vendredi 18 août 2017

Hôtel de charme particulier Chapitre 4

  Toute l’équipe se trouve réunie dans le hall et le directeur les rejoint pour leur fait part du dernier bulletin météorologique. Ophélien qui a l'habitude de rester caché derrière le comptoir le voit sous un nouveau jour. La double porte de bois sculpté avec une épaisse vitre qui ne laisse pas passer la lumière, le bois sombre de la grande pièce au parquet de bois foncé renforcent la tristesse de ce lieu qu'il juge sinistre en ce jour de pluie. Son comptoir de bois et le miroir situé derrière lui paraissent tristes et solitaires. Derrière le comptoir, Ophélien entend du bruit dans le couloir qui mène aux toilettes et vers le bureau du gérant. Il inspecte le reste de la pièce mais il ne voit que la porte qui mène vers les communs et celle qui conduit au restaurant. Inquiet, l'adolescent inspecte les deux escaliers de chaque côté qui montent vers les chambres. Mais tout est tranquille. Le jeune réceptionniste qui a oublié son employeur écoute son discours.
- Un avis de tempête a été émis. Personne ne peut quitter ou rejoindre l’île. Nous n’avons pas été prévenus, l’hôtel n’a donc pas été évacué. Nous avons eu des problèmes de communication, nous patienterons ensemble si vous le souhaitez ou vous pouvez rejoindre vos chambres dès à présent sous réserve de laisser vos volets fermés. Les vitres risquent de se briser sous la force du vent, il est donc primordial que les volets demeurent fermés jusqu’à la fin de la tempête. Vous devez veiller à prévenir les clients et les installer dans le grand salon.

  Les clients arrivent peu à peu et ils s’installent confortablement dans le grand salon où de la musique est mise pour créer une ambiance chaleureuse. Au bout de quelques minutes, une voix indéfinissable s’élève de l’appareil et ses mots incompréhensibles emplissent la pièce avant de se réduire à un chuchotement puis de mourir pour laisser place à la musique. Toutes les personnes présentes se regardent en souriant avant de reprendre leurs activités habituelles. Ophélien sursaute en entendant la voix s’élever dans la pièce, il se demande s’il a rêvé ou non mais face à l’indifférence des autres occupants du salon, il se dit qu’il a imaginé la chose. Chargé de guider les clients, il estime sa présence inutile et il quitte le petit salon avec un dernier regard pour examiner ce lieu qu'il ne connaissait pas. Les fauteuils de velours bleu foncé, les lourds rideaux du même velours qui ornent les fenêtres et la petite cheminée donneraient à cette pièce une allure chaleureuse sans le bois sombre du parquet et les sinistres portraits aux murs qui semblent représenter les anciens occupants des lieux. Tristes et fatigués, les personnages peints paraissent suivre des yeux ce qui se passe dans la pièce et le bois sombre du cadre ne fait que renforcer cette impression sinistre.

  Le vent fait rage et Ophélien qui se rend aux toilettes pour assouvir un besoin naturel entend du bruit une fois la porte refermée. Un son indéfinissable l’entoure comme du sable qui s’écoule d’un sablier. Intrigué, il inspecte la petite pièce et il se rend compte que le bruit provient des murs. L’oreille plaquée au carrelage froid, il écoute longtemps le bruit qui l’intrigue. Il se mue en pluie de gravillons qui tombent et c’est plein de peur qu’il revient dans la salle commune. Silencieux, il réfléchit, ces bruits ont forcément une explication logique. Mais il ne trouve rien et il se résout à retourner dans la pièce pour faire ce qu’il était venu y faire car il n’ose pas monter dans les étages seul. Des grattements ont succédé au bruit d’écoulement et il quitte la pièce précipitamment quelques minutes plus tard tandis que des couinements accompagnent le bruit de la chasse d’eau. Terrifié, le jeune garçon reste debout quelques instants dans le couloir pour tenter de reprendre ses esprits.
- Ce n’est rien  ! Les murs de bois sont vermoulus, des souris vivent dans l’épaisseur des murs. Elles ont dû faire tomber de la sciure, des morceaux de bois et des gravats en essayant de monter ou descendre. Ce n’est rien de grave, il y a forcément une explication logique. songe-t'il en rejoignant le salon où rien n’a changé.

