dimanche 20 août 2017

Hôtel de charme particulier Chapitre 5


Le lendemain, épuisé de sa mauvaise nuit, Ophélien s’aperçoit que tous les appareils électriques sont allumés dans le hall  : lampes, ordinateurs et imprimantes de l’accueil l’attendent prêts à entamer une nouvelle journée de travail. L'adolescent s’empresse de tout éteindre, le cœur battant, il regarde autour de lui sans rien remarquer de particulier  ; pour finir, il s’affale sur sa chaise, inquiet. Lorsqu’il croise monsieur Sutingocni, il feint l’allégresse. Il tient une piste car pour allumer l’ordinateur, il faut en connaître le mot de passe ce qui signifie que c’est un employé de l’hôtel qui s’acharne sur lui. Il hésite à en parler à son employeur mais il n’a aucune preuve donc il préfère s’abstenir. Et il pense que seul le gérant connaît son mot de passe.



A plusieurs reprises, le jeune garçon se retourne en entendant un cliquetis derrière lui comme lorsqu’on appuie sur un interrupteur. L’imprimante s’allume et s’éteint plusieurs fois tout comme la lampe de son bureau. Frissonnant, il feint de ne rien remarquer de particulier. La boule au ventre et les traits crispés, il attend la pause déjeuner avec impatience et il se réfugie aux toilettes dès qu’il le peut. Seul dans la petite pièce, il se sent protégé car il sait que le plaisantin ne viendra pas le débusquer jusque là. Dès que quelqu’un passe près du comptoir, les phénomènes s’arrêtent comme par miracle et le jeune garçon soupire de soulagement. Il profite de ces minutes de répit pour remettre ses idées en place et tenter de réfléchir à la situation. Doit-il en parler à son employeur  ? Le fait que les phénomènes s'arrêtent quand quelqu'un approche signifie que ce n'est pas un problème mécanique. Lorsque l'adolescent se fait cette réflexion, il pâlit mais devant le client qui lui demande un renseignement, il tente de faire comme si de rien n'était. Toute la journée, les phénomènes se répètent et Ophélien lorsqu'il est seul se plonge dans un de ses livres dont vous êtes le héros pour s'occuper et ne pas penser. Il réfléchit longuement à la question et il finit par se murmurer pour lui-même  :

- C'est une vieille bicoque où rien ne fonctionne bien, elle va finir par te rendre dingue si tu n'y prends pas garde. Il y a une explication, même si ce n'est pas celle que tu es prêt à accepter.

La journée se termine sans incident notable et Ophélien, épuisé, s'endort d'un sommeil de plomb après avoir éparpillé ses vêtements dans la pièce, trop las pour les ranger. Au matin, il retrouve ses habits parfaitement pliés au pied de son lit, il ne comprend pas mais le jeune garçon se dit que sa mémoire lui joue des tours. Toutefois, il y repense plusieurs fois durant sa morne journée mais au fil des heures, il se rassure, sa mémoire lui joue des tours. Lorsqu'il quitte son poste ce soir-là, il a totalement oublié l'incident.



Le lendemain, Ophélien reçoit sa part de pourboires qu'il met en lieu sûr. Il est étonné lorsqu'il compte la somme totale. Comment les clients peuvent-il laisser des pourboires aussi importants à moins d'avoir pitié de cet hôtel miteux  ? Ophélien empoche l'argent sans chercher plus loin. Dans sa chambre, il réfléchit à l'endroit où le mettre en lieu sûr pour qu'on ne le lui vole pas. Il ne trouve pas où le ranger aussi dès qu'il a fini son service, il se met en quête d'un petit porte-monnaie avec un porte-clé pour mettre sa clé et son argent. Rassuré, le jeune garçon revient à l'hôtel en courant pour ne pas manquer l'heure du repas.



Un midi, alors qu’il déjeune seul dans la cuisine, il se retourne en sentant un souffle dans son cou et il remarque que les portes des placards et les tiroirs ont été ouverts dans la pièce. Avec un soupir, il délaisse son assiette pour tout refermer.

- Je deviens fou. Je n’ai peut-être pas remarqué que quelqu’un a tout laissé ouvert lorsque je suis entré dans la pièce. murmure-t’il avant de s’empresser de quitter les lieux. Alors qu’il passe la porte, il entend des bruits de pas derrière lui, il se retourne mais il est seul. Il remarque les restes de son repas sur la table qu'il a oublié, troublé, et il s’empresse de tout nettoyer pour quitter les lieux au plus vite.

