samedi 26 août 2017

Hôtel de charme particulier Chapitre 9

 La nuit suivante, Ophélien se sent observé à plusieurs reprises. Il entend des coups dans le mur de sa chambre, il se réveille en hurlant et il ne peut nier l’existence de marques sur le plâtre. Il examine longuement ses mains, craignant être l'auteur des coups mais ses mains sont intactes. Le lendemain matin, très tôt, il se rend dans le salon désert pour ranger des livres sur la région qu’il a emprunté. Il range les livres dans la bibliothèque du salon puis prend de nouveaux ouvrages. Les bras chargés, il fait tomber ses livres de surprise. Les meubles ont bougé durant le court moment qu'il a passé le dos tourné. Il déglutit, inspire, range les livres et fuit la pièce en courant.
    - Cet hôtel est hanté, Ophélien mais tu n'as rien à craindre. tente-t'il de se rassurer.
    
     Après s'être habillé et avoir pris son petit-déjeuner, il se souvient qu'il est en congés. Lorsqu'il croise monsieur Sutingocni, comme de coutume, il lui distribue sa part de pourboires. Heureux de quitter l'hôtel, Ophélien se demande ce qu'il pourrait faire lorsqu'il se rend compte qu'il pleut. En pestant, il rentre se changer avec l'espoir de ne pas trouver ses affaires éparpillées dans sa chambre mais il n'en est rien. Il hésite à ressortir mais rester dans l'hôtel lui donne la chair de poule. Aussi, il décide d'affronter la pluie.
    Après ue longue attente et un morne trajet en bus, la pluie s'est intensifiée. Dépité, l'adolescent se dirige vers le cinéma où il choisit le film le plus long même s'il ne l'intéresse guère. Il espère que les trois heures et quart de film lui assureront un répit bienvenu. En grignotant ses pop-corn, il se fait la réflexion que les vieux films ont leur charme et qu'il devrait s'intéresser à autre chose que ses films de science-fiction habituels, il pourrait faire de belles trouvailles avec un peu de chance.
    
     En quittant le cinéma, il calcule qu'il lui reste encore trois semaines de contrat et qu'il ferait bien de trouver à s'occuper le soir et ses jours de congés. Après avoir compté son maigre argent de poche, il décide de s'acheter quelques livres. Une demie-heure plus tard, Ophélien sort avec un romain policier et un roman fantastique; d'ordinaire, il ne lit que des bandes dessinées mais il n'a rien trouvé dans la librairie qui soit dans son budget. Par dépit, il s'est rabattu sur les succès de l'été en promotion pour ne pas mourir d'ennui d'ici la fin de son contrat.
    
     Après une longue hésitation, Ophélien décide de rentrer à l'hôtel, il commence à faire froid, il n'a rien à faire et il n'a pas déjeuné. Dans le bus, il frissonne à l'idée des choses étranges qui pourraient lui arriver mais il est bien décidé à surmonter sa peur. Au fond, ce ne sont que des coïncidences, il ne voit pas d'explication rationnelle à ce qui lui arrive. Et s'il a songé un bref moment à la piste du surnaturel, il n'y croit pas et il n'a trouvé aucun indice à ce sujet.
    Il déjeune rapidement dans la cuisine déserte avant de remonter dans sa chambre où à son grand soulagement, tout semble en ordre. Il appelle ses parents pour donner des nouvelles et il se plonge dans sa lecture jusqu'au soir. Il délaisse à regret son livre lorsque vient l'heure de dîner, il n'a pas vu le temps passer. Il s'endort rassuré par cette journée normale.
    
