Wivine et Loris s’aimaient depuis toujours.
Loris était le protecteur d’un laurier et Wivine était chargée de protéger un
chêne proche. Les deux elfes sylvains avaient grandi l’un près de l’autre dans
une petite forêt perdue presque toute l’année dans la brume. Tout
naturellement, alors qu’ils atteignaient leur centième année, ils s’étaient
juré de s’unir pour s’aimer durant toute leur longue vie. En gage d’amour, ils
avaient échangé un bracelet de
pierres bleues, du même bleu que les
yeux de Wivine.
Les siècles passèrent sans changements
notables, le temps s’écoulait lentement, les arbres croissaient et les elfes
protecteurs gagnaient en beauté et en sagesse. Chaque jour, les deux elfes
entretenaient leur arbre respectif en parlant de tout et de rien, ils coupaient
les branches mortes, soignaient l’écorce, ôtaient les champignons et les
insectes qui tentaient d’attaquer leur arbre protecteur en devisant gaiement.
Puis ils marchaient dans le bois ou se reposaient au pied de leurs arbres en
écoutant le chant des oiseaux.
Chaque membre de leur peuple se liait dès l’enfance
à un arbre. Les deux êtres se cherchaient longuement mais lorsqu’ils se
trouvaient, ils savaient que leurs esprits et leurs destins étaient unis pour l’éternité.
L’arbre apportait réconfort et ombre à l’elfe dont il se faisait le confident
peu loquace et l’elfe prenait soin de l’arbre et le protégeait des parasites.
Une tempête déracina le laurier plusieurs
fois centenaire, Loris fut anéanti par cette mort soudaine et imprévisible. Il
se sentait responsable de la disparition de son ami muet, il n’avait pas songé
à remettre régulièrement de la terre sur le pied de l’arbre pour mieux l’ancrer
dans le sol ou il n’avait pas pris la mesure des dommages du temps sur son ami
de bois. Il passa de nombreuses journées à regarder l’arbre de son cœur sécher
et se désagréger pour nourrir de nouvelles pousses. L’elfe chercha longtemps dans
les environs un rejeton de son vieil ami qui aurait poussé là, une
réincarnation de son défunt confident mais il ne trouva rien.
Au bout de quelques semaines qu’il passa
assis à se remémorer le bruit du vent dans les feuilles du laurier, il partit
les mains dans les poches et sa cape sur les épaules. Wivine avait tenté de
communiquer avec son ami de toujours mais elle avait fini par renoncer devant
sa mine triste et ses yeux perdus qui la regardaient sans la voir. Loris n’était
que désespoir et haine pour lui-même.
Wyvine attendit longtemps son compagnon, l’automne
s’acheva.
-
Ô toi, Quercus, mon chêne, symbole chez les celtes de longévité, de force et d’endurance,
donne moi la force d’attendre avec patience le retour de Loris.
Le
vent agita les branches de l’arbre qui lui murmura de se montrer patiente.
Au
printemps, elle planta un laurier à la place de l’arbre déraciné qu’elle
baptisa Lawri. Elle regardait la plante grandir lentement et en prenait grand
soin. Elle pensait souvent à Loris et ne quittait jamais le bracelet bleu qui
les liait. Wyvine se rassurait, l’arbre-vie de son compagnon symbolisait l’immortalité
et la victoire, elle y voyait un bon présage.
Dix printemps se succédèrent et Loris ne
revenait pas. Lawri prospérait, Wyvine l’avait replanté très profondément dans
la terre alors qu’il était jeune pour lui épargner le sort funeste de son
prédécesseur.
Un
jour, un vieil elfe tourna longuement autour de l’arbre, une jeune elfe dans
les bras. Sur le qui-vive, Wyvine alla les trouver et leur expliqua que l’elfe-vie
de cet arbre serait bientôt de retour. Le vieil elfe rit et lui répondit que
cet arbre croissait depuis des années mais qu’il finirait par trouver un
protecteur qui ne serait pas celui qu’elle espérait. Elle devait s’y faire. Les
longs cheveux roux de Wyvine volèrent sous ses signes de protestation, elle se
refusait à envisager que cet arbre trouve un autre propriétaire que son
compagnon.
-
Lawri ! Lorifioré ! Je t’ai cherché partout de par le monde depuis
douze longues années et tu m’attendais à ta place de toujours ! Mais que
tu es petit ! Lorifioré est un joli nom mais pour moi, tu resteras
toujours Lawri, l’arbre qui m’a attiré dans ma tendre enfance et que j’ai gardé
jusqu’à son funeste trépas. Je me suis haï de n’avoir pas su le protéger, j’avais
failli à ma tâche mais j’ai fini par admettre qu’il avait vu bien des jours se
lever et que la vieillesse seule avait eu raison de sa force passée. Ma haine envers moi-même s’est apaisée au
fil des années et je te retrouve, mon vieil ami qui m’attendait chez nous. Je
vais t’appeler désormais Lawri-fiero, ça ne changera guère ton nom, tu seras
Lawri le fier si tu le veux bien. Mon Lawri sera toujours mon arbre-vie, je ne
puis l’abandonner.
Le
vent secoua les branches du laurier en signe d’acquiescement. Pour la première
fois depuis des années, Loris sourit et son regard s’éclaira, il avait parcouru
le monde entier mais sa place était toujours ici, là où l’arbre qu’il avait
tant aimé était né et avait grandi.
Son regard se tourna alors vers Quercus qui
demeurait à sa place, ses branches toujours vigoureuses mais il ne vit pas
Wyvine à son pied. Il inspecta l’arbre qui lui sembla en bonne santé et bien
entretenu tout comme Lawri-fiero, il conclut que quelqu’un se chargeait de ces
deux êtres si forts mais sans défense. Il s’assit entre les deux arbres en
jouant un air de flûte, heureux de retrouver sa maison. Lorsque l’air qu’il
jouait fut terminé, l’elfe leva les yeux, un bracelet de pierres bleues, jumeau
du sien se trouvait juste devant lui. En levant les yeux, il rencontra deux iris
du même bleu, mouillés des larmes de Wyvine qui tomba à genoux devant lui. Leur
longue séparation avait pris fin.
-
J’ai pris soin de lui, je l’ai surnommé Quercus car toi seul savait son nom
véritable.