jeudi 11 mai 2017

Nanowrimo Novembre 2016: Le dragon du souterrain

On raconte qu'autrefois, dans cette région, sous le château de Roches-Bleues, un dragon vivait reclus dans un souterrain. On l'entendait parfois hurler faiblement car les sols et les murs épais étouffaient son cri mais l'écho l'amplifiait et il résonnait de salle en salle. Il se nourrissait de rats, d'araignées et quelques fois de lézards. Cette nourriture pauvre le maintenait en vie mais il avait toujours faim. Il avait été enfermé là par un roi dans le plus grand secret, puis le roi était mort peu après et il avait emporté son secret dans la tombe. Depuis, le dragon vivait là, solitaire et oublié.

Dix ans passèrent ainsi. Au vieux roi avait succédé son fils qui avait une petite fille qui devint une jeune fille. Un jour, le roi la fit venir dans le jardin où il était installé avec la reine devant un thé. Il annonça à sa fille unique qu'il l'avait fiancée au prince du royaume voisin. Or, il était de notoriété publique que ces deux-là se détestaient cordialement. Mais les deux rois ne voulurent rien entendre, la raison d'état l'emportait et les noces furent fixées au mois suivant les fiançailles qui eurent lieu la semaine suivante.
La princesse fut cloîtrée dans le château, elle passait ses journées seules et comme elle s'ennuyait, elle l'explora de fond en comble. Fatalement, elle finit par trouver le dragon solitaire !

Tout d'abord, la peur l'emporta puis elle examina la créature qui dormait. A la lueur de sa torche, elle vit que l'animal était maigre à faire peur. La pitié fut plus forte que la peur et la nuit même, elle vola aux cuisines de la viande car elle avait remarqué que la créature avait de l'eau en abondance grâce à un écoulement d'eau dans la pièce. Elle chercha comment nourrir la bête et se rendit compte qu'un tuyau de pierre était aménagé à cet effet dans le mur. La nourriture traversait ainsi le mur et tombait sur le sol sans que l'on ouvre la porte ou que l'on risque de voir son bras dévoré. Bien évidemment, la bête se jeta sur la viande. Cette manne était bien plus nourrissante que les rats habituels.

La princesse revint chaque nuit nourrir le dragon qui reprenait des forces. De la bête à la peau sur les os qu'elle était, elle devint bientôt une bête robuste qui reprenait vie. Quand elle la nourrissait, la princesse parlait au dragon, elle n'avait personne à qui parler et elle avait pitié de cette bête solitaire. La bête lui répondait par des grognements indistincts.

Dix jours après les fiançailles, la robe de la future mariée fut apportée et la princesse comprit que le temps lui était compté. Elle devait trouver le moyen de faire sortir le dragon qui avait repris des forces, sinon il dépérirait de nouveau. Mais elle ne savait comment ouvrir la porte de pierre, elle ne voyait pas de serrure ou de mécanisme d'ouverture. Elle chercha dans la bibliothèque du château des indications sur cette mystérieuse pièce mais ne trouva rien à ce sujet. La porte s'ouvrait, c'était certain ! En examinant la porte, une nuit à la lueur blafarde d'une lanterne, elle comprit que la porte s'ouvrait de l'intérieur. Elle allait devoir entrer si elle voulait libérer le dragon! Et elle ne savait pas si le mécanisme était en état de marche ou même si elle pouvait l'actionner. S'il lui fallait une clé ou un code quelconque, elle ne pourrait l'ouvrir.
Il lui fallut une semaine pour trouver une solution : les égouts du château passaient visiblement sous la pièce où le dragon était retenu. Elle l'explora plusieurs nuits durant la peur de se perdre dans ce labyrinthe au ventre malgré le cordon qui la reliaient à l'entrée. Elle finit par repérer l'endroit où devait se trouver la pièce où le dragon vivait reclus, elle l'entendait donner des coups de griffe malgré le vacarme du cours d'eau souterrain. Elle avait emmené une pioche par précaution et les aspérités de la pierre grignotée par l'humidité et le temps lui offraient des prises suffisantes pour se hisser jusqu'à la voûte. Elle se servit des trous et des aspérités du toit du souterrain pour se créer un harnais de cordes qui lui permettait de se coucher sous la voûte et de travailler avec la pioche. Peu à peu, nuit après nuit, elle creusa un trou dans le sol de la prison du dragon après lui avoir apporté à manger et lui avoir parlé une longue heure.