     Monsieur Sutingocni organise un pique-nique le lendemain afin de permettre aux clients de faire connaissance; ravies, les clients de l’hôtel s’y rendent en bavardant entre eux. Alors qu’Ophélien, ravi de changer de tâches, apporte des plateaux chargés de mini-sandwiches en un ballet continu, il entend un bruit de piano dans la bibliothèque. Intrigué, il s’y rend, son plateau dans les mains. Il le pose sur une console puis il fait le tour de la pièce. La musique continue de s’élever, il est certain qu’elle vient de la pièce où il se trouve. La musique s’interrompt et le jeune garçon s’empresse de porter son plateau au jardin. Plus tard, il s’isole et il cherche l’origine de la musique, il n’y a aucun piano dans la pièce, elle était vide et il ne pense pas qu’il s’agissait d’un enregistrement. Pourtant, il ne parvient pas à croire que les fantômes existent. Son costume noir et sa chemise le serrent, il se rend aux toilettes pour respirer un peu et s'asperger d'eau.
    - Tiens bon, mon vieux, ce n'est rien du tout.
    Il retourne dans la cuisine chercher un plateau de mini sandwich et il en grignote un à la hâte pour se remettre de ses émotions.
    
     Plusieurs fois les jours suivants, il lui semble voir des traces d’empreintes de pieds nus sur le sol au bas de son lit. Ophélien se dit que ce ne sont que les traces de ses pieds nus lorsqu’il s’est levé le matin qui demeurent incrusté dans le parquet qui n'est peut-être pas très propre. De même, parfois, il remarque des traces sur le carrelage de la salle de bain qui lui semblent tenir un peu trop dans le temps. Mais il met ce phénomène sur le compte du vieux parquet de l’hôtel pour se rassurer.
    
     Un matin, Ophélien se réveille en sursaut. Un coup dans le mur juste à côté de lui l'a réveillé. Il regarde son réveil, il est cinq heures du matin et il ne lui reste qu'une heure avant de se lever. Avec un soupir, il se lève et il remarque des traces sur le mur qu'il ne sait pas comment cacher.
    Inquiet, il va en parler à son patron dès qu'il prend son poste.
    - Vraiment  ? Je vais aller voir.
    Honteux à l'idée de ses habits qui traînent un peu partout, Ophélien le suit. L'homme n'y prend pas garde et il examine le mur sans rien remarquer.
    - Il n'y a plus rien, ne vous inquiétez pas.
    - Mais je n'ai pourtant pas rêvé  !
    - Ce sont des choses qui arrivent, les habitants du lieu peuvent se montrer farceurs, parfois.
    - Certainement. dit le jeune homme en le suivant dans les escaliers.
    
     Alors qu'il se sert au buffet, il se sent observé. Mais il a beau inspecter la pièce, il ne voit rien. Avec un soupir, il s'assied. Que peut-il y faire  ? Cet endroit est bizarre, il doit prendre son mal en patience et ignorer autant que possible sans en avoir l'air les manifestations bizarres.
    A peine installé à son poste, un client vient le voir à l'accueil. Il lui explique qu'il est allé courir tôt le matin et qu'en rentrant dans sa chambre, les meubles avaient bougé malgré la porte fermée.
    - Je vais me renseigner, je reviens.
    Lorsqu'il va voir le gérant, celui-ci lui demande de venir rapidement l'aider à tout remettre en place. En effet, lorsqu'ils entrent dans la chambre, tout est sens dessus-dessous. Le lit est à la verticale, l'armoire est à plat sur le sol et la table de nuit est dans la douche.
    - Aidez-moi, Ophélien, nous allons remettre à sa place ce que nous pouvons. Il faudra demander de l'aide pour l'armoire.
    Peu après, le client les aide à remettre l'armoire sculptée debout puis ils l'aident à ranger ses affaires avant de prendre congé. Le client les remercie.
    - Ce sont des choses qui arrivent même si ce n'est pas la meilleure façon de commencer la journée. lui explique son employeur.
    - Oui, j'imagine.
    En sueur, il a soudain froid et il se demande de quoi sont capables les choses qui vivent à ses côtés, invisibles. Si elles sont capables de renverser une lourde armoire, que peuvent-elles faire  ?
    Le reste de la journée se passe sans incident notable et Ophélien lit un roman policier caché derrière le comptoir pour passer le temps. Il regrette de ne pas avoir eu de nouvelles de Jenny et il se dit qu'il serait temps de la contacter ainsi que Jade s'il arrive à capter un peu de réseau. Il n'ose pas dire la vérité à son amie mais Jenny se dit heureuse de le voir le soir suivant.
    
