Ulysse, un jeune
scientifique du vingt-deuxième siècle tomba un jour sur un article à propos de
la téléportation. La recherche avait été abandonnée depuis un siècle, faute de
crédits suffisants. Il travaillait à ce moment là sur le clonage humain,
recherche qui ne l’intéressait guère. Les investissements dans cette
technologie étaient colossaux par rapport aux résultats obtenus et cette
recherche ne l’intéressait pas mais il étudiait ce qu’on lui demandait d’étudier.
En secret, il reprit ses notes sur le sujet et il passa ses nuits dans un
bâtiment désaffecté dont il vola la clé.
Ce bâtiment n’était
pas utilisé depuis des années, le matériel était vieux mais Ulysse s’en
contenta. Il travaillait de nuit, stores
baissés pour ne pas éveiller les soupçons. Epuisé par ses doubles journées, il
accumula les erreurs jusqu’à ce que son corps s’accoutume au manque de sommeil.
Une nuit, dans le local des archives, il tomba sur une revue
scientifique qui annonçait fièrement en couverture : « La
téléportation : un rêve à portée de main ? ». Ulysse lut l’article
avec avidité, les yeux brillants, il pensait tenir une idée.
Ses manipulations sur
les cellules humaines étaient de plus en plus souvent ratées, il manquait de
concentration, trop occupé à imaginer une téléportation viable. Un vendredi
après-midi qu’il était seul parce que tous ses collègues étaient déjà partis en
week-end, il bâcla fébrilement ses expériences. Il avait eu une illumination
durant son déjeuner solitaire à la cantine du laboratoire.
Ce week-end là,
Ulysse s’enferma dans son studio, il ne sortit que pour promener son chien et
acheter quelques souris à l’animalerie. Penché sur son cahier, il élaborait un
protocole d’expérimentation qui pour la première fois lui semblait viable. Le
dimanche soir, il se coucha heureux : il venait de se souvenir que le
lendemain était un jour férié, le laboratoire serait désert mais sa carte d’accès
reconnaissait les week-ends mais pas les jours fériés, il serait seul et ne
risquait pas de croiser quelqu’un. Cela signifiait qu’il pourrait enfin
utiliser le matériel de pointe du laboratoire.
La souris sur le
plateau, Ulysse commença par analyser sa souris avec un séquençage du
génome et des protéines pour modéliser la structure de l’animal en trois
dimensions sur son ordinateur. Ensuite, un champ magnétique de grande intensité
fut envoyé pour casser les liaisons covalentes. L’étape cruciale approchait et
Ulysse suait à grosses gouttes dans la solitude du laboratoire. Il entendit un
bruit et il craignit un instant que les stores ne masquent pas la lumière de l’extérieur
mais ce n’était que le vent qui jouait avec un volet mal fermé dans la pièce d’à
côté ou la souris qui avait couiné sous l’effet du champ magnétique. Absorbé
par sa tâche, il s’était déconnecté de la réalité et ce son l’y avait
brutalement ramené. Soulagé, il revint à son projet, le cœur battant d’excitation.
Ulysse plaça le
caisson hermétique qu’il avait utilisé précédemment dans la machine qu’il avait
créée en secret des mois durant. Il avait volé du matériel de pointe au
laboratoire en prétextant en avoir besoin pour le projet sur lequel il
travaillait officiellement. Heureusement pour lui, personne n’avait vérifié l’adéquation
du matériel demandé avec son projet en cours. Il perça un trou microscopique dans
le caisson et aspira en même temps la poussière crée pour ne pas contaminer les
molécules du caisson. Il plaça ensuite son rayon face au trou et l’actionna en
priant pour que l’expérience fonctionne. Il avait pris soin de recouvrir la
surface de son caisson d’une couche de carbone, seule matière assez dure pour
empêcher son rayon d’y arracher des molécules.
Le scientifique
voyait sur son écran, le corps de la souris se constituer couche après couche,
des heures durant. Inquiet à l’idée d’être découvert, il priait que cette
séquence ne dure pas plusieurs jours. Dix heures furent nécessaires pour
reconstituer la souris. Ulysse supposa donc que pour un humain de soixante
kilos, il lui faudrait trois ans et demi s’il prend une base de deux grammes de
molécules déplacées par heure. La souris était vivante mais dans le même état
qu’Adam A. qu’il avait précédemment eu comme sujet d’expérience. Néanmoins,
cette avancée lui vaudra un prix Nobel six mois plus tard.