lundi 4 février 2019

La dernière sirène Chapitre 8/8

  Peu à peu, cette partie de la côte se repeuple et les sirènes vivent en paix dans le lieu hanté. Melen rejoint souvent son peuple d'origine avec ses enfants. Le pêcheur les observe de loin mais il ne se joint pas souvent à eux. Il craint que sa famille ne décide de quitter la terre pour rejoindre la mer et il préfère rester en dehors de cela.
- Tu ne viens pas avec nous ? s'étonne son épouse en s'asseyant à ses côtés alors qu'il reprise un filet un jour d'automne.
- Ma vie est sur terre, tu le sais et je crains toujours qu'un jour, tu ne rentres pas.
- Je t'ai choisi il y a des années, tu le sais. J'ai choisi de lier ma vie à la tienne de mon plein gré.
- Oui mais j'ai toujours entendu dire que les morganez ne pouvaient pas résister à l'appel de la mer.
- Peut-être, je ne sais pas mais je t'ai donné mon cœur et tu m'as fait promettre de te prévenir si j'envisageais de partir, tu t'en souviens ?
- Oui, je m'en souviens. Même si cela fait longtemps maintenant.
- Que vas-tu faire maintenant que ton peuple est revenu ?
- Je ne sais pas, je pense renouer des liens avec eux et vivre tant sur terre que dans la mer avec toi, bien évidemment.
Le pêcheur soupire et il la prend entre ses bras. Il reste un long moment serré contre elle le menton dans ses cheveux.
- Nous trouverons le bon équilibre pour nous et pour les enfants. Je n'en doute pas mais parfois je me demande si tu es heureuse avec moi.
- Bien sûr, sinon je serais partie depuis longtemps. Et nous n'aurions pas eu d'enfants et nous ne les aurions pas élevés ensemble.
- Tu crois que l'un d'eux choisira la mer ?
- Je le pense oui mais seul l'avenir nous le dira. Alors rejoins-nous un peu  plus souvent et apprends à connaître mon peuple et ceux parmi lesquels j'ai grandi, ils sont ma famille.

Melen prend le pêcheur par la main, il met son filet et ses outils en tas dans le creux d'un rocher avant de la suivre. Il se déshabille puis main dans la main, ils entrent dans l'eau. Ils disent la formule et ils rejoignent les sirènes qui s'ébattent sur les rochers. Les sirènes chantent en se peignant les cheveux et en riant. Elles se taisent à leur approche et elles leur font bon accueil. Les deux amoureux parlent de leur vie sur terre et ils leur parlent de l'enchanteur du Menez-Bré. Les sirènes écoutent mais elles disent que le sort ne les intéressent pas. Leur vie est en mer mais elles respectent leurs choix. Melen se sent en paix avec son choix de vivre sur terre et de voir que ses congénères comprennent son choix de vivre sur terre avec l'homme qu'elle a choisi. Elle le regarde et elle le sent se détendre.

Souvent alors qu'ils pêchent, les deux jeunes gens voient des sirènes leur faire des signes en prenant garde de ne pas se prendre dans leurs filets. Ils leur rendent leurs saluts et Melen s'interroge sur ce qu'aurait été sa vie sous les flots si elle l'avait choisi. Puis elle tourne le regard vers la terre et elle se dit qu'elle n'aurait jamais connu la nourriture humaine, la forêt, la campagne et les animaux qu'elle aime caresser, le feu et toutes les choses qui lui font aimer la vie sur terre. Elle songe combien leurs deux mondes sont différents et complémentaires et elle regrette que la peur et l'incompréhension sépare leurs deux peuples.
- Mais nos enfants seront peut-être le lien entre nos deux mondes qui sait ? Peut-être que notre existence sera révélée et que nous trouverons la paix nous enrichissant mutuellement de nos différences ?
Elle songe à la manière dont les siens ont fini par accepter l'humain qu'elle a choisi une fois la peur passée et elle espère qu'il en sera de même pour leurs enfants. Pourtant, elle a compris il y a longtemps que la société des hommes moins libre et plus codifiée que celle des sirènes est un obstacle majeure à la tolérance nécessaire à cette entente.
- On me dirait créature du diable si on savait. Alors qu'un être n'est pas fondamentalement bon ou mauvais, nous avons tous en nous du bon et du moins bon, c'est un choix de vie, une manière de répondre aux aléas de la vie. Mais je souffre de ne pas pouvoir me montrer telle que je suis, de devoir faire attention à ce que je fais ou dis en permanence. Il faut croire que ma nature profonde ne se fondra jamais réellement dans la société humaine.
- Le monde est ainsi, mon amour, tu le sais bien. Nous ne pouvons pas refaire le monde à nous deux, seulement tenter de le rendre un peu meilleur. Et d'être heureux dans nos petites vies tranquilles tous les deux. Tes cheveux ne blanchissent pas ? Tout comme les miens, je commence à m'inquiéter un peu.
- Mon peuple vit bien plus vieux que le tien, peut-être que nous devrions songer à partir loin d'ici...
- Mais j'ai toujours vécu ici, c'est dans ce pays que je suis né, cette terre fait partie de moi, je mourrai de partir loin d'ici tu le sais...
La sirène se mord la lèvre, ils n'avaient pas prévu cette éventualité et ils ont vu les années défiler avec angoisse en se demandant quand ils devraient prendre une décision quant à leur avenir.
- Il y a de petites îles où nous nous cachons, elles sont petites et inhabitées. Nous pourrions y vivre loin des hommes. Et nous ne serions pas loin de chez nous. De toutes façons, ta maison est isolée et battue par les vents, personne ne vient jamais par là.

