La femme
s’est assise sur son banc habituel pour déjeuner comme chaque jour. Elle
profite du soleil et du chant des oiseaux en mordant dans un sandwich. En ce
vendredi, elle songe au week-end solitaire qui l’attend.
Un homme
s’assoit à côté d’elle et se cache derrière son journal. Un coup de vent fait
s’envoler une page et elle court après par réflexe.
- Merci,
dit-il avec un grand sourire.
- De
rien !
- En fait, je
ne vous avais pas vue, j’étais absorbé dans ma lecture et je suis de nature
distraite.
- Je déjeune
toujours sur ce banc, il n’y a jamais personne et les gens passent sans me
voir.
- Comme
partout.
- Comme
toujours.
- Vous
travaillez à côté ?
- Oui, à la
banque au coin de la rue.
- Mais moi
aussi !
- Nous ne
sommes jamais croisés, c’est étrange.
- Personne ne
fait attention à personne de toutes manières.
- Allons
boire quelque chose avant de reprendre le travail, il fait chaud et nous avons
le temps d’aller à la buvette juste à côté.
- Souvent je
regarde les gens et je me demande pourquoi, de nos jours, il est si difficile
de communiquer alors que jamais il n’y a eu autant de moyens de communication.
Mon collègue de bureau par exemple, je sais beaucoup de choses de lui car j’ai
pris le temps de l’interroger mais lui n’a jamais pris le temps de me
considérer comme un être humain.
- Je regrette
le temps où l’on se faisait la bise ou l’on se serrait la main entre collègues.
Vous savez, il y a des jours où personne ne me touche ou me sourit.
- Je vous
comprends et je regrette aussi cette solitude alors que je suis entourée de
tant de gens. Mais j’ai l’espoir que cela change avec un peu de gentillesse et
d’écoute, un regard ou une poignée de main peut créer un lien ténu entre deux
individus. Mes collègues fuient le regard des autres ; parfois je souris
et je me retrouve à sourire bêtement car personne n’y répond. Alors, de dépit,
je replonge le nez sur mon clavier. Même lorsque les gens se touchent par
inadvertance en prenant le café, ils ont un mouvement de recul.
- Fais-moi un
câlin !
- Quoi ?
Mais ma pause déjeuner est presque terminée !
-
Allez-y !
Les bras
grands ouverts, l’homme en costume noir attend. Avec un sourire, la femme en élégant
tailleur bleu marine se blottit dedans, elle sent son parfum et écoute le bruit
de sa respiration.
-
Merci ! Déjeunons ensemble demain. Deux solitudes mises ensemble font deux
bons amis.
En se
séparant pour rejoindre leurs bureaux respectifs, l’homme et la femme si disent
que ce moment de confiance éphémère était une parenthèse de rêve dans la morne
réalité.