Alexandrine que toute sa famille appelle
Sandrinon est une jeune fille rêveuse, elle rêve du grand amour et se délecte
des contes de fée. Son
plus grand souhait serait d’épouser un prince ou à défaut, un homme beau, riche
et puissant. Elle admet être un peu conditionnée par son entourage sur ce
point. Un soir, en rentrant d’une soirée en boîte de nuit où elle n’a
pu que constater la médiocrité de ses prétendants, elle prie son ange gardien
de lui donner un indice pour trouver l’amour. Penché sur son petit nuage, l’ange
gardien l’entend et réfléchit à un stratagème pour la conduire à son âme sœur.
Le lendemain, un dimanche ensoleillé,
Sandrinon feuillette un livre qu’elle a retrouvé sous son lit. Dans ce livre de
contes, elle cherche un indice pour trouver l’amour. Elle ne se voit pas faire
fabriquer une peau d’âne synthétique pour se cacher dessous lors du bal d’halloween
ou aller sauver des hommes de la noyade en espérant trouver son prince. Elle
réfléchit et elle décide d’organiser un bal costumé pour ses vingt ans en
disant à ses connaissances d’inviter leurs connaissances.
Un mois plus tard, la fête bat son plein mais
Alexandrine ne trouve pas chaussure à son pied. Elle en parle avec ses amis,
Pierre-Armand et Juline. Pierre-Armand lui propose de lui présenter son cousin
qui vit en Amérique mais elle lui répond que l’Amérique n’est pas la porte à
côté et que son cousin ne vient que dans six mois. Juline revient avec un verre
de punch à la main et surprend leur conversation :
-
Tu sais le bal d’été se déroulera au palais comme tous les ans. Mon père qui
connaît bien l’intendant du palais a obtenu des invitations, nous pourrions
nous y rendre. J’ai prévu d’y aller avec le frère de Pierre- Armand.
-
Comment ? Tu sors avec Camille ? Et tu ne me l’as pas dit ?
-
Ca date du pique-nique de dimanche dernier, il n’y a rien de précis. Et comme
ce soir, il était au badminton, je pensais t’en parler au bal où il sera mon
cavalier.
-
Bon, allons danser ! répond Alexandrine qui veut avant tout s’amuser.
Ce soir-là, elle rentre chez elle, ivre de
fatigue et les pieds douloureux.
-
Angelin, je voudrais trouver le grand amour. Je sais que tu m’en veux de t’avoir
donné ce ridicule prénom mais s’il te plaît, aide-moi.
Son
ange gardien qui l’observait penché sur un nuage en désapprouvant sa conduite s’apprêtait
à lui envoyer un mal de tête pour lui apprendre à se modérer. Il suspend son
geste et réfléchit. Alexandrine
rêve, une phrase hante son rêve cette nuit-là. « Trouve le soulier de vair ».
Au réveil, la tête douloureuse, elle se dit
qu’un soulier reste toujours plus élégant qu’une pantoufle, même si elle n’apprécie
pas vraiment la fourrure. Et elle trouve dommage de payer une centaine d’euros
pour des chaussures qu’elle n’osera jamais mettre si elle considère leur prix. Mais
bien décidée à trouver l’amour, elle s’habille d’un jean foncé et d’un
chemisier brodé avant de prendre sa berline pour aller en ville chez un
négociant en fourrure.
Dans
la boîte aux lettres, elle trouve une invitation au bal de printemps. Le comte
de Laforest veut fêter la fin des études de son fils aîné. Alexandrine sait
bien qu’il s’agit surtout d’une occasion de tenter de marier son fils à des
jeunes filles de la bonne société et c’est tout sourire qu’elle se rend chez le
fourreur. Rayonnante, elle flâne au soleil sur le chemin du retour : ses
pantoufles seront prêtes pour le bal.
-
Tu as trouvé ta tenue pour le bal ?
-
Non, je ne sais pas ce qui irait avec mes chaussures.
-
Elles sont comment ? demande Camille en s’installant à leur table.
-
C’est un secret ! répond fièrement la jeune fille.
-
Attends, tu as acheté les chaussures que nous avons vues l’autre fois dans ce
magazine de mode ? Les chaussures en peau de serpent du Tibet ? Tu as
trouvé une robe qui va avec ?
-
Juline, tu as tout faux ! Bon, j’y vais, je reprends le travail dans cinq
minutes. On se voit au bal !
