Toute l’équipe se
trouve réunie dans le hall et le directeur les rejoint pour leur
fait part du dernier bulletin météorologique. Ophélien qui a
l'habitude de rester caché derrière le comptoir le voit sous un
nouveau jour. La double porte de bois sculpté avec une épaisse
vitre qui ne laisse pas passer la lumière, le bois sombre de la
grande pièce au parquet de bois foncé renforcent la tristesse de ce
lieu qu'il juge sinistre en ce jour de pluie. Son comptoir de bois et
le miroir situé derrière lui paraissent tristes et solitaires.
Derrière le comptoir, Ophélien entend du bruit dans le couloir qui
mène aux toilettes et vers le bureau du gérant. Il inspecte le
reste de la pièce mais il ne voit que la porte qui mène vers les
communs et celle qui conduit au restaurant. Inquiet, l'adolescent
inspecte les deux escaliers de chaque côté qui montent vers les
chambres. Mais tout est tranquille. Le jeune réceptionniste qui a
oublié son employeur écoute son discours.
-
Un avis de tempête a été émis. Personne ne peut quitter ou
rejoindre l’île. Nous n’avons pas été prévenus, l’hôtel
n’a donc pas été évacué. Nous avons eu des problèmes de
communication, nous patienterons ensemble si vous le souhaitez ou
vous pouvez rejoindre vos chambres dès à présent sous réserve de
laisser vos volets fermés. Les vitres risquent de se briser sous la
force du vent, il est donc primordial que les volets demeurent fermés
jusqu’à la fin de la tempête. Vous devez veiller à prévenir les
clients et les installer dans le grand salon.
Les
clients arrivent peu à peu et ils s’installent confortablement
dans le grand salon où de la musique est mise pour créer une
ambiance chaleureuse. Au bout de quelques minutes, une voix
indéfinissable s’élève de l’appareil et ses mots
incompréhensibles emplissent la pièce avant de se réduire à un
chuchotement puis de mourir pour laisser place à la musique. Toutes
les personnes présentes se regardent en souriant avant de reprendre
leurs activités habituelles. Ophélien sursaute en entendant la voix
s’élever dans la pièce, il se demande s’il a rêvé ou non mais
face à l’indifférence des autres occupants du salon, il se dit
qu’il a imaginé la chose. Chargé de guider les clients, il estime
sa présence inutile et il quitte le petit salon avec un dernier
regard pour examiner ce lieu qu'il ne connaissait pas. Les fauteuils
de velours bleu foncé, les lourds rideaux du même velours qui
ornent les fenêtres et la petite cheminée donneraient à cette
pièce une allure chaleureuse sans le bois sombre du parquet et les
sinistres portraits aux murs qui semblent représenter les anciens
occupants des lieux. Tristes et fatigués, les personnages peints
paraissent suivre des yeux ce qui se passe dans la pièce et le bois
sombre du cadre ne fait que renforcer cette impression sinistre.
Le
vent fait rage et Ophélien qui se rend aux toilettes pour assouvir
un besoin naturel entend du bruit une fois la porte refermée. Un son
indéfinissable l’entoure comme du sable qui s’écoule d’un
sablier. Intrigué, il inspecte la petite pièce et il se rend compte
que le bruit provient des murs. L’oreille plaquée au carrelage
froid, il écoute longtemps le bruit qui l’intrigue. Il se mue en
pluie de gravillons qui tombent et c’est plein de peur qu’il
revient dans la salle commune. Silencieux, il réfléchit, ces bruits
ont forcément une explication logique. Mais il ne trouve rien et il
se résout à retourner dans la pièce pour faire ce qu’il était
venu y faire car il n’ose pas monter dans les étages seul. Des
grattements ont succédé au bruit d’écoulement et il quitte la
pièce précipitamment quelques minutes plus tard tandis que des
couinements accompagnent le bruit de la chasse d’eau. Terrifié, le
jeune garçon reste debout quelques instants dans le couloir pour
tenter de reprendre ses esprits.
-
Ce n’est rien ! Les murs de bois sont vermoulus, des souris
vivent dans l’épaisseur des murs. Elles ont dû faire tomber de la
sciure, des morceaux de bois et des gravats en essayant de monter ou
descendre. Ce n’est rien de grave, il y a forcément une
explication logique. songe-t'il en rejoignant le salon où rien n’a
changé.
