D’un geste rageur, elle appose son sceau pour cacheter la lettre qu’elle jette sur son bureau
encombré. Elle ne comprend pas comment elle a ainsi pu se faire avoir par celle
qui semble bien sa pire ennemie malgré ses airs doucereux et ses propositions
de collaboration. La jeune femme relit la lettre qu’elle vient de recevoir et
elle cherche à lire entre les lignes. Elle décèle une sourde menace sous les
phrases à double sens. Mais cette lettre ne peut demeurer sans réponse.
Afin d’apaiser sa colère,
elle sort dans le jardin plongé dans le noir.
Les bruits de la nuit l’apaisent et elle lève les yeux vers les étoiles qui
illuminent le ciel d’un tapis de diamants. Un miaulement la tire de sa rêverie
et elle prend son chat noir dans ses bras avant de s’abîmer de nouveau dans la
contemplation du firmament.
Même si elle sait que ce n’est guère prudent, elle quitte le
jardin et s’engage sur le chemin qui mène à la mer. Le bruit des vagues lui
parvient bientôt et le vent se fait plus violent. Ses pensées s’envolent et peu à peu, la jeune
fille s’apaise et elle se laisse bercer par le bruit des vagues qui s’écrasent
sur les rochers. Elle pose son chat par terre et ils cheminent le long de la
plage.
Tout à coup inquiète, elle scrute la nuit mais elle ne voit
pas d’ombre se mouvoir dans l’obscurité et elle se rassure tandis que le vent
la fait frissonner. Les phrases qui l’ont énervée lui reviennent en mémoire et
elle les examine alors que son regard s’abîme dans la contemplation de la mer
éclairée par la pleine lune. Les yeux plissés, il lui semble apercevoir une
ombre mouvante au loin qui se rapproche
peu à peu. Elle distingue bientôt sous la lune, un navire toutes voiles
dehors. Interloquée, elle se rend compte qu’un trois-mâts se dirige droit vers
la plage et vers elle. Elle s’approche du rivage pour mieux voir.
- Viens à bord, ma jolie ! la hèle une voix douce.
Le chat saute dans le sable et s’enfuit aussi vite que ses
pattes le lui permettent ce qui inquiète très fortement la jeune fille qui
regarde la silhouette qui lui fait face. Elle hésite mais la curiosité est la
plus forte et elle acquiesce doucement.
La silhouette indistincte descend par une échelle de cordes et lui tend
la main. Sans réfléchir, elle la saisit et quelques minutes plus tard, elle se
retrouve sur le pont d’un navire inconnu, en pleine nuit.
D’un regard, elle a remarqué l’équipage qui vaque à ses
occupations sans la remarquer et elle se retourne vers celui qui l’a
interpellée.
- Qui es-tu ? Que me veux-tu ? Où suis-je
donc ?
- Mon nom est Astyanax et je vogue sur ce navire de pirates
depuis quatre siècles !
- Quatre siècles ? répète la jeune femme en le
regardant plus attentivement. Dans le noir, elle n’avait pas remarqué qu’il
n’était pas humain. Pourquoi m’avoir fait monter à bord ? N’évitez-vous
pas la compagnie des vivants ?
- Tu nous as remarqués alors je t’ai fait monter à bord, ma
jolie. Les êtres humains sont pour la plupart aveugles, ils ignorent les signes
invisibles qui les entourent.
- Je le sais, je les vois même si j’avoue que je me
passerais bien souvent d’être ainsi.
- N’est-il pas merveilleux de voir ce que les autres ne
voient pas ?
- Et surtout terriblement dangereux ! dit-elle avec un
soupir.
- Et nous n’évitons pas la compagnie des vivants , c’est
juste qu’ils ne nous voient pas. dit Astyanax avec un sourire mauvais.
Le vent fouette son visage et la passagère regarde
l’horizon, au loin. Apaisée, elle songe au chat qu’elle a abandonné là-bas sur
la plage.
- Où m’emmènes-tu ? Je dois rentrer chez moi !
- S’il te plaît, viens avec nous ! Quatre mois pendant lesquels
tu verras du pays et au retour, notre malédiction sera levée.
- Je suis sincèrement désolée mais je ne peux pas, j’ai des
responsabilités. Quelle malédiction ?
- Nous avons volé un trésor là-bas aux Indes car nous
pensions nous enrichir et nous avons été maudits par un sorcier. Pour lever la
malédiction, nous devons trouver un passager qui accepte de faire la traversée
avec nous.
La jeune fille fulmine, ils comptaient donc l’enlever sans
lui demander son avis ? Rouge de colère, elle hurle qu’elle veut rentrer
chez elle et qu’elle rentrera à la nage s’il le faut. Penaud, le marin fantôme
la regarde avec tristesse et il la ramène sur la plage. Soulagée, elle voit la
terre approcher où son chat l’attend sagement couché sur le sable.
- Merci, dit-elle sèchement en commençant à descendre. Au
fait, sais-tu qui je suis ?
- Non, mademoiselle et je m’excuse pour la frayeur que je
vous ai faite, je ne pensais pas…
La jeune femme lui montre l’anneau qu’elle porte au doigt et
le marin blêmit en remarquant le sceau qui côtoie un anneau d’or gravé.
- Attendez-moi ici, intime-t’elle à l’équipage en sautant
dans le sable.
Elle rejoint son chat qui l’attend toujours sur le sable
d’argent qui luit sous la lune, il miaule en la voyant revenir comme s’il
devinait qu’elle avait eu affaire à des spectres.
- Ramène-moi une souris vivante, ne la mange pas ! lui
murmure-t’elle à l’oreille.
Le chat noir bondit dans la nuit et il revint bientôt, une
souris dans la gueule qui couine pour se libérer de son emprise. La jeune femme
la prend délicatement mais fermement puis elle la caresse pour l’apaiser.
- Tu vas faire un beau voyage ! dit-elle doucement à la
souris avant de rejoindre le bateau qui se balance doucement sous la lune.
- Je vous ai trouvé un passager, vous lui trouverez bien une
chambre convenable ! dit-elle en tendant le rongeur au capitaine.
- Je lui fabriquerai une grande cage et je la nourrirai
bien. Je vous promets de la relâcher à notre arrivée de l’autre côté de
l’océan. Merci, merci encore de nous sauver
de cette malédiction !
- Bon voyage, dit-elle alors que les voiles du navire se
gonflent mystérieusement sous l’effet d’un vent venu de nulle part.