Elle
avait oublié la robe ! Elle passe sa garde-robe en vue, rien n’ira avec
ses chaussures. Celles-ci sont prêtes, elle court les récupérer. Elle avait
demandé des pantoufles, l’artisan en a fait un mélange d’escarpin et de
pantoufle de vair. Ravie, Alexandrine sort sa carte bleue et paie une petite
fortune cette pièce unique avant de courir trouver une robe adaptée. Une courte
robe bustier bordée en haut et en bas de fourrure fait l’affaire, elle sera
habillée de noir, cette couleur élégante compensera l’étrangeté de ses
chaussures.
Ce soir-là, très en retard, elle trouve un
taxi qui la dépose devant le palais, son invitation à la main, elle n’a pas
longtemps à attendre pour entrer. Elle cherche ses amis du regard et court les
rejoindre.
-
Cette robe vient de la maison Verrier ? Je reconnais leur griffe.
-
Salut, Armand ! Oui, c’est une pièce unique.
-
Je ne suis pas en dernière année d’études pour devenir styliste pour rien. Tu
es venue en chaussons ?
-
Non, ce sont mes chaussures !
-
On t’a laissée entrer comme ça ?
-
Euh, oui…
-
Salut, dit Juline en arrivant un verre à la main. Tu est magni…, euh, très
jolie. Tes chaussures, comment dire ? On dirait que tu as marché sur des
rats morts.
-
C’est une pièce unique faite sur-mesure !
-
Tu as fait une faute de goût, chère amie, conclut Armand. Bon, allons danser !
Dans
la foule, les danseurs n’ont d’yeux que pour ses chaussures. Alexandrine s’en
veut de s’être laissé guider par des rêves. Tous les regards convergent vers
ses pieds ; autour d’elle, on se chuchote des choses en riant. Elle n’en peut plus et fuit
vers la sortie en plantant là ses amis.
En pleurs, elle fuit dans la forêt proche,
elle a perdu une pantoufle dans sa course mais elle ne l’a pas ramassée.
Frissonnante, elle suit le chemin ; un air de flûte l’attire vers les
bords de la rivière.
-
Que fais-tu là, petite ? Pourquoi pleures-tu ?
-
Je voulais trouver le grand amour, j’ai fait confiance à mon ange gardien et
fait créer des pantoufles de vair mais je n’ai réussi qu’à me ridiculiser.
-
Va savoir où te mène ton destin. Sèche tes larmes, je vais t’offrir un présent
pour apaiser ton chagrin. Rentre chez toi, il fait froid.
Il
lui tend une rose de verre qui brille sous la lune. Elle murmure un
remerciement et rejoint la route pour trouver un taxi qui la ramènera chez
elle. Dans la voiture, elle éteint son portable, ignorant les messages laissés
par ses amis.
-
Tu vas bien ? Tu nous as inquiétés…
-
Juline, ça va, je me suis sentie mal. Comment
était la soirée ?
-
Le bal était très réussi. Nous sommes rentrés à cinq heures du matin. Oh, cette
rose est magnifique, on dirait une vraie, tu l’as achetée où ?
-
Un faune me l’a donnée. Oh, non, tu pouvais faire attention, tu as cassé la
tige !
-
Je suis désolée, je paierai la réparation.
Dans l’après-midi, Alexandrine recherche sur
internet un artisan verrier. Un jeune artiste vient de s’installer en bas de la
rue, elle enveloppe soigneusement la rose brisée et se rend à la boutique.
-
Bonjour ! J’ai brisé une rose de verre et…
-
Bonjour, je suis à vous dans un instant, mais allez-y, faites un tour, j’en ai
pour cinq minutes.
Elle
fait le tour de la boutique, des objets délicats et colorés s’offrent partout à
sa vue. Et puis, elle les voit : deux escarpins de verre qui semblent à sa
taille. La jeune fille se mord la lèvre et jette un regard vers l’atelier, le
verrier semble occupé, elle prend délicatement les escarpins et les essaie.
-
J’ai jeté un rapide coup d’œil à votre rose, vous l’aviez laissée sur la table,
ce n’est rien du tout à réparer. J’ignore qui l’a fabriquée mais c’est un
chef-d’œuvre. Que faites-vous ? C’est fragile ! Oh, ils vous vont à
la perfection, on dirait que je les ai faits pour vous.
-
Je suis désolée, j’ai vu ces escarpins en rêve et…
En levant les yeux, un fin visage encadré de
longs cheveux blonds et raides lui fait face. Mais ce qui l’attire, ce sont
deux yeux d’un bleu profond qui la fixent. En rougissant et en tremblant un
peu, l’artisan verrier lui tend la rose rouge.
-
J’allais sortir déjeuner, je vous invite au restaurant chinois juste en face ?
Puis, nous reviendrons discuter posément de votre achat, j’ai peu de clients le
lundi après-midi.