Deux
heures passent et Ophélien qui n’a pas grand chose à faire reste
assis dans un fauteuil un peu à l’écart. Il rêve à son tour du
monde, il se voit avec son amie sur un voilier dans le Pacifique, ils
piquent-niquent sur un atoll désert avant de se baigner et de faire
une sieste au soleil. Ils vont ensuite nager avec les dauphins et les
tortues dans l’eau chaude des mers du sud. Puis ils prennent un
avion vers l’Australie où ils s'émerveillent des kangourous, des
koalas et tout un tas de créatures qui vivent en liberté dans le
bush. Il se voit en train d’envoyer une carte postale à ses
parents depuis une boîte aux lettres perdue dans la brousse quand il
sent une main se poser sur son épaule.
-
Ophélien ? Nous allons faire passer les plateaux de boisson et
de nourriture parmi les clients. Vous nous aidez ? dit la voix
de monsieur Sutingocni.
L’adolescent
acquiesce, quittant ses rêves à regrets.
La
tempête s’apaise et peu à peu, les clients reprennent leurs
activités habituelles. Le jeune employé décide de rejoindre sa
chambre pour se changer. Alors qu’il allait tourner la poignée, le
grincement du parquet l’arrête. Il pense que quelqu’un se trouve
dans la pièce, profitant que tout le monde est réuni dans le salon
pour voler les clients et il ouvre la porte en grand pour surprendre
l’intrus. Mais la chambre est vide, le contenu de sa valise est
éparpillé dans toute la pièce et la fenêtre ouverte laisse entrer
la pluie qui a commencé à tremper les vêtements à sa portée.
Ophélien referme la fenêtre et il vérifie qu’il ne manque rien à
ses modestes possessions avant d'éponger le parquet comme il peut.
La
tempête terminée, les clients rejoignent leurs chambres tandis que
les employés rouvrent les volets dans les chambres laissées vides.
Ophélien remarque que les draps sont roulés au pied d’un lit qui
aurait dû être fait car personne n’occupe cette chambre. Avec un
soupir, il vérifie que les draps sont propres et il refait le lit
comme il peut. La main sur la poignée, il va sortir après avoir
jeté un dernier regard derrière lui quand il entend le bruissement
d’une étoffe vers l’emplacement du lit. Il se retourne mais il
ne voit rien sur le lit et dans la pièce. Les sourcils froncés, il
inspecte la pièce mais les deux tables de nuit, la petite armoire et
le bureau n'ont pas bougé, il hésite à aller vérifier qu’une
souris ne s’est pas glissée dans le lit mais il n’entend rien et
il sort précipitamment, pris de chair de poule. En fermant la porte,
il remarque que la chaise est couchée sur le bureau, ce qui est
inhabituel mais il fait comme s'il n'avait rien remarqué.
Dans
une autre chambre, il trouve toutes les portes et tous les tiroirs
des meubles ouverts. Ophélien se dit qu’un employé a dû utiliser
sa clé passe-partout pour fouiller les chambres à la recherche
d’objets oubliés et qu’il a peut-être volé des choses. Il se
demande s’il doit en parler à son employeur mais il renonce, le
coupable ne sera jamais découvert de toutes manières et il se fera
mal voir par l’équipe. Au fond, cela ne le regarde pas le moins du
monde et il est probable que le voleur soit rentré bredouille.
Le
soir venu, Ophélien couché dans son lit accuse la fatigue d’avoir
trompé son imagination. Il rit de sa bêtise avant de s’endormir.
Au matin, ses pieds trempent dans une flaque d’eau lorsqu'il se
lève. Intrigué, il remarque que l'eau provient de sa salle de bain
où il trouve le robinet de son lavabo ouvert et la vasque qui
déborde, le bouchon est mis. Avec un soupir, le jeune garçon vide
le lavabo et il éponge avec des serviettes l’eau qui a inondé le
parquet. Il ne se souvient pas s’être lavé la veille au soir et
il ouvre la fenêtre pour faire sécher le parquet en se préparant
aussi vite que possible. Une demi-heure plus tard, il descend en
retard pour prendre son petit-déjeuner. Seul, il avale un café
tiède et il se glisse derrière son comptoir. La journée se passe
sans incident notable. Alors qu’il rejoint sa chambre, le soir
venu, il entend des bruits de pas derrière lui mais lorsqu’il se
retourne, il ne voit personne. Il est pourtant certain d’avoir
entendu des pieds nus fouler le bois de l’escalier.
-
Je deviens fou !
