Le lendemain,
épuisé de sa mauvaise nuit, Ophélien s’aperçoit que tous les
appareils électriques sont allumés dans le hall : lampes,
ordinateurs et imprimantes de l’accueil l’attendent prêts à
entamer une nouvelle journée de travail. L'adolescent s’empresse
de tout éteindre, le cœur battant, il regarde autour de lui sans
rien remarquer de particulier ; pour finir, il s’affale sur
sa chaise, inquiet. Lorsqu’il croise monsieur Sutingocni, il feint
l’allégresse. Il tient une piste car pour allumer l’ordinateur,
il faut en connaître le mot de passe ce qui signifie que c’est un
employé de l’hôtel qui s’acharne sur lui. Il hésite à en
parler à son employeur mais il n’a aucune preuve donc il préfère
s’abstenir. Et il pense que seul le gérant connaît son mot de
passe.
A plusieurs
reprises, le jeune garçon se retourne en entendant un cliquetis
derrière lui comme lorsqu’on appuie sur un interrupteur.
L’imprimante s’allume et s’éteint plusieurs fois tout comme la
lampe de son bureau. Frissonnant, il feint de ne rien remarquer de
particulier. La boule au ventre et les traits crispés, il attend la
pause déjeuner avec impatience et il se réfugie aux toilettes dès
qu’il le peut. Seul dans la petite pièce, il se sent protégé car
il sait que le plaisantin ne viendra pas le débusquer jusque là.
Dès que quelqu’un passe près du comptoir, les phénomènes
s’arrêtent comme par miracle et le jeune garçon soupire de
soulagement. Il profite de ces minutes de répit pour remettre ses
idées en place et tenter de réfléchir à la situation. Doit-il en
parler à son employeur ? Le fait que les phénomènes
s'arrêtent quand quelqu'un approche signifie que ce n'est pas un
problème mécanique. Lorsque l'adolescent se fait cette réflexion,
il pâlit mais devant le client qui lui demande un renseignement, il
tente de faire comme si de rien n'était. Toute la journée, les
phénomènes se répètent et Ophélien lorsqu'il est seul se plonge
dans un de ses livres dont vous êtes le héros pour s'occuper et ne
pas penser. Il réfléchit longuement à la question et il finit par
se murmurer pour lui-même :
- C'est une vieille
bicoque où rien ne fonctionne bien, elle va finir par te rendre
dingue si tu n'y prends pas garde. Il y a une explication, même si
ce n'est pas celle que tu es prêt à accepter.
La journée se
termine sans incident notable et Ophélien, épuisé, s'endort d'un
sommeil de plomb après avoir éparpillé ses vêtements dans la
pièce, trop las pour les ranger. Au matin, il retrouve ses habits
parfaitement pliés au pied de son lit, il ne comprend pas mais le
jeune garçon se dit que sa mémoire lui joue des tours. Toutefois,
il y repense plusieurs fois durant sa morne journée mais au fil des
heures, il se rassure, sa mémoire lui joue des tours. Lorsqu'il
quitte son poste ce soir-là, il a totalement oublié l'incident.
Le lendemain,
Ophélien reçoit sa part de pourboires qu'il met en lieu sûr. Il
est étonné lorsqu'il compte la somme totale. Comment les clients
peuvent-il laisser des pourboires aussi importants à moins d'avoir
pitié de cet hôtel miteux ? Ophélien empoche l'argent sans
chercher plus loin. Dans sa chambre, il réfléchit à l'endroit où
le mettre en lieu sûr pour qu'on ne le lui vole pas. Il ne trouve
pas où le ranger aussi dès qu'il a fini son service, il se met en
quête d'un petit porte-monnaie avec un porte-clé pour mettre sa clé
et son argent. Rassuré, le jeune garçon revient à l'hôtel en
courant pour ne pas manquer l'heure du repas.
Un midi, alors
qu’il déjeune seul dans la cuisine, il se retourne en sentant un
souffle dans son cou et il remarque que les portes des placards et
les tiroirs ont été ouverts dans la pièce. Avec un soupir, il
délaisse son assiette pour tout refermer.
- Je deviens fou. Je
n’ai peut-être pas remarqué que quelqu’un a tout laissé ouvert
lorsque je suis entré dans la pièce. murmure-t’il avant de
s’empresser de quitter les lieux. Alors qu’il passe la porte, il
entend des bruits de pas derrière lui, il se retourne mais il est
seul. Il remarque les restes de son repas sur la table qu'il a
oublié, troublé, et il s’empresse de tout nettoyer pour quitter
les lieux au plus vite.
