner à sa suite tandis que la sirène s'arrête par moment pour observer le décor autour d'elle.
- Nous devons rentrer avant le jour. Vous devez être fatiguée et je ne voudrais pas qu'on se pose des questions à votre sujet.
Elle le regarde un moment, une pointe d'inquiétude dans le regard puis elle laisse le jeune homme la conduire à sa petite maison. Elle peine à marcher et il la porte dans ses bras pour la mettre à l'abri avant le lever du jour.

  Sur le chemin, le cœur battant, la sirène se demande si elle pourra s'adapter à cette vie et elle observe autour d'elle sur le chemin qui la mène à l'abri, elle a compris que le pêcheur a construit sa maison et qu'il ne vit pas dans une cavité naturelle même si elle a du mal à imaginer comment les pierres tiennent ensemble. Mais elle ne pose pas les questions qui l'assaillent et elle observe les plantes battues par le vent qui l'entourent. Elle tend la main pour les toucher et le jeune homme se retourne. Elle sent son regard sur elle et elle s'excuse de le faire attendre.
- Il fait froid, je pense qu'il vaut mieux que nous rentrions rapidement. Mais si tu veux observer les plantes, nous reviendrons demain, je pense que le temps sera beau et moins venteux.
La maison du pêcheur est bientôt en vue et Morgan observe autour de lui pour s'assurer que personne ne les voit, rassuré, il la pousse à l'intérieur pour la mettre à l'abri.
- Ca va ? J'avais peur que tu attrapes froid.

  Le jeune homme la tient un moment contre lui pour la réchauffer et la rassurer. Il imagine sa peur et ses inquiétudes.
- Tu ne regrettes pas ton choix de m'avoir suivi ? Après tout, je suis un inconnu, j'aurais pu vouloir te faire du mal.
Melen sourit et elle relève la tête vers lui.
- J'ai lu au fond de ton âme et si tu avais voulu me faire du mal, tu aurais attendu aussi longtemps ? Je ne pense pas.
Les deux jeunes gens restent enlacés sans rien dire.
- Tu as soif, faim, froid ?
- Non, merci, tout va bien. Je ne sais pas ce que veut dire soif.
- Il est certain que sous l'eau, tu n'en manques pas. Sur terre, quand le corps manque d'eau, la langue et la bouche deviennent sèches pour simplifier. C'est comme ça qu'on sait qu'il est temps de boire avant qu'il ne soit trop tard.
- Et si on ne boit pas ?
- On a de plus en plus mal, la bouche devient très sèche et on finit par s'évanouir. Sans eau, on ne peut pas vivre sur terre, les plantes, les animaux et les humains meurent sans eau.
- Je crois que je comprends.
Le jeune homme réfléchit et il hésite à lui dire la vérité.
- Les humains meurent s'ils boivent de l'eau de mer. Bien sûr, on peut en boire en petite quantité mais à la longue, notre corps ne le supporte pas.
- Vraiment ? s'étonne la jeune fille.
Le pêcheur acquiesce.
- Nos deux espèces sont plus différentes qu'il y parait.