Le reste de la journée est monotone, un couple de clients arrive avec de nombreux bagages que le jeune garçon doit monter au dernier étage dédié aux chambres des clients. Courageusement, l'adolescent empoigne les valises et il commence à les monter à l'étage. Il évalue rapidement les étages à monter et il soupire, sa chambre est un étage au-dessus et il sait que les derniers étages sont difficiles à monter lorsque l'on est chargé. Alors qu'il passe devant le bureau de son employeur, ce dernier le voit crouler sous les bagages et il s'empresse de l'aider.

- Vous auriez dû me demander de l'aide, Ophélien. dit-il d'un ton empli de reproches.

- Je ne voulais pas vous déranger, j'y serais arrivé seul.

- Il serait regrettable que vous vous fassiez mal ou que vous glissiez dans l'escalier.

L'adolescent rougit, il sait qu'il a commis une faute et c'est mal à l'aise de se voir ainsi réprimander devant les clients, qu'il voit sourire un bref instant, qu'il prend les bagages les plus légers. Les bagages montés, il sent la main de monsieur Sutingocni se poser sur son épaule et il lui dit de ne pas hésiter à demander de l'aide. Il sait bien qu'il est seul à l'accueil, qu'il vient de prendre son poste en cette période particulièrement chargée pour la saison et qu'il n' a pas l'habitude de ce genre de poste.

De retour derrière son comptoir, l'adolescent s'interroge. Une période très chargée  ? En pleine saison estivale alors que les clients sont plutôt rares  ? Le jeune réceptionniste ne comprend pas comment l'hôtel peut fonctionner vu la faible fréquentation. Il inspecte le hall et il songe que cela explique pourquoi le bâtiment n'est pas rénové.


La nuit suivante, il se réveille en entendant de l’eau couler. Il suit le bruit et il remarque que le robinet de sa salle de bain s’est ouvert, Ophélien ne cherche pas à comprendre, il éteint l’eau et va se recoucher, trop épuisé pour chercher à comprendre ce qui a pu se passer.

Au réveil, il entre dans la pièce pour prendre une douche, l’esprit embrumé par le sommeil, il ne se souvient pas de suite de la nuit. En sortant de la douche, il se rappelle soudain des évènements et il hurle lorsqu’il remarque des traces sur le miroir de la salle de bain.

- Arrête, c’est toi, tu as dû toucher quelque chose de gras puis le miroir lorsque tu t'es levé cette nuit. Qui vérifie si son miroir est propre en entrant dans sa salle de bain  ? Et cesse de parler à voix haute, tu vas passer pour fou. Déjà que tu as laissé le robinet ouvert hier soir  !

Lorsqu’il jette un dernier coup d’œil en quittant la pièce, le jeune garçon remarque que des lettres sont inscrites dans la buée du miroir. Mais il file en essayant d’oublier tout ça.

Derrière le comptoir de l’accueil, le jeune homme hésite, doit-il croire ce qu’il a cru voir ou le mettre sur le compte de la fatigue, d'une crise de somnambulisme?

- Bonjour, monsieur.

Un homme de haute taille lui fait face. Arrivé la veille, le client entre deux âges semble inquiet.

- Je peux vous aider  ? demande Ophélien.

- Oui, suivez-moi, il y a des soucis dans ma chambre.

Le jeune garçon cherche le gérant du regard mais il ne le voit pas, il hésite avant de suivre le client dans sa chambre après avoir laissé une note pour expliquer son absence.

Dans la pièce, Ophélien s’arrête un instant pour admirer les dorures et les moulures à peine éclairées du lit à baldaquin qui semble déplacé dans la vieille bâtisse de bois. Et ce n'est qu'à ce instant qu’il la sent. Une odeur flotte dans l'air.

- Ca sent comme ça depuis votre arrivée  ? Vous n’avez pas demandé à changer de chambre  ?

- J’ai été réveillé à minuit par cette odeur épouvantable, j’ai aéré en pensant qu’elle disparaitrait mais elle devient plus forte d’heure en heure.

- Je comprends.

Ophélien se rend à la fenêtre pour respirer l’air frais du dehors, l’odeur de renfermé et de moisissures s’est tout à coup mêlée d’un relent de fumier qui l’a écœuré. Ne sachant que faire, il décide de se montrer professionnel et de commencer par chercher la cause de l’odeur dans les conduits de lavabo, de douche et de toilettes mais l’odeur semble concentrée dans la chambre. Il inspecte le dessous des meubles à la recherche d'un animal mort mais il ne voit rien. Les bras ballants, Ophélien ne sait que faire et il s’apprête à quitter la pièce quand monsieur Sutingocni les rejoint.