Le reste de la
journée est monotone, un couple de clients arrive avec de nombreux
bagages que le jeune garçon doit monter au dernier étage dédié
aux chambres des clients. Courageusement, l'adolescent empoigne les
valises et il commence à les monter à l'étage. Il évalue
rapidement les étages à monter et il soupire, sa chambre est un
étage au-dessus et il sait que les derniers étages sont difficiles
à monter lorsque l'on est chargé. Alors qu'il passe devant le
bureau de son employeur, ce dernier le voit crouler sous les bagages
et il s'empresse de l'aider.
- Vous auriez dû me
demander de l'aide, Ophélien. dit-il d'un ton empli de reproches.
- Je ne voulais pas
vous déranger, j'y serais arrivé seul.
- Il serait
regrettable que vous vous fassiez mal ou que vous glissiez dans
l'escalier.
L'adolescent rougit,
il sait qu'il a commis une faute et c'est mal à l'aise de se voir
ainsi réprimander devant les clients, qu'il voit sourire un bref
instant, qu'il prend les bagages les plus légers. Les bagages
montés, il sent la main de monsieur Sutingocni se poser sur son
épaule et il lui dit de ne pas hésiter à demander de l'aide. Il
sait bien qu'il est seul à l'accueil, qu'il vient de prendre son
poste en cette période particulièrement chargée pour la saison et
qu'il n' a pas l'habitude de ce genre de poste.
De retour derrière
son comptoir, l'adolescent s'interroge. Une période très chargée
? En pleine saison estivale alors que les clients sont plutôt rares
? Le jeune réceptionniste ne comprend pas comment l'hôtel peut
fonctionner vu la faible fréquentation. Il inspecte le hall et il
songe que cela explique pourquoi le bâtiment n'est pas rénové.
La nuit suivante,
il se réveille en entendant de l’eau couler. Il suit le bruit et
il remarque que le robinet de sa salle de bain s’est ouvert,
Ophélien ne cherche pas à comprendre, il éteint l’eau et va se
recoucher, trop épuisé pour chercher à comprendre ce qui a pu se
passer.
Au réveil, il entre
dans la pièce pour prendre une douche, l’esprit embrumé par le
sommeil, il ne se souvient pas de suite de la nuit. En sortant de la
douche, il se rappelle soudain des évènements et il hurle lorsqu’il
remarque des traces sur le miroir de la salle de bain.
- Arrête, c’est
toi, tu as dû toucher quelque chose de gras puis le miroir lorsque
tu t'es levé cette nuit. Qui vérifie si son miroir est propre en
entrant dans sa salle de bain ? Et cesse de parler à voix
haute, tu vas passer pour fou. Déjà que tu as laissé le robinet
ouvert hier soir !
Lorsqu’il jette un
dernier coup d’œil en quittant la pièce, le jeune garçon
remarque que des lettres sont inscrites dans la buée du miroir. Mais
il file en essayant d’oublier tout ça.
Derrière le
comptoir de l’accueil, le jeune homme hésite, doit-il croire ce
qu’il a cru voir ou le mettre sur le compte de la fatigue, d'une
crise de somnambulisme?
- Bonjour, monsieur.
Un homme de haute
taille lui fait face. Arrivé la veille, le client entre deux âges
semble inquiet.
- Je peux vous
aider ? demande Ophélien.
- Oui, suivez-moi,
il y a des soucis dans ma chambre.
Le jeune garçon
cherche le gérant du regard mais il ne le voit pas, il hésite avant
de suivre le client dans sa chambre après avoir laissé une note
pour expliquer son absence.
Dans la pièce,
Ophélien s’arrête un instant pour admirer les dorures et les
moulures à peine éclairées du lit à baldaquin qui semble déplacé
dans la vieille bâtisse de bois. Et ce n'est qu'à ce instant qu’il
la sent. Une odeur flotte dans l'air.
- Ca sent comme ça
depuis votre arrivée ? Vous n’avez pas demandé à changer
de chambre ?
- J’ai été
réveillé à minuit par cette odeur épouvantable, j’ai aéré en
pensant qu’elle disparaitrait mais elle devient plus forte d’heure
en heure.
- Je comprends.
Ophélien se rend à
la fenêtre pour respirer l’air frais du dehors, l’odeur de
renfermé et de moisissures s’est tout à coup mêlée d’un
relent de fumier qui l’a écœuré. Ne sachant que faire, il décide
de se montrer professionnel et de commencer par chercher la cause de
l’odeur dans les conduits de lavabo, de douche et de toilettes mais
l’odeur semble concentrée dans la chambre. Il inspecte le dessous
des meubles à la recherche d'un animal mort mais il ne voit rien.
Les bras ballants, Ophélien ne sait que faire et il s’apprête à
quitter la pièce quand monsieur Sutingocni les rejoint.
