samedi 17 juin 2017

Attraction atomique

- Non mais c'est une blague ? Tu me fais marcher !
Dimitri la regarde par-dessus ses fines lunettes ; les cheveux en bataille, le biologiste relit les feuillets qu'il tient du bout des doigts comme s'ils allaient les lui mordre.
- Bon. Pour répondre à ta question, non, a priori et pour autant que j'en sache, si je me base sur mon expérience et mes connaissances, ce n'est pas possible. Mais c'est toi le chimiste, c'est donc à toi de me donner la réponse, non ?
- Virginie, tu sais que si j'avais la réponse, je n'aurais pas fait deux heures de métro pour venir te voir. Tu es ma meilleure amie et une biologiste émérite. Écoute, le patient, appelons-le Monsieur P. ; P comme patient, bref...  Il est entré au C.H.U. pour des douleurs et des sensations de cause inconnue : difficulté à respirer, peau qui semble se tendre. Après analyse par l'équipe du laboratoire de l'hôpital universitaire, il s'est avéré que ses cellules s'agglutinent entre elles sans raison apparente. Une fois accrochées les unes aux autres, elles continuent à fonctionner normalement durant un certain temps. Mais elles continuent à se rapprocher  jusqu'à se trouver compressées et s'effondrent les unes sur les autres. Ses cellules s'écrasent les unes sur les autres, tu comprends ?
- Une nouvelle forme d'apoptose, de mort cellulaire ? Ou de cancer ?
-  Non, l'apoptose est causée par un arrêt des divisions cellulaires et le cancer est une multiplication anarchique des cellules. C'est totalement différent, elles se regroupent et s'accrochent entre elles.
- Dimitri, il faut sauver ce patient. Et mieux comprendre ce phénomène unique en son genre.

 Le lendemain, nos deux amis se rendent au C.H.U. pour rencontrer le patient et son médecin. Le médecin les reçoit aussitôt dans une salle de réunion. Durant une heure, il leur explique le cas qui les intéresse : le patient avait consulté son médecin traitant pour des nausées, des vertiges et des tiraillements au niveau de la peau et du cuir chevelu. Des analyses avaient révélé des cellules collées entre elles, serrées les unes contre les autres. C'est pourquoi, son médecin le lui avait envoyé, il craignait une nouvelle forme de cancer et ne savait pas du tout comment traiter le phénomène ni vers qui l'envoyer. Il avait pensé à un cancérologue mais le cas lui semblait trop complexe. Les cellules de ce monsieur risquent de s'effondrer sur elles-même et de causer la mort du patient. Mais ils ne peuvent expliquer le phénomène.

  Un peu plus tard, Virginie et Dimitri rencontrent le patient ; il lisait un livre dans sa chambre d'hôpital quand ils frappent à sa porte. Bien qu'un peu pâle, il semble en parfaite santé. L'homme entre deux âges leur raconte son histoire : depuis quelques temps, il était fatigué mais il mettait ce phénomène sur le compte de l'hiver. Puis, il avait souffert de douleurs dans tout le corps, parfois, il respirait difficilement, sa peau paraissait desséchée et tendue, il était continuellement fatigué. Au début, il avait mis ces désagréments sur le compte de l'hiver froid et qui n'en finissait pas ainsi que sur le manque de soleil et de vitamines. Mais l'arrivée du printemps n'avait rien changé.
- Donc vous souffrez de ces désagréments depuis plus de trois mois ?, s'étonne Virginie en prenant des notes sur un calepin.
- Oui, j'ai mis du temps à consulter mais je ne me suis pas inquiété non plus, au départ. Vous pensez pouvoir m'aider ?
- Honnêtement, je l'ignore. On essaie de comprendre pour l'instant ; ensuite, viendra le temps de trouver un remède. D'ailleurs, on vous a donné quoi comme traitement, demande-t'elle en prenant le sachet contenant les médicaments, posé sur la table.
- Des vitamines, des oligo-éléments et c'est tout pour l'instant. On m'a parlé de chimiothérapie mais ils veulent s'assurer que c'est bien un cancer avant de l'envisager.
- Je vois ; en fait, vous n'avez pas été traité depuis le début du phénomène. Donc, on ne sait pas ce qui marche ou pas, enchaîna Dimitri en jouant avec son stylo. Bien, je crois qu'on va vous laisser. On vous tiendra au courant s'il y a du nouveau.
 
