lundi 13 février 2017

L'ami disparu

« Je dois rentrer chez moi. Adieu. »
J'ai trouvé ce mot dans mon casier ce matin et Algernon n'est pas venu au lycée. Pourtant depuis le début de l'année, nous sommes inséparables et les meilleurs amis du monde. Assise à ma table, je réfléchissais. Que devais-je faire ? Contacter mon ami, mais je n'avais jamais prêté attention au fait que je n'avais ni son adresse ni son numéro de téléphone ni son email. Intriguée, je me demandais ce que je savais de lui : pas grand chose, au final.

Je profitais de la pause déjeuner pour faire des recherches au C.D.I.. Mon ami s'appellait Algernon CARCIOFE, j'ai toujours pensé que son nom de famille était d'origine italienne mais cette recherche m'avait appris que c'est le nom de l'artichaut au Moyen-Âge et qu'Algernon est un prénom médiéval. J'appris surtout qu'ils ne sont ni dans l'annuaire ni sur aucun réseau social.

Je revoyais mon ami aux cheveux blonds et aux grands yeux bleus, ses taches de rousseur, sa petite taille. Où pouvait-il être ?

Deux semaines durant, je réfléchissais, il y avait un mystère, je le sentais. Je ne savais rien de mon ami, il parlait peu et il choisissait ses mots avec soin. Parfois, il lui échappait des termes désuets.

Un lundi matin, je suis allée voir le secrétaire pour savoir s'il savait où était parti mon ami. Les professeurs lui avaient signalé son absence, il avait téléphoné mais le numéro n'était pas attribué. Il alla chercher le dossier pour moi dans ses étagères. Il était vide ou presque. Mon ami avait fréquenté une école au primaire et un unique collège qui avaient tous deux fermé. Je notais discrètement le nom des établissements scolaires et l'adresse mentionnée dès que je sortis du bureau. J'avançais, c'était toujours ça.

Je ne trouvais pas d'école primaire Isabeau COQUERICOT et de collège Glossinde CLOCHEMAN mais je découvris que ces noms venaient tout droit du Moyen-Âge. Je me souvenais que mon ami m'avait dit avoir toujours habité dans la ville, je me décidais à téléphoner aux écoles, aux clubs sportifs ou aux associations en me faisant passer pour un jeune clerc de notaire qui recherchait un héritier mais rien, je ne trouvais rien du tout.

Même si l'adresse correspondait à une maison en ruine avec une boîte aux lettres neuve au nom de mon ami, je décidais d'y retourner. J'avais déjà interrogé les voisins qui ne pouvaient pas me dire grand chose sur la famille qui habitait là : ils avaient parfois vu des gens sur le terrain mais il était désert la majorité du temps. J'explorais le jardin et la ruine, sans rien trouver de nouveau. Je décidais d'emprunter le petit chemin que j'avais remarqué la dernière fois. Il menait à un cimetière masqué par des arbres.
Isabeau COQUERICOT, sa femme Glossinde CLOCHEMAN et leur fils Algernon COQUERICOT gisaient là sous la dalle de pierre. Ils étaient décédés en 1374. Je craignais de comprendre.
- Algernon, tu es là ?
- Oui, me répondit une voix timide.
- C'est ta tombe ?
- Oui, la peste nous a tous pris la même nuit. Personne n'est venu nous aider ou nous voir. Ma famille hante ce lieu depuis que quelqu'un a voulu détruire nos tombes, les derniers vestiges de notre famille. La descendance d'un cousin éloigné possède le terrain et il veille sur le salut de nos âmes ; nous avons été forcés de terrifier un de ses ancêtres pour que notre famille ne demeure pas oubliée de tous et ne disparaisse pas. Nous hantons ce lieu; viens, je vais te présenter à ma famille.