- Bonjour, ce client
a un problème d’odeurs dans sa chambre et je venais voir. Elle ne
vient ni de dehors, ni des canalisations. J’ai aéré en attendant
de trouver une solution.
- Merci Ophélien,
je m'en occupe, vous pouvez y aller. Ils exagèrent !
Le jeune garçon ne
dit mot et quitte la pièce, il ne sait pas ce que ces clients ont
fait mais ils ont réussi à transformer la chambre en une telle
bulle de puanteur. Il ne peut nier qu’ils ont réussi leur coup.
Avide de respirer l’air plus pur du couloir, Ophélien inspire
sitôt la porte passée. Une odeur de vieux, de renfermé mêlée
d’une odeur de poussière atteint ses narines. En courant, il court
rejoindre sa chambre pour respirer l’air pur à la fenêtre sans
être dérangé. Quelques minutes plus tard, il se sent mieux et il
rejoint son comptoir à l’accueil. Il pâlit et ses cheveux se
dressent sur sa tête, l’odeur de la chambre qu’il vient de
quitter flotte dans l’air. Puis il se raisonne, son patron a dû
passer et traîner l’odeur derrière lui. Elle a dû rester en
suspens dans le hall désert. ; comme personne n'est entré ou
sortir, l'air n'a pas eu le temps d'être chassé à l'extérieur.
Ophélien s’empresse d’aller ouvrir la porte pour renouveler
l’air en se disant qu'il a beaucoup trop d'imagination.
Extrait du
journal intime d'Ophélien :
« J 17
Il se passe des
choses bizarres ici. J'ai acheté un cahier pour en garder des
traces.
Je sais bien que ce
lieu est chargé d'histoire mais il me rend fou. Les parquets
craquent souvent la nuit, comme si quelqu'un marchait dessus mais il
n'y a jamais personne. Le pire reste le manque de lumière, on ne
voit rien ! C'est déprimant.
Ce lieu est
déprimant. Les gens sont gentils mais ils sont bizarres, ils paient
une fortune pour venir dans cette île solitaire, cette maison est
sombre, vieille et sans attrait. Et en plus, ils laissent des
pourboires hallucinants. A côté de ça, la machine à laver
fonctionne quand elle veut et personne ne s'en inquiète. Je dois
absolument refaire une machine demain et j'ai peur de voir encore mes
vêtements prendre une teinte étrange. Et il y a toutes les choses
bizarres qui arrivent de temps en temps. Elles peuvent s'expliquer
mais c'est louche. »
Le lendemain,
Ophélien un peu inquiet se dirige vers la machine à laver. Il suit
scrupuleusement le mode d'emploi affiché et le linge ressort
parfaitement propre. Soulagé, il se dit qu'il a fait une erreur la
dernière fois. Epuisé après une longue journée de travail, il
étend son linge avant de se glisser sous les couvertures pour
feuilleter le journal de la veille qu'il a emprunté dans le hall. Il
le lit rapidement avant de s'empourprer. Doit-il le ramener ?
Mais il n'ose pas le faire.
- Arrête, tu es
stupide, il n'y a rien en bas ! Et si on se rend compte que tu
as volé le journal, tu auras des ennuis. Vas-y, ne fais pas ton
nigaud.
L'adolescent hésite
et il se décide à déposer le journal en haut des marches, il n'ose
pas aller plus loin. Il court pour rentrer dans sa chambre et il
ferme précipitamment la porte.
- Tu vois, il ne
s'est rien passé du tout ! se murmure-t'il.
Malgré tout, c'est
agité de tremblements qu'il se glisse sous ses couvertures.
Une tasse de thé
à la main, elle se rassied en tailleur sur son clic-clac aux motifs
indiens. Elle relit les dernières lignes qu'il vient d'écrire quand
il entend toquer timidement à la porte du salon. La silhouette se
redresse, surprise car la pièce n'est jamais fermée. L'inconnue est
seule et elle n'a pas entendu la porte d'entrée, fermée à clé,
s'ouvrir. Des pieds nus foulent le parquet qui grince légèrement.
La jeune femme se retourne pour se retrouver face à un adolescent
qui se plante devant elle, mal à l'aise. Les mains dans les poches,
il la regarde, un peu intimidé tandis qu'elle se lève avec lenteur.
Ces cheveux raides
et roux, ces vêtements informes, cette nonchalance et surtout ce
casque de baladeur que l'adolescent tient dans la main. Non, ce ne
peut pas être...Moi.
- Bonjour, je
cherche monsieur Sutingocni. Mon réveil n'a encore pas sonné ce
matin et je suis super en retard.
- Pardon, c'est de
ma faute si tu ne te lèves jamais à l'heure et si tu dors mal.
