Il y avait une
fois, une créature qui vivait dans un bois. Au fil du temps, les
hommes marquèrent l'endroit de leur empreinte. Toutefois, elle
vivait en paix car le lieu n'était guère convoité.
Un jour, un riche
seigneur décida d'y bâtir son château. Au Moyen-Âge, les
créatures mythologiques étaient vues d'un mauvais œil. Mais la
vouivre avait l'apparence d'une jeune fille aux yeux rieurs et
clairs, son innocence lui gagna la pitié du maître des lieux. Il
avait pris Yverne pour une fée et jugé que laisser cette créature
vivre sur ses terres était un bon présage.
Cet homme bon
connaissait bien les paysans de l'endroit et savait qu'ils faisaient
parfois appel aux services de la jeune fille qui était une
guérisseuse estimée. Il lui donna donc le droit de conserver son
habitation et l'autorisation d'aller et venir sur ses terres ainsi
que d'en vivre tant qu'elle n'en prélevait que le nécessaire pour
sa survie et n'en faisait pas commerce. Il lui allouait également le
petit jardin autour de son repaire comme propriété avec le droit de
vendre sa production. En échange, il lui demandait de pouvoir
recourir à ses dons de guérisseuse pour lui et ses descendants
quand les médecins se trouveraient impuissants. La vouivre accepta
et continua sa vie paisible.
Lors de la
Révolution, la famille qui était aimée des gens de l'endroit garda
son château contre paiement d'une forte somme et le paiement
régulier de ses impôts. La Vouivre, désignée comme une domestique
reléguée au fond de la propriété pour éviter des questions, fut
amenée devant le magistrat en charge de tenir les registres de
recensement. Le châtelain l'autorisa à acheter sa parcelle de terre
et à en être la propriétaire aux yeux de la loi ce qui la
protégeait d'une expulsion. Ses dons de guérisseuse lui avaient
permis d'amasser une quantité d'or et d'argent non négligeable, la
créature acheta donc sa parcelle de terre pour une somme symbolique.
Sa situation était clarifiée aux yeux de la loi et elle ne pourrait
être expulsée si le seigneur perdait son château. Cet intermède
ne changea pas sa relation avec le châtelain et ses descendants.
Rebaptisée Yverne
GUIVRE, son immortalité demeurait un secret à garder précieusement.
Un ami enchanteur qui avait percé le secret de la vie éternelle se
chargeait de recevoir les officiers d'état civil trop pointilleux ou
les agents chargés du recensement. Lorsque l'école devint
obligatoire, la Vouivre dû user du même stratagème et recevoir les
agents de l'éducation nationale chargés de s'assurer de la bonne
éducation des enfants qu'elle déclarait à intervalle régulier
pour être en mesure de se transmettre sa terre. Ces "enfants"
étaient toujours déclarés nés de pères inconnus et nés à
domicile, ce qui lui offrait une existence légale et le droit de
posséder sa terre sans risquer l'expropriation au fil des siècles.
La créature est
estimée dans ce coin de campagne et personne ne se risquerait à la
dénoncer aux autorités. La
famille Guivre dont elle est l'unique membre a ainsi vécu en paix
jusqu'à nos jours.