     Le lendemain, à l'aube, il se réveille en sueur, il lui a semblé entendre du bruit dans la chambre. Il allume la lumière mais il ne voit rien, hormis sa fenêtre ouverte alors qu'il est sûr de l'avoir fermée, jamais il ne dormirait la fenêtre ouverte. A son poste après un rapide petit-déjeuner, l'adolescent renseigne quelques clients par téléphone et par email. Alors qu'il vient de raccrocher, il lui semble voir quelque chose à travers la vitre du hall. Intrigué, il va regarder au-dehors mais il ne voit rien. Derrière lui, il entrevoit quelque chose bouger dans la vitre. Affolé, il se tourne rapidement mais il ne voit rien. Il frissonne, il a froid. Il observe la pièce mais il ne voit rien et il se glisse derrière son comptoir, un peu effrayé.
    - Est-ce cette vieille bâtisse qui me joue des tours  ? Ou mon imagination  ?
     A midi, il trouve un message de Jenny sur son téléphone portable qui lui demande à quelle heure, il termine et s'il serait disponible plus tôt qu'en soirée pour profiter du beau temps. Il hésite car ses mauvaises nuits l'épuisent et il espérait faire une rapide sieste mais il répond par l'affirmative.
    Le reste de la journée se passe paisiblement s'il occulte les appels qu'il reçoit cet après-midi là. Le téléphone sonne toutes les vingt minutes jusqu'au soir et à chaque fois, il entend des bruits indéfinissables. Le numéro de téléphone change à chaque fois et il fait appel à toute sa conscience professionnelle pour décrocher et rester poli. Il n'ose pas débrancher l'appareil et il subit les appels malveillants.
    A la fin de la journée, il monte prendre une douche rapide et se changer avant de se dépêcher d'aller manger même s'il est encore tôt. A dix-neuf heures trente, Jenny l'attend à l'accueil en parlant avec monsieur Sutingocni. Ophélien arrive les mains dans les poches.
    - Salut  !
    - Salut, je suis arrivée un peu tôt. On y va  ?
    - Oui.
    Ils décident de rejoindre la ville proche. Assis derrière Jenny sur le scooter, Ophélien n'est pas rassuré mais il serre les dents notamment dans les descentes. Lorsqu'enfin, ils s'arrêtent, c'est avec soulagement qu'il ôte son casque.
    - Tu as mangé  ? demande la jeune fille.
    - Non, il est encore tôt.
    - On se trouve un endroit pas très cher dans ce cas  ?
    - Oui, si tu veux  ?
    - Il y a une bonne pizzeria dans le coin, si ça te dit.
    - Oui, ça me va très bien.
    Un peu plus tard, installés devant une salade, Jenny s'intéresse au travail d'Ophélien à l'hôtel. Il lui raconte qu'il s'ennuie beaucoup et qu'il se passe des choses bizarres.
    - C'est normal, en même temps. Si tu n'aimes pas les fantômes, ce n'est pas le bon endroit.
    - Je ne savais pas; au début, du moins. Le gérant ne m'a pas dit les choses de manière claire. J'ai fini par comprendre tout seul même si j'ai tout fait pour chercher des explications rationnelles. J'ai beau être un rêveur avec beaucoup d'imagination, j'ai du mal à croire à l'existence de ces choses.
    - C'est dommage que tu n'aies pas songé à aller voir le site de l'hôtel. Tout est indiqué, pas en rouge clignotant mais quand même. Tu sais, il ne faut pas avoir peur des choses qui ne vivent pas sur le même plan que nous. Elles ne nous veulent généralement pas de mal. Tu aurais pu en parler au patron avant, non  ?
    - Facile à dire... marmonne Ophélien en baissant le nez sur sa pizza.
    - Je sais mais c'est une question d'habitude.
    - Tu sais, parfois je doute. Je me demande si c'est mon imagination ou si je suis fou.
    - Non, tu es juste sensible à certaines entités. Mais je suis pratiquement sûre que rien de maléfique n'habite l'hôtel. Elles sont farceuses mais rien de bien méchant.
    - Elles m'ont juste enfermées dans la cave et elles me font des blagues téléphoniques, jettent mes affaires par terre selon leur humeur du jour. marmonne Ophélien, un peu amer.
    - Ce n'est pas méchant ou contre toi, tu sais. Sauf si tu les ignores, elles n'aiment pas ça.
    - J'ai fini par le remarquer. Mais je suis supposé faire quoi  ?
    - Fais semblant de t'amuser de leurs blagues et de ne pas trop leur accorder d'importance.
    - Je vais essayer. Mais ça me rassure de ne pas être fou.
    - Non, tu es juste particulièrement sensible à ce qui vit sur un plan différent de nous. Un peu comme moi. dit Jenny en souriant. Mais on s'habitue avec le temps, tu verras.
    Ophélien n'en est pas si sûr mais il ne dit rien. C'est un peu inquiet qu'il rejoint l'hôtel où Jenny le dépose. Les mains dans les poches, il feint de ne pas écouter les bruits de la bâtisse mais il ne se passe rien d'anormal. Il se couche, épuisé de ses émotions.
    