   Deux heures passent et Ophélien qui n’a pas grand chose à faire reste assis dans un fauteuil un peu à l’écart. Il rêve à son tour du monde, il se voit avec son amie sur un voilier dans le Pacifique, ils piquent-niquent sur un atoll désert avant de se baigner et de faire une sieste au soleil. Ils vont ensuite nager avec les dauphins et les tortues dans l’eau chaude des mers du sud. Puis ils prennent un avion vers l’Australie où ils s'émerveillent des kangourous, des koalas et tout un tas de créatures qui vivent en liberté dans le bush. Il se voit en train d’envoyer une carte postale à ses parents depuis une boîte aux lettres perdue dans la brousse quand il sent une main se poser sur son épaule.
- Ophélien ? Nous allons faire passer les plateaux de boisson et de nourriture parmi les clients. Vous nous aidez ? dit la voix de monsieur Sutingocni.
L’adolescent acquiesce, quittant ses rêves à regrets.

  La tempête s’apaise et peu à peu, les clients reprennent leurs activités habituelles. Le jeune employé décide de rejoindre sa chambre pour se changer. Alors qu’il allait tourner la poignée, le grincement du parquet l’arrête. Il pense que quelqu’un se trouve dans la pièce, profitant que tout le monde est réuni dans le salon pour voler les clients et il ouvre la porte en grand pour surprendre l’intrus. Mais la chambre est vide, le contenu de sa valise est éparpillé dans toute la pièce et la fenêtre ouverte laisse entrer la pluie qui a commencé à tremper les vêtements à sa portée. Ophélien referme la fenêtre et il vérifie qu’il ne manque rien à ses modestes possessions avant d'éponger le parquet comme il peut.

  La tempête terminée, les clients rejoignent leurs chambres tandis que les employés rouvrent les volets dans les chambres laissées vides. Ophélien remarque que les draps sont roulés au pied d’un lit qui aurait dû être fait car personne n’occupe cette chambre. Avec un soupir, il vérifie que les draps sont propres et il refait le lit comme il peut. La main sur la poignée, il va sortir après avoir jeté un dernier regard derrière lui quand il entend le bruissement d’une étoffe vers l’emplacement du lit. Il se retourne mais il ne voit rien sur le lit et dans la pièce. Les sourcils froncés, il inspecte la pièce mais les deux tables de nuit, la petite armoire et le bureau n'ont pas bougé, il hésite à aller vérifier qu’une souris ne s’est pas glissée dans le lit mais il n’entend rien et il sort précipitamment, pris de chair de poule. En fermant la porte, il remarque que la chaise est couchée sur le bureau, ce qui est inhabituel mais il fait comme s'il n'avait rien remarqué.

  Dans une autre chambre, il trouve toutes les portes et tous les tiroirs des meubles ouverts. Ophélien se dit qu’un employé a dû utiliser sa clé passe-partout pour fouiller les chambres à la recherche d’objets oubliés et qu’il a peut-être volé des choses. Il se demande s’il doit en parler à son employeur mais il renonce, le coupable ne sera jamais découvert de toutes manières et il se fera mal voir par l’équipe. Au fond, cela ne le regarde pas le moins du monde et il est probable que le voleur soit rentré bredouille.
  
  Le soir venu, Ophélien couché dans son lit accuse la fatigue d’avoir trompé son imagination. Il rit de sa bêtise avant de s’endormir. Au matin, ses pieds trempent dans une flaque d’eau lorsqu'il se lève. Intrigué, il remarque que l'eau provient de sa salle de bain où il trouve le robinet de son lavabo ouvert et la vasque qui déborde, le bouchon est mis. Avec un soupir, le jeune garçon vide le lavabo et il éponge avec des serviettes l’eau qui a inondé le parquet. Il ne se souvient pas s’être lavé la veille au soir et il ouvre la fenêtre pour faire sécher le parquet en se préparant aussi vite que possible. Une demi-heure plus tard, il descend en retard pour prendre son petit-déjeuner. Seul, il avale un café tiède et il se glisse derrière son comptoir. La journée se passe sans incident notable. Alors qu’il rejoint sa chambre, le soir venu, il entend des bruits de pas derrière lui mais lorsqu’il se retourne, il ne voit personne. Il est pourtant certain d’avoir entendu des pieds nus fouler le bois de l’escalier.
- Je deviens fou  !