- Nous avons le temps d'ici là, mon amour des mers. Nous trouverons une solution. Comme toujours depuis que nous nous connaissons.
- Nous avons eu de la chance, je ne sais pas si cela durera. Pourquoi tant d'intolérance de part et d'autre ? Nos deux peuples n'ont jamais été en guerre, je crois.
- Pas que je sache... Mais si nous pouvions changer les choses ? Je veux dire... Amener nos deux peuples à se parler et vivre en paix pour nos enfants.
- Et révéler notre existence aux hommes ? s'étonne Melen
- Cela vaut mieux que de rester cachés toute notre vie, non ?
- Et la mer est vaste, les hommes oublient vite...
- Mais par où commencer ? Le curé, il sait pour nous deux depuis le début. Et ici, les gens te connaissent, c' est un début mais comment l'annoncer ?

Main dans la main, ils marchent en bord de mer, les yeux tournés vers l'océan.
- Et comment l'annoncer ? demande la sirène. Et à qui faire confiance ? Et si on me traite de sorcière ?  Nous devrons partir alors que si nous nous sommes rencontrés, c'est que je ne voulais pas partir, tu le sais bien.
- Je crois que nous n'avons pas de solution dans l'immédiat. Mais c'est ce que nous nous disons depuis des années sans trouver de solution et les enfants grandissent, nous sommes responsables d'eux, ils n'ont pas à payer pour notre choix. Nous avons eu cette discussion mille fois, il faut agir. Allons voir le curé, il se fait vieux mais il saura nous aiguiller, j'en suis sûr.
Ils se dirigent vers le presbytère et ils exposent leur problème à l'homme d'église qui les écoute avec attention.
- Melen, vous m'avez dit il y a fort longtemps que votre peuple vit caché loin des hommes et les hommes ont peur des pouvoirs de votre peuple mais vous prouvez que les sirènes ne sont pas des enchanteresses qui envoûtent les marins. Enfin, un pêcheur. C'est un début mais vous prenez un risque mais je dois pouvoir éteindre l'incendie. J'en parlerai dimanche lors de mon prêche, on m'écoutera.

  Nerveuse, ce dimanche-là, Melen pénètre dans l'église. Depuis longtemps, les gens de l'endroit ne regardent plus avec curiosité l'étrangère qui n'a jamais dit d'où elle venait ni ce qu'elle fuyait. Et après avoir animé les conversations durant des années, on a fini par la considérer comme une habitante comme les autres.
L'homme d'église par le longtemps du peuple de la mer et les yeux se tournent avec insistance vers Melen qui baisse la tête. Des murmures emplissent la petite église mais on écoute religieusement l'homme qui parle d'une voix calme.
- Le peuple de la mer a repeuplé nos côtes et ils aspirent seulement comme nous tous à vivre en paix comme ils l'ont fait depuis toujours. Ils ne constituent pas une menace pour notre communauté et je crois que nous pouvons sceller une entente avec eux.
Le cœur serré, la sirène écoute les murmures parcourir l'assemblée. Puis les notables de la ville prennent la parole les uns après les autres pour se déclarer ouverts à une entente car s'ils ont ignoré la présence du peuple marin, c'est qu'ils ne sont pas hostiles aux humains. A sa suite, les habitants se rendent au bord de la mer et ils attendent en silence. Melen hésite puis elle se glisse dans la mer avant que Morgan la retienne et elle chante un chant de paix. Des têtes surgissent des flots et le peuple des sirènes vient à la rencontre des humains dans l'espoir de sceller une paix durable entre les deux peuples.