samedi 27 mai 2017

Nanowrimo Novembre 2016 : Le roi de la forêt obscure

  Autrefois, à une époque dont aucun homme ne se souvient, cette région était recouverte d'une forêt qui semblait sans limite. On l’appelait la forêt ténébreuse mais comme ce nom faisait peur, on l’appelait communément la forêt obscure. En effet, les arbres y étaient si denses, si serrés que la lumière n'y entrait pas. On disait la forêt ténébreuse habitée par des créatures dangereuses.
  Enfant, je vivais en bordure de la forêt obscure ; j'avais interdiction d'y aller mais vous savez ce que c'est, je suppose. On vous interdit quelque chose et l'envie d'y aller est décuplée. La nuit, il m'arrivait d'ouvrir silencieusement les volets et de la regarder sous la lune. En effet, elle était noire sous le clair de lune et elle semblait sans vie, morte. Avec mon voisin et ami, nous regardions souvent cette forêt de loin ; une fois, bravant l'interdiction de nos parents, nous allâmes jusqu'à l'orée de cette forêt. Rien ne bougeait, elle semblait morte, sans vie, comme si l'air était figé entre les arbres si serrés que l'on pouvait à peine passer. Ce jour-là, nous n'osâmes pas aller plus loin.
  Une nuit, nous étions allés à un bal et nous rentrions un soir de pleine lune. Vous savez bien ce que sont ces pleines lunes d'été : l'air est chaud, il n'y a pas de nuages et on y voit comme en plein jour tant la lune est proche. Légèrement éméchés par l'absorption de bière, nous décidâmes d'explorer la forêt, de nuit. De jour, elle nous était interdite mais l'idée qu'y aller de nuit n'était pas une meilleure idée ne nous effleura pas. Nous avions dix-sept ans, nous rentrions d'un bal où nous avions bu plus que de raison, nous étions fatigués et nous sentions prêts à affronter n'importe quoi. Sur le moment, cela nous sembla une bonne idée. C'était la pleine lune, on voyait presque comme en plein jour, que pouvait-il nous arriver ?
  Nous entrâmes dans la forêt et aussitôt, la lumière tomba. Il faisait réellement nuit sous les arbres et le paysage s'assombrissait au fur et à mesure que nous avancions. Mais comme nous arrivions encore à voir devant nous, nous avançâmes de plus en plus lentement. Malgré tout, le noir n'était pas complet, nous arrivions à deviner les formes qui surgissaient devant nous : des arbres, toujours des arbres serrés les uns contre les autres. Après un quart d'heure de marche dans la nuit, alors que nous commencions à avoir froid sous nos vestes légères, nous décidâmes de rebrousser chemin et de rentrer chez nous. Nous nous sentirions ridicules le lendemain mais nous n'avions pas de raison de continuer ainsi à avancer dans le noir presque complet d'une forêt sans intérêt. Et c'est alors que nous allions commettre l'erreur de notre vie : dans notre ivresse, nous criâmes avant de repartir en marchant d'un bon pas.
  Un bruit derrière nous nous fit sursauter mais nous ne vîmes rien. Aussi nous reprîmes notre route les mains dans les poches sans parler, attentifs aux alentours. Ne voyant rien, nous continuâmes à marcher d'un pas plus rapide. Alors que nous étions proches de la lisière de la forêt, pas mécontents d'être revenus chez nous, nous montâmes sur une petite butte et c'est alors que nous le vîmes : une haute silhouette encapuchonnée de noir et de haute stature, maigre comme un squelette nous faisait face. Le roi de la forêt obscure nous avait trouvé. De ses yeux sans vie, il nous regarda et nous nous mîmes à courir comme jamais nous ne l'avions fait de notre vie. Il était derrière nous, nous entendions ses pas légers comme ceux d'une fée sur les feuilles mortes.

  Dans sa course, mon ami entra droit sur un arbre. Quelque peu assommé, le roi de la forêt obscure fut rapidement sur lui. Il serra son cou et bientôt ses doigts sans chair qui semblaient n'être que des os lui transpercèrent le cou, le laissant mort. Je le vis de loin alors que je me retournais tout en courant.
Lentement, le roi de la forêt obscure me suivit. J'étais proche de la lisière de la forêt quand il me rattrapa, minuit sonnait. D'une voix caverneuse, il me souffla qu'il était victime d'une malédiction depuis dix mille ans. Il avait conclu un pacte avec une entité maléfique qu'il tenta de tromper et qui le condamna à errer sous cette forme dans cette forêt. Pour se voir délivré, il devait attraper un homme vivant un soir de pleine lune alors que sonnait minuit. J'allais prendre sa place et il reprendrait sa vie là où il l'avait laissée, jeune inconnu de trente ans qui arriverait bien à s'en sortir pour finir sa vie d'homme.

  Depuis mille ans, je suis le roi de la forêt obscure où personne ne vient. Les gens ne croient plus aux vieilles légendes, personne ne viendrait me défier. Et personne ne viendrait à minuit une nuit de pleine lune dans cette forêt qui n'a rien de particulier, hormis que le soleil ne pénètre jamais entre les arbres tant ils sont serrés.