  La tête dans les mains, le jeune homme entre dans sa chambre où il trouve toutes les portes de placards, les fenêtres et tous les tiroirs ouverts. Il gémit, mais il se rassure, quelqu’un s’amuse à lui faire des farces, il n’y a rien de paranormal dans tous les évènements passés.

  Autour de lui, le parquet grince, la peur commence à s’insinuer en lui. Son cœur et sa respiration s’accélèrent, la chair de poule le fait trembler. Ophélien frissonne mais il se reprend.
- Je vais être courageux et je vais aller voir ce qui se passe  !
Le jeune garçon referme toutes les portes puis il descend l’escalier, ses pieds nus font craquer le bois. Dans le salon vide, la télévision est allumée, l’image brouillée est accompagnée de voix déformées. Il entend des chaises racler le sol dans la salle à manger proche. Ophélien sent ses cheveux se dresser sur sa tête et il remonte dans sa chambre.
- Tu es stupide  ! Quelqu’un a dû allumer la télévision et oublier de l’éteindre. Peut-être que monsieur Sutingocni est insomniaque et qu’il travaille en silence durant la nuit. Ne sois pas stupide, qui serait entré dans ta chambre  ? Un client ou un employé de l’hôtel jaloux  ? Ton patron ne pourra rien faire pour toi et tu peux toujours aller voir la police, mais rien n’a été volé, ils ne feront rien. On te harcèle, reste à réunir des preuves de ce que tu avances pour aller voir les personnes concernées mais pas de suite, tu n’as aucune preuve.

   Le lendemain soit dix jours après son arrivée, Ophélien se dit qu’il est grand temps de faire une lessive. A la fin de sa journée de travail, il cherche quelqu’un qui l’aide à mettre en marche sa machine et il demande à son employeur, un peu honteux, comment faire. Il regarde l’adolescent avec un sourire et il lui explique qu' il faut bien commencer un jour.
- Le mode d’emploi est affiché dans le local, ne vous inquiétez pas, ce n’est pas compliqué. Vous choisissez le programme, la température selon les étiquettes des vêtements, tout est noté sur la machine, vous mettez la lessive à l’intérieur et vous mettez en marche. Je dois y aller, il est tard  ; à demain  !

  Dans le hall, sa bassine de linge à la main, l’adolescent se sent stupide. Il se rend dans la buanderie pour essayer de faire ce que son patron lui a dit. Une petite notice est apposée sur le mur et il essaie de comprendre ce qu’il doit faire.
- Bon, mon vieux, on y va. Tout le monde fait ça, tu dois bien pouvoir y arriver. «  Attention, ne mélangez pas les couleurs claires et foncées.  » Euh, oui  ? C’est quoi la limite entre une couleur claire et foncée  ? Du gris moyen ou du jean, c’est quoi  ? «  Attention aux linges délicats.  » Le patron m’a parlé de la laine et euh, je n’ai rien de délicat… Ou mes sweatshirts avec des motifs collés dessus, ça compte  ? Maman râle souvent pour que les mette à l’envers, c’est sans doute pour ça.

  Dépité, Ophélien trie le linge comme il peut, il met consciencieusement ses sweatshirts à l’envers pour ne pas abimer le décor. Il pense qu’il a bien effectué son premier tri, il est seul, aussi, il utilise deux machines à laver pour séparer les couleurs.
- Je mets le linge, la lessive. Où  ? Le schéma n’est pas du tout clair… D’accord, on va dire ici. Les lingettes antidécoloration, ça sert à quoi  ? Gnagnagna,blabla, leur mode d’emploi n’est pas très clair. Je les mets sur le dessus ou au milieu du linge  ?
Un peu inquiet, il met les deux machines en marche après avoir réglé la température au jugé. L’eau commence à entrer dans la machine et il craint de la voir déborder de partout en jets de bulles et de mousse, mais il n’en est rien. Soulagé, il attend, il ne sait pas combien de temps la machine met à se terminer. Au bout d’un temps qui lui semble très long, il sort enfin son linge.
- Mais c’est une machine à salir le linge ou quoi  ?