- Ah, c'est vous
l'auteur? dit Ophélien en remarquant le document ouvert sur
l'ordinateur. Parce que là, je commence à flipper.
- C'est normal.
dis-je avec une grimace.
- Et ça va durer
longtemps?
- C'est presque
terminé.
- Et ça va mal
finir?
- Pas très bien, je
crois. Va dormir, tu te lèves tôt demain, Ophélien. dit la jeune
femme avec un soupçon de tendresse dans la voix.
- Laisse-moi au
moins dormir cette nuit, par pitié, je suis fatigué.
- D'accord.
D'un pas traînant,
le jeune garçon s'évanouit dans le couloir. L'auteur baisse le nez
sur son écran d'ordinateur.
" Ophélien se
réveille en sursaut. Les yeux ouverts dans le noir, il écoute
attentivement les bruits de la chambre. De nouveau, le bruit se fait
entendre. On dirait une araignée ou une souris qui griffe le
parquet. Ophélien se recroqueville sous son drap en se retenant de
gémir. Il inspire et il sort prudemment sa main pour allumer la
lampe de chevet.
- Pourvu qu'elle
fonctionne cette fois-ci...
La lampe s'allume et
l'adolescent parcourt la chambre du regard. Elle est vide, pourtant
il est certain d'avoir entendu du bruit. Il éteint la lumière et le
bruit se fait de nouveau entendre, plus proche. "
Sans hésitation, la
femme supprime le dernier paragraphe que je remplace:
« Après une
nuit paisible, Ophélien se réveille reposé pour la première fois
depuis bien longtemps. Pour une fois, il n'est pas en retard, il
prend son temps. Il se douche avant de filer à la cuisine.
- Petit, tu t'es
levé à l'heure ce matin? Tu as bien fait, les crêpes sont encore
chaudes! dit Maggiorino, un grand sourire aux lèvres.
L'adolescent salue
le cuisinier et il va se servir au buffet. Pour une fois qu'il a le
temps de petit-déjeuner, il compte bien profiter du buffet et des
crêpes tant qu'elles sont chaudes. »
Ophélien se
réveille en sursaut.
- Je deviens
vraiment dingue ! J'ai rêvé que j'étais le personnage d'un
écrivain un peu sadique. songe-t'il en s'enroulant dans sa
couverture.
Quelques instants
plus tard, il dort de nouveau, épuisé.
Mais il se réveille
de nouveau peu après, pour un besoin pressant. Il remarque son
cahier au pied de son lit et il s'en saisit pour noter ses dernières
impressions afin de se libérer l'esprit des pensées intrusives qui
troublent son sommeil.
Extrait du
journal intime d'Ophélien :
« Je fais des
cauchemars bizarres depuis quelques temps mais je ne sais pas à qui
en parler. Je crois que c'est la fatigue et aussi l'ennui, je passe
beaucoup de temps à lire des livres dont vous êtes le héros à
l'accueil quand il n'y a personne. Je pense que ces lectures
stimulent mon imagination mais que faire d'autre ? Je n'ai pas
ma gameboy et je ne peux pas jouer avec lorsque je travaille. Le seul
truc que je peux prendre, c'est un papier et un crayon pour
m'occuper. Je pourrais prendre mon journal intime mais si le patron
tombe dessus ?»
L'adolescent relit
les phrases qu'il vient d'écrire, satisfait. Il pose le cahier à
côté de lui, sur la table de nuit et il éteint la lumière,
l'esprit léger. Dans ses rêves, cette nuit-là, sans en avoir
conscience ni le moindre souvenir au matin, il voit des ombres
blanches danser une ronde en chantant autour de lui. Puis ils
entonnent un air qui ressemble à une musique de harpe et ils dansent
en sautillant dans la chambre. Puis, il rêve qu'il se trouve au bord
d'une falaise et qu'un rien peut le faire basculer dans le vide, il
marche comme sur un fil mais il peut encore choisir de retrouver la
terre ferme ou de basculer irrémédiablement dans le vide. Tel un
funambule, il semble hésiter dans son rêve mais il finit par
s'éloigner du précipice en foulant l'herbe froide et mouillée sous
ses pieds.
Le jeune garçon se
réveille en sursaut, il est trois heures du matin, il ne lui reste
que quatre heures à dormir et il est épuisé comme s'il n'avait pas
dormi du tout. Ophélien se recouche avec un soupir et il s'endort,
enfin apaisé. Dehors, le vent s'est mis à souffler et il fait
craquer la vieille maison mais l'adolescent n'entend rien. Pour une
fois, son sommeil est paisible. Le lendemain, le jeune garçon se
réveille à l'heure et de bonne humeur. Il descend l'escalier en
chantonnant, prêt à affronter une nouvelle journée.