Jeune
musicien, étudiant au conservatoire, j'ai cassé le piano d'occasion
que je possédais. Irréparable, j'ai dû me résoudre à le
changer. Étudiant pauvre, j'ai écumé internet et les brocantes, les
magasins proposant de l'occasion pour me procurer un nouvel
instrument dans les plus brefs délais car les examens approchent.
En passant
devant un magasin d'antiquités, j'ai vu un magnifique piano en
vitrine à un prix défiant toute concurrence. J'ai failli passer mon
chemin à cause des réparations nécessaires sur ce piano au vu de
son prix mais malgré tout, je décidais d'entrer dans la boutique.
Je demandais à voir le piano qui était sans la moindre éraflure,
il sonnait juste, je ne comprenais pas son prix, il devait manquer un
zéro sur l'étiquette ou elle avait été échangée avec une
autre. Affable, le vendeur me demanda si ce piano l'intéressait ;
aussi, je décidais de tenter de négocier son prix. Peut-être le
possédait-il depuis longtemps et voulait-il s'en débarrasser car
il prenait de la place dans sa boutique ? Il me confirma son
prix et à mes questions, me répondit qu'il possédait ce piano
depuis de longues années et qu'il ne trouvait pas d'acheteurs. Peu à
peu, il en a baissé le prix. Il semblait en bon état, je le pris.
Une fois
installé chez moi, je le nettoyais, même s'il n'en avait pas
besoin. Je l'inspectais de nouveau sous tous les angles à la
recherche du nom du fabricant que je n'avais pas trouvé mais je ne
trouvais qu'un nom inconnu : S. Méphistophélès. D 'après
le nom, je supposais qu'il était d'origine grecque mais je n'avais
pas connaissance qu'ils fabriquaient des pianos dans les temps
anciens car ce piano était ancien à n'en point douter malgré son
étonnant état de conservation. C'était certainement un élément
d'explication de son prix étonnament bas.
Le piano
fonctionnait, il sonnait juste, c'était l'essentiel. Ce soir-là, je
ne poussais pas plus avant mon essai de ce piano même si j'en
brûlais d'impatience car je devais aller à une conférence sur la
musique baroque. La conférence se termina tard et je ne jouais pas
ce soir là, trop fatigué pour cela.
Le
lendemain, reposé et une tasse de café fumante à proximité, je
sortis mes partitions les plus simples pour m'habituer à mon nouvel
instrument. Il sonnait étrangement comme si le son était lointain,
venu d'ailleurs. Je regardais de nouveau l'instrument sous toutes les
coutures mais je ne trouvais rien d'étrange. J'en déduis que le
bois devait être la cause de ce son étrange et même quelque peu
déplaisant. Je décidais de jouer sur l'instrument pour m'y
habituer.
Lorsque je
jouais un morceau du requiem de Mozart, l'instrument réagit
bizarrement. Comme si le piano refusait de jouer les notes. Intrigué,
je jouais un morceau plus simple que je jouais sans difficulté
malgré la résonance étrange du son du piano.Après
quelques jours de travail, je me rendit à l'évidence : je ne
pouvais jouer correctement les œuvres religieuses. Je ne comprenais
pas jusqu'à ce que je me souvienne de l'inscription trouvée
quelques jours plus tôt : Méphistos !
Je mis
quelques jours avant de prendre ma décision. Mais une nuit, la
curiosité l'emporta sur la peur. A minuit, je jouais La damnation de
Faust et Méphistos apparut devant moi, prêt à m'emporter. Dans ma
terreur, je récitais un Ave Maria. Ses yeux rouges se plissèrent et
me regardèrent avec cruauté tandis que je marmonnais les mots
latins sans les comprendre, incapable de réfléchir. Il poussa un
hurlement qui ébranla les murs et réveilla les voisins avant de
disparaître dans la nuit. Je fis comme tous les voisins, j'ouvris ma
porte en demandant ce qui se passait, j'étais seulement un peu plus
pâle que les autres voisins. Nous finîmes par aller nous recoucher
sans chercher à résoudre cette énigme. Je ne pus dormir cette
nuit-là mais au matin, j'avais pris ma décision.
Le
lendemain matin, un prêtre exorciste vint examiner le piano. Je ne
sais ce qu'il fit exactement car je restais dans ma chambre,
tremblant de peur. J'entendis des prières en latin dites à voix
hautes, une voix caverneuse répondre au prêtre exorciste, du bruit
de verre brisé et les murs tremblèrent. Puis ce fut le silence et
le prêtre exténué vint me voir : le piano était exorcisé.
Il me
fallut six mois pour oser m'approcher de ce piano et tenter de jouer
dessus, tant le souvenir de cette nuit-là était intense. Il avait
toujours ce son étrange, unique mais ne réagissais plus quel que
soit le morceau que je jouais. Je l'ai gardé et c'est toujours mon
instrument de travail. Je prends seulement garde à ne plus jouer
après minuit. Quand minuit est près de sonner, je referme le piano
et je vais me coucher en frissonnant au souvenir d'une certaine
nuit...