     Le lendemain, Ophélien observe les clients qui ne remarquent rien de bizarre. Même s'il se souvient que certains clients sont venus le voir, il lui semble que les esprits s'acharnent contre lui sans raison. Avec un soupir, il regarde par les fenêtres du hall mais il ne voit que la lande déserte au loin, il se sent isolé de tout. La journée passe, monotone. Ses crayons tombent à plusieurs reprises, il les ramasse sans rien dire. Le téléphone sonne plusieurs fois mais lorsqu'il décroche, seul le silence lui répond. Ce n'est qu'en fin de journée que le réceptionniste se souvient que les fantômes n'aiment pas être ignorés et il feint de trouver leurs blagues hilarantes pour avoir un peu la paix. Il se sent observé et il se rend plusieurs fois aux toilettes pour demeurer seul.
    En fin de journée, le gérant vient le voir pour lui donner ses pourboires et lui annoncer qu'il a fini sa journée. Il s'éclipse, soulagé. Il lui a semblé à plusieurs reprises voir des ombres marcher dans le hall, il n'est pas parvenu à démêler s'il s'agit d'une illusion ou d'autre chose.
    Lorsque tard le soir après avoir passé la soirée à  lire, il va fermer ses rideaux et il se rend compte que c'est la pleine lune. Avec un frisson, il espère que les fantômes ne seront pas plus agités par cette lune particulière.
    
    Extrait du journal intime d'Ophélien  :
    J 47
    J'ai revu Jenny l'autre jour. Elle ne semble pas avoir de problème avec les «  choses  » qui me font des farces et me font froid dans le dos. Elle dit que je ne dois pas avoir peur. Mais même si je tente de les ignorer, j'ai peur. J'entends des choses, je vois des choses. Mais je dois me montrer courageux, pour une fois qu'il m'arrive quelque chose d'extraordinaire, je dois me dépasser. Je peux le faire. Je ne vais pas rester une mauviette toute ma vie, non  ? L'Ophélien transparent que personne ne remarque, le garçon pas populaire qui joue à des jeux vidéos car il n'a presque pas d'amis avec qui sortir ou tester d'autres activités? J'ai peur mais mon tour du monde vaut bien ce sacrifice, qui sait ce que je vais devoir affronter pendant cette longue période loin de chez moi sans téléphone, sans internet dans des lieux inconnus  ? Je ne peux pas décevoir mes parents, Jade, Jenny ou monsieur Sutingocni. Je ne veux pas qu'ils voient en moi un raté. Que peuvent me faire ces choses sinon des blagues  ? De toutes façons, si elles étaient vraiment dangereuses, le gérant n'aurait jamais ouvert un hôtel, non  ? Les clients ne viendraient plus ? L'hôtel serait fermé depuis longtemps, non  ? Je dois faire ce tour du monde et me prouver que je peux le faire  ! Que je vaux quelque chose  ! En plus, j'ai fait plus de la moitié de mon contrat, ce serait dommage d'arrêter maintenant. Courage, je peux le faire.