« Je dois rentrer
chez moi. Adieu. »
J'ai trouvé ce mot dans
mon casier ce matin et Algernon n'est pas venu au lycée. Pourtant
depuis le début de l'année, nous sommes inséparables et les
meilleurs amis du monde. Assise à ma table, je réfléchissais. Que
devais-je faire ? Contacter mon ami, mais je n'avais jamais
prêté attention au fait que je n'avais ni son adresse ni son numéro
de téléphone ni son email. Intriguée, je me demandais ce que je
savais de lui : pas grand chose, au final.
Je profitais de la
pause déjeuner pour faire des recherches au C.D.I.. Mon ami
s'appellait Algernon CARCIOFE, j'ai toujours pensé que son nom de
famille était d'origine italienne mais cette recherche m'avait
appris que c'est le nom de l'artichaut au Moyen-Âge et qu'Algernon
est un prénom médiéval. J'appris surtout qu'ils ne sont ni dans
l'annuaire ni sur aucun réseau social.
Je revoyais mon ami aux
cheveux blonds et aux grands yeux bleus, ses taches de rousseur, sa
petite taille. Où pouvait-il être ?
Deux semaines durant,
je réfléchissais, il y avait un mystère, je le sentais. Je ne
savais rien de mon ami, il parlait peu et il choisissait ses mots
avec soin. Parfois, il lui échappait des termes désuets.
Un lundi matin, je suis
allée voir le secrétaire pour savoir s'il savait où était parti
mon ami. Les professeurs lui avaient signalé son absence, il avait
téléphoné mais le numéro n'était pas attribué. Il alla chercher
le dossier pour moi dans ses étagères. Il était vide ou presque.
Mon ami avait fréquenté une école au primaire et un unique collège
qui avaient tous deux fermé. Je notais discrètement le nom des
établissements scolaires et l'adresse mentionnée dès que je sortis
du bureau. J'avançais, c'était toujours ça.
Je ne trouvais pas
d'école primaire Isabeau COQUERICOT et de collège Glossinde
CLOCHEMAN mais je découvris que ces noms venaient tout droit du
Moyen-Âge. Je me souvenais que mon ami m'avait dit avoir toujours
habité dans la ville, je me décidais à téléphoner aux écoles,
aux clubs sportifs ou aux associations en me faisant passer pour un
jeune clerc de notaire qui recherchait un héritier mais rien, je ne
trouvais rien du tout.
Même si l'adresse
correspondait à une maison en ruine avec une boîte aux lettres
neuve au nom de mon ami, je décidais d'y retourner. J'avais déjà
interrogé les voisins qui ne pouvaient pas me dire grand chose sur
la famille qui habitait là : ils avaient parfois vu des gens
sur le terrain mais il était désert la majorité du temps.
J'explorais le jardin et la ruine, sans rien trouver de nouveau. Je
décidais d'emprunter le petit chemin que j'avais remarqué la
dernière fois. Il menait à un cimetière masqué par des arbres.
Isabeau COQUERICOT, sa
femme Glossinde CLOCHEMAN et leur fils Algernon COQUERICOT gisaient
là sous la dalle de pierre. Ils étaient décédés en 1374. Je
craignais de comprendre.
- Algernon, tu es là ?
- Oui, me répondit une
voix timide.
- C'est ta tombe ?
- Oui, la peste nous a
tous pris la même nuit. Personne n'est venu nous aider ou nous voir.
Ma famille hante ce lieu depuis que quelqu'un a voulu détruire nos
tombes, les derniers vestiges de notre famille. La descendance d'un
cousin éloigné possède le terrain et il veille sur le salut de
nos âmes ; nous avons été forcés de terrifier un de ses
ancêtres pour que notre famille ne demeure pas oubliée de tous et
ne disparaisse pas. Nous hantons ce lieu; viens, je vais te présenter
à ma famille.