  Les vêtements ont pris une teinte marron, l’adolescent a envie de pleurer. Courageusement, il décide de refaire la manipulation dans l’espoir de voir ses vêtements ressortir enfin propres. Il met en marche un cycle long avec une quantité importante de lessive, il craint de voir la mousse sortir de la machine à laver mais il n’en est rien. Une demi-heure plus tard, son linge ressort parfaitement propre à son grand soulagement.
- Je suis trop fort, j’ai réussi ma première machine  de linge  !
Pourtant, il ne comprend pas d’où venait cette couleur marron. Il se demande si elle ne provient pas de l’eau qui se serait salie pour une raison inconnue mais dans ce cas, pourquoi même ses vêtements gris sont-ils ressortis marron  ? A moins que l'eau ne soit très boueuse.

   Ce soir-là, l'adolescent s’endort épuisé après avoir annoncé à ses parents que ça y est, il sait faire une machine. Il leur ment en leur disant que tout se passe bien, il ne parle pas des choses bizarres qu’il croit voir depuis son arrivée. Ils vont lui dire que c'est lié au stress et qu’il doit consulter un psychiatre, chose qu’il n’a pas envie d’entendre, il a assez de mal à se convaincre lui-même de l'envisager avec sérieux.

  A minuit, Ophélien entend du bruit dans la chambre, des pieds nus foulent le parquet qui se met à grincer. Le cœur battant, il ouvre les yeux et il scrute le noir de la pièce sans succès. A tâtons, il cherche sa lampe de chevet durant d’interminables secondes. Quand enfin, il la trouve, elle ne fonctionne pas. Blême, il écoute autour de lui mais tout paraît silencieux. Il se remémore la disposition de la pièce pour courir vers l’interrupteur. Sur son passage, il heurte une chaise mais il trouve ce qu’il cherche. La lumière inonde la pièce où il est seul.
-J’avais oublié la chaise  ! songe-t’il. Je deviens vraiment dingue dans cette maison qui pourrait bien être hantée.
Il revient vers la lampe qu'il trouve débranchée. Le fil à la main, il ne comprend pas comment cela a pu arriver.
- Bon, ce n’est rien, j’ai peut-être tiré dessus en me levant en vitesse un matin.

   Les deux jours suivants, chaque fois qu’Ophélien entre dans la pièce, une odeur de renfermé assaille ses narines. Il aère la chambre chaque fois qu’il le peut mais il n’ose pas laisser la fenêtre ouverte de peur de laisser entrer des insectes qu’il aura du mal à faire sortir. Il inspecte la chambre plusieurs fois à la recherche de la cause de cette odeur mais il rentre toujours bredouille de ses inspections. Plusieurs fois, alors qu’il prend sa douche, il entend le parquet couiner. Mais il sait que personne ne peut entrer car il n'a pas entendu la porte s'ouvrir en grinçant et il se rassure, ce n’est que le fruit de son imagination.

   L’odeur disparaît du jour au lendemain sans que le jeune garçon comprenne l’origine de ce changement. Durant ces deux jours, il a cherché l’odeur dans l’hôtel mais il n’a rien trouvé de semblable dans les pièces où il s’est rendu. Il a tenté de suivre l’odeur à plusieurs reprises sans résultat. Il se questionne longuement, la fatigue commence à lui brouiller les idées. Il se fait plusieurs fois la réflexion qu’il devrait noter les évènements pour s’en souvenir et peut-être trouver une explication.

  Ce soir-là, Ophélien est épuisé mais il sait qu’il n’arrivera pas à dormir. Il a besoin de mettre de l’ordre dans ses idées.
- Commençons par le début. Qu’est-ce qui est inexplicable ou vraiment étrange  ?
L'adolescent réfléchit mais il ne trouve rien d’inexplicable. Il conclut que ce ne sont que des coïncidences, un concours de circonstances. Il convient également que la demeure où il se trouve et la lande qui l’entourent jouent dans sa perception des choses, le climat est favorable à l’imagination de choses farfelues qui n’existent pas.