Dans le couloir, ils se concertent ; le temps leur est compté s'ils veulent espérer sauver la vie de ce patient. Des antibiotiques ou une chimiothérapie seraient sans doute inefficaces pour traiter ce phénomène. On pouvait envisager une thérapie génique si on trouvait la cause du problème.
- Je veux dire que si ce phénomène résulte d'une anomalie génétique, on pourrait peut-être le traiter., reprit Virginie. On va commencer par demander une analyse ADN.
Quelques jours plus tard, les résultats tombent, le patient souffre bien d'une anomalie génétique. Lors de la division cellulaire, une portion essentielle du brin d'ADN s'est mal répliquée. Depuis l'anomalie se transmet aux cellules adjacentes au gré des aléas des divisions cellulaires. Il reste à trouver le bon protocole pour gagner l'anomalie génétique de vitesse avant qu'elle ne dérègle un organe vital et cause le décès du patient.
Dès le lendemain, une équipe de scientifiques travaille jour et nuit sur la question, des spécialistes de la France entière apportent leur aide, leurs connaissances et leur matériel. Des échantillons voyagent à travers le pays tout entier pour percer le mystère de cette double hélice.
Dix jours plus tard, alors que le patient est de plus en plus faible, les résultats commencent à tomber avec la même rengaine : le cas est intéressant, le biologiste qui trouvera le remède pourrait bien gagner un prix Nobel mais pour le moment, on cherche et trouver le remède et le bon protocole prendra du temps. Virginie les presse, le patient est au plus mal, ils doivent faire vite !
Les médecins décident d'enchaîner les examens pour ne rien laisser passer : ils optent pour une angioscopie et  une scintigraphie pour s'assurer de la bonne vascularisation globale du corps, plus  un scanner. Ces examens ne révèlent rien d'intéressant.
- Bonjour, je suis désolée mais pour le moment nous avons fait tout ce qui est en notre pouvoir, dit Virginie. Assise auprès du lit du patient qui la regardait avec espoir, il y a un instant, elle s'émeut. N'y a-t'il dont rien à tenter pour le sauver ? L'intérêt est retombé, faute de découverte, il ne reste qu'elle et Dimitri pour le sauver. Le malade détourne le regard, il a compris, il est condamné et il lui fait signe de sortir après l'avoir remerciée. Alors qu'elle vient de refermer la porte le cœur lourd, la main de la jeune femme se crispe sur la poignée. Elle quitte l'hôpital en courant.
- Dim', il faut que je te vois tout de suite, tu es disponible ? Parfait, je te retrouve à la cafétéria de l'hôpital.
Quelques minutes plus tard, ils sont attablés dans la cafétéria déserte, un mauvais café fumant à la main. Ils parlent à voix basse à la recherche d'une solution pour traiter le phénomène. Ils savent qu'une anomalie génétique est à l'origine de la dégénérescence cellulaire du patient. Dimitri a fait des fiches cartonnées avec les hypothèses qu'ils ont explorées et d'autres pistes éventuelles. Il est toujours méticuleux et scientifique tandis que Virginie garde tout en tête.
- On fait fausse route depuis le début. La jeune femme vient de poser son café sur la table d'un geste brusque. Ce n'est pas un cancer, c'est une maladie auto-immune !
- J'y avais pensé également, dit Dimitri. Attends, je cherche la fiche. Elle est là, ça pourrait coller. Ou... c'est une maladie auto-immune au niveau atomique. Je t'explique : les atomes qui constituent les cellules s'agglutinent les uns aux autres, c'est ce qu'on a observé. Les cellules immunitaires ont reconnu la modification de la nature de la cellule qui s'effondre peu à peu sur elle-même et l'attaquent ce qui rend notre patient malade, associé à la dégénérescence de ses cellules .
- Ce qui n'explique pas pourquoi les atomes s'attirent les uns les autres. Ils s'attirent naturellement, c'est une histoire d'électrons, je crois. Or les réactions d'oxydo-réduction jouent sur les liaisons entre les atomes. On va lui faire respirer un peu trop d'oxygène afin d'affoler ses cellules et les réorganiser.

  Dès le lendemain matin, le patient est placé en chambre stérile sous oxygène. L'air est peu à peu saturé d'oxygène pour « affoler » les cellules. Inquiète, tout l'équipe médicale est présente ; anxieuse, elle attend la suite des événements. L'état du patient est tellement dégradé que c'est certainement son ultime chance de s'en sortir. Le taux d'oxygène dans l'air devient dangereux mais l'équipe décide de poursuivre l'expérience, c'est sa seule chance. En hyperoxie, le patient montre des signes de faiblesse mais les scientifiques décident à l'unanimité de continuer d'affoler les cellules. De toutes manières, il est condamné à court terme.
- Score de Glasgow ? demande Virginie. Attendez, ouvrez les yeux, Monsieur. Passez-moi une aiguille stérile. Merci, c'est bon, il les ouvre à la douleur, deux. Répondez-moi ! Réponse incompréhensible, deux. Extension à la douleur, deux. Ce qui nous fait un score de six, coma. On l'emmène au service de réanimation, vite. Appelez-les et faites le nécessaire dans l'immédiat.
Quelques heures plus tard, le patient ouvre les yeux. Les analyses ont révélé qu'il est tiré d'affaire, il en pleura et remercia toute l'équipe. Une revue scientifique s'intéresse au malade et un article sera bientôt publié sur cette nouvelle maladie et son traitement innovant.
- Merci docteur !
- C'est mon amie Virginie qu'il faut remercier, sans elle, vous ne seriez pas là.
- Merci à vous deux. Pourtant, je ne me sentais pas du tout d'atomes crochus avec vous mais j'ai eu raison de vous faire confiance.