Durant dix jours, elle travailla avec acharnement dans son inconfortable harnais et dormit peu. Les cernes sous ses yeux auraient pu révéler son activité nocturne si les préparatifs du mariage n'occupaient pas tous les esprits. Elle travaillait avec l'énergie du désespoir mais enfin, elle finit par créer une ouverture suffisante pour lui livrer le passage. L'aube naissante ne lui permit pas de rentrer examiner la serrure cette nuit-là à son grand désespoir.

Ce jour-là, en fin d'après-midi, à trois jours du mariage, son futur époux arriva dans son royaume accompagné de nombreux présents pour sa fiancée. Les bals et les jeux se succédèrent mais la princesse ne les vit pas, trop absorbée par la curiosité : qu'allait-elle trouver dans la cache du dragon ? Pourrait-elle entrer sans se faire dévorer ? Pourrait-elle ouvrir la serrure ?

La nuit-même, elle s'introduisit dans la cache du dragon, tremblante de peur mais le dragon la flaira tandis qu'elle lui parlait. Il sembla la reconnaître et ne chercha pas à la dévorer. Il se montra bien plus intéressé par le sac contenant de la viande qu'elle avait apporté. A la lueur de la torche, elle examina la porte, la serrure, les gonds sans comprendre comment les ouvrir. Elle parla toute la nuit autant pour elle-même que pour le dragon. Il n'y avait visiblement pas de clé pour ouvrir la porte, la serrure en était mécanique mais elle ne comprenait pas comment l'actionner.

Le lendemain, elle prépara ses affaires et tenta une nouvelle fois de faire fléchir son père qui ne voulut rien entendre, la raison d'état l'emportait sur les états d'âme de la jeune fille. Dans l'effervescence des préparatifs, elle n'était jamais seule et avait peu de temps pour réfléchir à l'énigme qui l'occupait. Ses nuits étaient courtes entre ses courses clandestines à la cuisine et ses visites au dragon. Bien que désespérée, elle passa les deux nuits suivantes à tenter de monter le dragon qui se laissa faire, il avait certainement déjà servi de monture par le passé. Au petit matin de la deuxième nuit, une idée lui traversa l'esprit : un renfoncement dans le mécanisme lui rappelait quelque chose qui lui était familier.

Elle y pensa toute la journée précédant le mariage et dès que le château fut endormi, elle alla dans la salle du trône déserte et trouva ce qu'elle cherchait : le sceptre du roi posé sur le fauteuil présentait le même relief que le creux du mécanisme de la porte. Pieds nus, elle courut chercher son sac, résolue à sauter de la plus basse fenêtre jusque dans la douve dont le fond état garni de pics quitte à se briser les os ou s'empaler sur un pic plutôt que de se marier.

La porte s'ouvrit bien, comme prévu, le mécanisme fonctionna silencieusement. Elle entra en parlant au dragon qui la regarda dans les yeux puis la renifla, il la reconnaissait. Ils partirent dans les souterrains en silence jusqu'à ce que la princesse trouve un boyau souterrain qu'elle avait repéré sur un vieux plan de construction du château : le boyau était un conduit menant à l'extérieur pour permettre la fuite du châtelain et de sa famille en cas de défaite. Ils l'empruntèrent et marchèrent longuement. Mais au petit matin, ils étaient arrivés à l'extérieur, au milieu d'un bois.

Le dragon se baissa et attendit, la princesse comprit qu'il se proposait de la prendre sur son dos. Ils volèrent longtemps et parvinrent à un royaume inconnu où la princesse vendit les bijoux qu'elle avait emportés. Elle fit partir un message à son père disant qu'elle avait fui, allait bien mais ne reviendrait jamais. Ils volèrent de nouveau jusqu'à un petit royaume où la princesse et son dragon furent chaleureusement accueillis. La princesse acheta un grand domaine avec un bois giboyeux où le dragon pouvait chasser à sa guise. Elle ne revint jamais dans le royaume qui l'avait vu naître et quand elle se maria, c'est qu'elle le voulut bien. Le dragon quant à lui vécut heureux dans le bois et de temps en temps venait jusqu'à la demeure des maîtres pour saluer l'ex-princesse et quelquefois, l'emmener sur son dos voler au-dessus de leur domaine.