La
tête dans les mains, le jeune homme entre dans sa chambre où il
trouve toutes les portes de placards, les fenêtres et tous les
tiroirs ouverts. Il gémit, mais il se rassure, quelqu’un s’amuse
à lui faire des farces, il n’y a rien de paranormal dans tous les
évènements passés.
Autour
de lui, le parquet grince, la peur commence à s’insinuer en lui.
Son cœur et sa respiration s’accélèrent, la chair de poule le
fait trembler. Ophélien frissonne mais il se reprend.
-
Je vais être courageux et je vais aller voir ce qui se passe !
Le
jeune garçon referme toutes les portes puis il descend l’escalier,
ses pieds nus font craquer le bois. Dans le salon vide, la télévision
est allumée, l’image brouillée est accompagnée de voix
déformées. Il entend des chaises racler le sol dans la salle à
manger proche. Ophélien sent ses cheveux se dresser sur sa tête et
il remonte dans sa chambre.
-
Tu es stupide ! Quelqu’un a dû allumer la télévision et
oublier de l’éteindre. Peut-être que monsieur Sutingocni est
insomniaque et qu’il travaille en silence durant la nuit. Ne sois
pas stupide, qui serait entré dans ta chambre ? Un client ou
un employé de l’hôtel jaloux ? Ton patron ne pourra rien
faire pour toi et tu peux toujours aller voir la police, mais rien
n’a été volé, ils ne feront rien. On te harcèle, reste à
réunir des preuves de ce que tu avances pour aller voir les
personnes concernées mais pas de suite, tu n’as aucune preuve.
Le
lendemain soit dix jours après son arrivée, Ophélien se dit qu’il
est grand temps de faire une lessive. A la fin de sa journée de
travail, il cherche quelqu’un qui l’aide à mettre en marche sa
machine et il demande à son employeur, un peu honteux, comment
faire. Il regarde l’adolescent avec un sourire et il lui explique
qu' il faut bien commencer un jour.
-
Le mode d’emploi est affiché dans le local, ne vous inquiétez
pas, ce n’est pas compliqué. Vous choisissez le programme, la
température selon les étiquettes des vêtements, tout est noté sur
la machine, vous mettez la lessive à l’intérieur et vous mettez
en marche. Je dois y aller, il est tard ; à demain !
Dans
le hall, sa bassine de linge à la main, l’adolescent se sent
stupide. Il se rend dans la buanderie pour essayer de faire ce que
son patron lui a dit. Une petite notice est apposée sur le mur et il
essaie de comprendre ce qu’il doit faire.
-
Bon, mon vieux, on y va. Tout le monde fait ça, tu dois bien pouvoir
y arriver. « Attention, ne mélangez pas les couleurs claires
et foncées. » Euh, oui ? C’est quoi la limite entre
une couleur claire et foncée ? Du gris moyen ou du jean, c’est
quoi ? « Attention aux linges délicats. » Le
patron m’a parlé de la laine et euh, je n’ai rien de délicat…
Ou mes sweatshirts avec des motifs collés dessus, ça compte ?
Maman râle souvent pour que les mette à l’envers, c’est sans
doute pour ça.
Dépité,
Ophélien trie le linge comme il peut, il met consciencieusement ses
sweatshirts à l’envers pour ne pas abimer le décor. Il pense
qu’il a bien effectué son premier tri, il est seul, aussi, il
utilise deux machines à laver pour séparer les couleurs.
-
Je mets le linge, la lessive. Où ? Le schéma n’est pas du
tout clair… D’accord, on va dire ici. Les lingettes
antidécoloration, ça sert à quoi ? Gnagnagna,blabla, leur
mode d’emploi n’est pas très clair. Je les mets sur le dessus ou
au milieu du linge ?
Un
peu inquiet, il met les deux machines en marche après avoir réglé
la température au jugé. L’eau commence à entrer dans la machine
et il craint de la voir déborder de partout en jets de bulles et de
mousse, mais il n’en est rien. Soulagé, il attend, il ne sait pas
combien de temps la machine met à se terminer. Au bout d’un temps
qui lui semble très long, il sort enfin son linge.
-
Mais c’est une machine à salir le linge ou quoi ?
Les
vêtements ont pris une teinte marron, l’adolescent a envie de
pleurer. Courageusement, il décide de refaire la manipulation dans
l’espoir de voir ses vêtements ressortir enfin propres. Il met en
marche un cycle long avec une quantité importante de lessive, il
craint de voir la mousse sortir de la machine à laver mais il n’en
est rien. Une demi-heure plus tard, son linge ressort parfaitement
propre à son grand soulagement.