  A minuit, il sent un frôlement près de lui et il n’y tient plus. Il s’habille et il sort dans la nuit pour trouver une pharmacie. Après une demi-heure de marche, il arrive à une officine qui, par chance, est de garde cette nuit-là.
- Bonjour, je voudrais un somnifère.
- Bonjour, vous en avez déjà pris  ?
- Jamais.
- Vos insomnies sont récentes  ?
- Oui, depuis que j’ai commencé à travailler.
- Votre emploi se passe mal  ?
- Non, ça se passe bien.
- Vous êtes stressé  ?
- Pas plus que d’habitude, enfin si, il se passe juste des choses bizarres.
- Quel genre de choses  ?
- Des bruits de pas, des lumières qui s’allument sans raison, le parquet qui grince.
- Vous vivez dans un vieux logement  ?
- Oui.
- Je vous donne ce médicament, c’est un somnifère léger à base de plante pour l’essentiel. Il est sans ordonnance. Prenez également ceci, c’est de l’homéopathie, ça vous aidera à vous détendre. A moins que vous ne vouliez pas d’homéopathie  ? Si vos troubles persistent, allez voir votre médecin traitant qui vous donnera un traitement plus fort ou vous orientera vers un médecin psychiatre. Il est normal d'avoir des insomnies lorsque l'on dort dans un endroit qui n'est pas familier avec un changement de rythme.
- Merci beaucoup. Je n’ai jamais pris d’homéopathie mais si ça se vend, c’est que ça marche, non  ??
- A vous de voir...

  Ophélien rentre dans la nuit, inquiet de l’heure de son réveil qui semble si proche. Il réfléchit. Et s’il devait envisager de voir un psychiatre  ? S’il devenait fou  ? Il prend consciencieusement ses médicaments après avoir longuement observé les granules d’homéopathie.

  Malgré la prise de médicaments, le jeune garçon dort mal cette nuit-là. Il lui semble entendre à plusieurs reprises le parquet du couloir grincer et des pieds nus le fouler. Il n’a pas le courage de se lever pour demander à l’insomniaque de retourner se coucher ou d’aller se promener ailleurs. Pourtant à trois heures du matin, il n’y tient plus et il se décide à se lever pour chasser l’intrus. Le couloir est désert et par les fenêtres la lumière lunaire éclaire faiblement le couloir.
- Il n’y a personne. Tu deviens fou, mon vieil Ophélien. se murmure-t’il dans le noir.
Un rire lui répond, il rentre dans sa chambre pris de peur. Couché entre ses draps, il se demande s’il n’est pas somnambule. Il étudie la question jusqu’à ce qu’il se souvienne que des choses étranges lui sont arrivées en journée et que personne d’autre ne semble y prêter attention. Il reprend des somnifères malgré le risque de surdose et il s’endort enfin. Sa nuit est ponctuée de cauchemars, des ombres dansent en rond autour de lui en chantant une chanson paillarde dont il ne saisit pas les paroles. Il ne comprend que quelques mots et le propos général.

  Un besoin pressant lui fait reprendre conscience et il se lève en traînant les pieds, un peu reposé. Ses affaires sont éparpillées dans la pièce. Avec un soupir, il les range et il jette les somnifères car il n’ose pas en prendre plus et visiblement, ils ne résolvent pas ses problèmes d’hallucination et de somnambulisme. Assis sur le tapis de bain, Ophélien cherche à reprendre ses esprits durant d’interminables minutes. Son reflet dans le miroir lui montre un visage blafard et des cheveux en bataille. Il se passe de l’eau sur le visage avant de brosser et tresser sa chevelure dorée. Un peu apaisé, il retourne se coucher. La tête enfouie sous le drap, le jeune garçon finit par se calmer et s’endormir épuisé. Toute la nuit, il rêve d’ombres dansant autour de lui en chantant des chansons tantôt paillardes, tantôt teintées d’humour très noir à la limite du sordide. Au petit matin, les ombres cessent de chanter et il entend leur conversation  :
- Ce n’est pas drôle, ce nigaud ne comprend rien  ! Si nous cessions de nous acharner sur lui  ?
- C’est justement cela qui est drôle, il ne voit rien du tout  ! Et quand il va enfin comprendre, ce sera vraiment un moment mémorable.
- Non, mais arrêtez, il faut qu’on en parle, c’est un cas clinique, cet adolescent  ! Il remarque les choses mais il ne comprend rien du tout  !
Effrayé, Ophélien se réveille en sursaut. La pièce est silencieuse, il est seul.
- Il faut vraiment que je consulte un psychiatre en rentrant. Cette vieille bâtisse me rend fou. se dit-il.
Rassuré par cette explication rationnelle, il se rendort persuadé d'avoir fait un cauchemar.