- Bonjour, ce client a un problème d’odeurs dans sa chambre et je venais voir. Elle ne vient ni de dehors, ni des canalisations. J’ai aéré en attendant de trouver une solution.

- Merci Ophélien, je m'en occupe, vous pouvez y aller. Ils exagèrent  !

Le jeune garçon ne dit mot et quitte la pièce, il ne sait pas ce que ces clients ont fait mais ils ont réussi à transformer la chambre en une telle bulle de puanteur. Il ne peut nier qu’ils ont réussi leur coup. Avide de respirer l’air plus pur du couloir, Ophélien inspire sitôt la porte passée. Une odeur de vieux, de renfermé mêlée d’une odeur de poussière atteint ses narines. En courant, il court rejoindre sa chambre pour respirer l’air pur à la fenêtre sans être dérangé. Quelques minutes plus tard, il se sent mieux et il rejoint son comptoir à l’accueil. Il pâlit et ses cheveux se dressent sur sa tête, l’odeur de la chambre qu’il vient de quitter flotte dans l’air. Puis il se raisonne, son patron a dû passer et traîner l’odeur derrière lui. Elle a dû rester en suspens dans le hall désert.  ; comme personne n'est entré ou sortir, l'air n'a pas eu le temps d'être chassé à l'extérieur. Ophélien s’empresse d’aller ouvrir la porte pour renouveler l’air en se disant qu'il a beaucoup trop d'imagination.



Extrait du journal intime d'Ophélien  :

«  J 17

Il se passe des choses bizarres ici. J'ai acheté un cahier pour en garder des traces.

Je sais bien que ce lieu est chargé d'histoire mais il me rend fou. Les parquets craquent souvent la nuit, comme si quelqu'un marchait dessus mais il n'y a jamais personne. Le pire reste le manque de lumière, on ne voit rien  ! C'est déprimant.



Ce lieu est déprimant. Les gens sont gentils mais ils sont bizarres, ils paient une fortune pour venir dans cette île solitaire, cette maison est sombre, vieille et sans attrait. Et en plus, ils laissent des pourboires hallucinants. A côté de ça, la machine à laver fonctionne quand elle veut et personne ne s'en inquiète. Je dois absolument refaire une machine demain et j'ai peur de voir encore mes vêtements prendre une teinte étrange. Et il y a toutes les choses bizarres qui arrivent de temps en temps. Elles peuvent s'expliquer mais c'est louche.  »



Le lendemain, Ophélien un peu inquiet se dirige vers la machine à laver. Il suit scrupuleusement le mode d'emploi affiché et le linge ressort parfaitement propre. Soulagé, il se dit qu'il a fait une erreur la dernière fois. Epuisé après une longue journée de travail, il étend son linge avant de se glisser sous les couvertures pour feuilleter le journal de la veille qu'il a emprunté dans le hall. Il le lit rapidement avant de s'empourprer. Doit-il le ramener  ? Mais il n'ose pas le faire.

- Arrête, tu es stupide, il n'y a rien en bas  ! Et si on se rend compte que tu as volé le journal, tu auras des ennuis. Vas-y, ne fais pas ton nigaud.

L'adolescent hésite et il se décide à déposer le journal en haut des marches, il n'ose pas aller plus loin. Il court pour rentrer dans sa chambre et il ferme précipitamment la porte.

- Tu vois, il ne s'est rien passé du tout  ! se murmure-t'il.

Malgré tout, c'est agité de tremblements qu'il se glisse sous ses couvertures.



Une tasse de thé à la main, elle se rassied en tailleur sur son clic-clac aux motifs indiens. Elle relit les dernières lignes qu'il vient d'écrire quand il entend toquer timidement à la porte du salon. La silhouette se redresse, surprise car la pièce n'est jamais fermée. L'inconnue est seule et elle n'a pas entendu la porte d'entrée, fermée à clé, s'ouvrir. Des pieds nus foulent le parquet qui grince légèrement. La jeune femme se retourne pour se retrouver face à un adolescent qui se plante devant elle, mal à l'aise. Les mains dans les poches, il la regarde, un peu intimidé tandis qu'elle se lève avec lenteur.

Ces cheveux raides et roux, ces vêtements informes, cette nonchalance et surtout ce casque de baladeur que l'adolescent tient dans la main. Non, ce ne peut pas être...Moi.

- Bonjour, je cherche monsieur Sutingocni. Mon réveil n'a encore pas sonné ce matin et je suis super en retard.

- Pardon, c'est de ma faute si tu ne te lèves jamais à l'heure et si tu dors mal.