-
Je suis trop fort, j’ai réussi ma première machine de
linge !
Pourtant,
il ne comprend pas d’où venait cette couleur marron. Il se demande
si elle ne provient pas de l’eau qui se serait salie pour une
raison inconnue mais dans ce cas, pourquoi même ses vêtements gris
sont-ils ressortis marron ? A moins que l'eau ne soit très
boueuse.
Ce
soir-là, l'adolescent s’endort épuisé après avoir annoncé à
ses parents que ça y est, il sait faire une machine. Il leur ment en
leur disant que tout se passe bien, il ne parle pas des choses
bizarres qu’il croit voir depuis son arrivée. Ils vont lui dire
que c'est lié au stress et qu’il doit consulter un psychiatre,
chose qu’il n’a pas envie d’entendre, il a assez de mal à se
convaincre lui-même de l'envisager avec sérieux.
A
minuit, Ophélien entend du bruit dans la chambre, des pieds nus
foulent le parquet qui se met à grincer. Le cœur battant, il ouvre
les yeux et il scrute le noir de la pièce sans succès. A tâtons,
il cherche sa lampe de chevet durant d’interminables secondes.
Quand enfin, il la trouve, elle ne fonctionne pas. Blême, il écoute
autour de lui mais tout paraît silencieux. Il se remémore la
disposition de la pièce pour courir vers l’interrupteur. Sur son
passage, il heurte une chaise mais il trouve ce qu’il cherche. La
lumière inonde la pièce où il est seul.
-J’avais oublié la chaise ! songe-t’il. Je deviens vraiment
dingue dans cette maison qui pourrait bien être hantée.
Il
revient vers la lampe qu'il trouve débranchée. Le fil à la main,
il ne comprend pas comment cela a pu arriver.
- Bon, ce n’est rien, j’ai peut-être tiré dessus en me levant en
vitesse un matin.
Les
deux jours suivants, chaque fois qu’Ophélien entre dans la pièce,
une odeur de renfermé assaille ses narines. Il aère la chambre
chaque fois qu’il le peut mais il n’ose pas laisser la fenêtre
ouverte de peur de laisser entrer des insectes qu’il aura du mal à
faire sortir. Il inspecte la chambre plusieurs fois à la recherche
de la cause de cette odeur mais il rentre toujours bredouille de ses
inspections. Plusieurs fois, alors qu’il prend sa douche, il entend
le parquet couiner. Mais il sait que personne ne peut entrer car il
n'a pas entendu la porte s'ouvrir en grinçant et il se rassure, ce
n’est que le fruit de son imagination.
L’odeur
disparaît du jour au lendemain sans que le jeune garçon comprenne
l’origine de ce changement. Durant ces deux jours, il a cherché
l’odeur dans l’hôtel mais il n’a rien trouvé de semblable
dans les pièces où il s’est rendu. Il a tenté de suivre l’odeur
à plusieurs reprises sans résultat. Il se questionne longuement, la
fatigue commence à lui brouiller les idées. Il se fait plusieurs
fois la réflexion qu’il devrait noter les évènements pour s’en
souvenir et peut-être trouver une explication.
Ce
soir-là, Ophélien est épuisé mais il sait qu’il n’arrivera
pas à dormir. Il a besoin de mettre de l’ordre dans ses idées.
-
Commençons par le début. Qu’est-ce qui est inexplicable ou
vraiment étrange ?
L'adolescent
réfléchit mais il ne trouve rien d’inexplicable. Il conclut que
ce ne sont que des coïncidences, un concours de circonstances. Il
convient également que la demeure où il se trouve et la lande qui
l’entourent jouent dans sa perception des choses, le climat est
favorable à l’imagination de choses farfelues qui n’existent
pas.
A
minuit, il sent un frôlement près de lui et il n’y tient plus. Il
s’habille et il sort dans la nuit pour trouver une pharmacie. Après
une demi-heure de marche, il arrive à une officine qui, par chance,
est de garde cette nuit-là.
-
Bonjour, je voudrais un somnifère.
-
Bonjour, vous en avez déjà pris ?
-
Jamais.
-
Vos insomnies sont récentes ?
-
Oui, depuis que j’ai commencé à travailler.
-
Votre emploi se passe mal ?
-
Non, ça se passe bien.
-
Vous êtes stressé ?
-
Pas plus que d’habitude, enfin si, il se passe juste des choses
bizarres.
-
Quel genre de choses ?
-
Des bruits de pas, des lumières qui s’allument sans raison, le
parquet qui grince.
-
Vous vivez dans un vieux logement ?
-
Oui.
-
Je vous donne ce médicament, c’est un somnifère léger à base de
plante pour l’essentiel. Il est sans ordonnance. Prenez également
ceci, c’est de l’homéopathie, ça vous aidera à vous détendre.
A moins que vous ne vouliez pas d’homéopathie ? Si vos
troubles persistent, allez voir votre médecin traitant qui vous
donnera un traitement plus fort ou vous orientera vers un médecin
psychiatre. Il est normal d'avoir des insomnies lorsque l'on dort
dans un endroit qui n'est pas familier avec un changement de rythme.
-
Merci beaucoup. Je n’ai jamais pris d’homéopathie mais si ça se
vend, c’est que ça marche, non ??
-
A vous de voir...
Ophélien
rentre dans la nuit, inquiet de l’heure de son réveil qui semble
si proche. Il réfléchit. Et s’il devait envisager de voir un
psychiatre ? S’il devenait fou ? Il prend
consciencieusement ses médicaments après avoir longuement observé
les granules d’homéopathie.
Malgré
la prise de médicaments, le jeune garçon dort mal cette nuit-là.
Il lui semble entendre à plusieurs reprises le parquet du couloir
grincer et des pieds nus le fouler. Il n’a pas le courage de se
lever pour demander à l’insomniaque de retourner se coucher ou
d’aller se promener ailleurs. Pourtant à trois heures du matin, il
n’y tient plus et il se décide à se lever pour chasser l’intrus.
Le couloir est désert et par les fenêtres la lumière lunaire
éclaire faiblement le couloir.
-
Il n’y a personne. Tu deviens fou, mon vieil Ophélien. se
murmure-t’il dans le noir.
Un
rire lui répond, il rentre dans sa chambre pris de peur. Couché
entre ses draps, il se demande s’il n’est pas somnambule. Il
étudie la question jusqu’à ce qu’il se souvienne que des choses
étranges lui sont arrivées en journée et que personne d’autre ne
semble y prêter attention. Il reprend des somnifères malgré le
risque de surdose et il s’endort enfin. Sa nuit est ponctuée de
cauchemars, des ombres dansent en rond autour de lui en chantant une
chanson paillarde dont il ne saisit pas les paroles. Il ne comprend
que quelques mots et le propos général.
Un
besoin pressant lui fait reprendre conscience et il se lève en
traînant les pieds, un peu reposé. Ses affaires sont éparpillées
dans la pièce. Avec un soupir, il les range et il jette les
somnifères car il n’ose pas en prendre plus et visiblement, ils ne
résolvent pas ses problèmes d’hallucination et de somnambulisme.
Assis sur le tapis de bain, Ophélien cherche à reprendre ses
esprits durant d’interminables minutes. Son reflet dans le miroir
lui montre un visage blafard et des cheveux en bataille. Il se passe
de l’eau sur le visage avant de brosser et tresser sa chevelure
dorée. Un peu apaisé, il retourne se coucher. La tête enfouie sous
le drap, le jeune garçon finit par se calmer et s’endormir épuisé.
Toute la nuit, il rêve d’ombres dansant autour de lui en chantant
des chansons tantôt paillardes, tantôt teintées d’humour très
noir à la limite du sordide. Au petit matin, les ombres cessent de
chanter et il entend leur conversation :
-
Ce n’est pas drôle, ce nigaud ne comprend rien ! Si nous
cessions de nous acharner sur lui ?
-
C’est justement cela qui est drôle, il ne voit rien du tout
! Et quand il va enfin comprendre, ce sera vraiment un moment
mémorable.
-
Non, mais arrêtez, il faut qu’on en parle, c’est un cas
clinique, cet adolescent ! Il remarque les choses mais il ne
comprend rien du tout !
Effrayé,
Ophélien se réveille en sursaut. La pièce est silencieuse, il est
seul.
-
Il faut vraiment que je consulte un psychiatre en rentrant. Cette
vieille bâtisse me rend fou. se dit-il.
Rassuré
par cette explication rationnelle, il se rendort persuadé d'avoir
fait un cauchemar.