- Ah, c'est vous l'auteur? dit Ophélien en remarquant le document ouvert sur l'ordinateur. Parce que là, je commence à flipper.

- C'est normal. dis-je avec une grimace.

- Et ça va durer longtemps?

- C'est presque terminé.

- Et ça va mal finir?

- Pas très bien, je crois. Va dormir, tu te lèves tôt demain, Ophélien. dit la jeune femme avec un soupçon de tendresse dans la voix.

- Laisse-moi au moins dormir cette nuit, par pitié, je suis fatigué.

- D'accord.

D'un pas traînant, le jeune garçon s'évanouit dans le couloir. L'auteur baisse le nez sur son écran d'ordinateur.

" Ophélien se réveille en sursaut. Les yeux ouverts dans le noir, il écoute attentivement les bruits de la chambre. De nouveau, le bruit se fait entendre. On dirait une araignée ou une souris qui griffe le parquet. Ophélien se recroqueville sous son drap en se retenant de gémir. Il inspire et il sort prudemment sa main pour allumer la lampe de chevet.

- Pourvu qu'elle fonctionne cette fois-ci...

La lampe s'allume et l'adolescent parcourt la chambre du regard. Elle est vide, pourtant il est certain d'avoir entendu du bruit. Il éteint la lumière et le bruit se fait de nouveau entendre, plus proche. "

Sans hésitation, la femme supprime le dernier paragraphe que je remplace:

« Après une nuit paisible, Ophélien se réveille reposé pour la première fois depuis bien longtemps. Pour une fois, il n'est pas en retard, il prend son temps. Il se douche avant de filer à la cuisine.

- Petit, tu t'es levé à l'heure ce matin? Tu as bien fait, les crêpes sont encore chaudes! dit Maggiorino, un grand sourire aux lèvres.

L'adolescent salue le cuisinier et il va se servir au buffet. Pour une fois qu'il a le temps de petit-déjeuner, il compte bien profiter du buffet et des crêpes tant qu'elles sont chaudes. »

Ophélien se réveille en sursaut.

- Je deviens vraiment dingue  ! J'ai rêvé que j'étais le personnage d'un écrivain un peu sadique. songe-t'il en s'enroulant dans sa couverture.

Quelques instants plus tard, il dort de nouveau, épuisé.



Mais il se réveille de nouveau peu après, pour un besoin pressant. Il remarque son cahier au pied de son lit et il s'en saisit pour noter ses dernières impressions afin de se libérer l'esprit des pensées intrusives qui troublent son sommeil.



Extrait du journal intime d'Ophélien  :

« Je fais des cauchemars bizarres depuis quelques temps mais je ne sais pas à qui en parler. Je crois que c'est la fatigue et aussi l'ennui, je passe beaucoup de temps à lire des livres dont vous êtes le héros à l'accueil quand il n'y a personne. Je pense que ces lectures stimulent mon imagination mais que faire d'autre  ? Je n'ai pas ma gameboy et je ne peux pas jouer avec lorsque je travaille. Le seul truc que je peux prendre, c'est un papier et un crayon pour m'occuper. Je pourrais prendre mon journal intime mais si le patron tombe dessus  ?»



L'adolescent relit les phrases qu'il vient d'écrire, satisfait. Il pose le cahier à côté de lui, sur la table de nuit et il éteint la lumière, l'esprit léger. Dans ses rêves, cette nuit-là, sans en avoir conscience ni le moindre souvenir au matin, il voit des ombres blanches danser une ronde en chantant autour de lui. Puis ils entonnent un air qui ressemble à une musique de harpe et ils dansent en sautillant dans la chambre. Puis, il rêve qu'il se trouve au bord d'une falaise et qu'un rien peut le faire basculer dans le vide, il marche comme sur un fil mais il peut encore choisir de retrouver la terre ferme ou de basculer irrémédiablement dans le vide. Tel un funambule, il semble hésiter dans son rêve mais il finit par s'éloigner du précipice en foulant l'herbe froide et mouillée sous ses pieds.



Le jeune garçon se réveille en sursaut, il est trois heures du matin, il ne lui reste que quatre heures à dormir et il est épuisé comme s'il n'avait pas dormi du tout. Ophélien se recouche avec un soupir et il s'endort, enfin apaisé. Dehors, le vent s'est mis à souffler et il fait craquer la vieille maison mais l'adolescent n'entend rien. Pour une fois, son sommeil est paisible. Le lendemain, le jeune garçon se réveille à l'heure et de bonne humeur. Il descend l'escalier en chantonnant, prêt à affronter une nouvelle journée.