vendredi 17 février 2017

Histoire d'une Vouivre

   Il y avait une fois, une créature qui vivait dans un bois. Au fil du temps, les hommes marquèrent l'endroit de leur empreinte. Toutefois, elle vivait en paix car le lieu n'était guère convoité.

   Un jour, un riche seigneur décida d'y bâtir son château. Au Moyen-Âge, les créatures mythologiques étaient vues d'un mauvais œil. Mais la vouivre avait l'apparence d'une jeune fille aux yeux rieurs et clairs, son innocence lui gagna la pitié du maître des lieux. Il avait pris Yverne pour une fée et jugé que laisser cette créature vivre sur ses terres était un bon présage.

   Cet homme bon connaissait bien les paysans de l'endroit et savait qu'ils faisaient parfois appel aux services de la jeune fille qui était une guérisseuse estimée. Il lui donna donc le droit de conserver son habitation et l'autorisation d'aller et venir sur ses terres ainsi que d'en vivre tant qu'elle n'en prélevait que le nécessaire pour sa survie et n'en faisait pas commerce. Il lui allouait également le petit jardin autour de son repaire comme propriété avec le droit de vendre sa production. En échange, il lui demandait de pouvoir recourir à ses dons de guérisseuse pour lui et ses descendants quand les médecins se trouveraient impuissants. La vouivre accepta et continua sa vie paisible.

   Lors de la Révolution, la famille qui était aimée des gens de l'endroit garda son château contre paiement d'une forte somme et le paiement régulier de ses impôts. La Vouivre, désignée comme une domestique reléguée au fond de la propriété pour éviter des questions, fut amenée devant le magistrat en charge de tenir les registres de recensement. Le châtelain l'autorisa à acheter sa parcelle de terre et à en être la propriétaire aux yeux de la loi ce qui la protégeait d'une expulsion. Ses dons de guérisseuse lui avaient permis d'amasser une quantité d'or et d'argent non négligeable, la créature acheta donc sa parcelle de terre pour une somme symbolique. Sa situation était clarifiée aux yeux de la loi et elle ne pourrait être expulsée si le seigneur perdait son château. Cet intermède ne changea pas sa relation avec le châtelain et ses descendants.

   Rebaptisée Yverne GUIVRE, son immortalité demeurait un secret à garder précieusement. Un ami enchanteur qui avait percé le secret de la vie éternelle se chargeait de recevoir les officiers d'état civil trop pointilleux ou les agents chargés du recensement. Lorsque l'école devint obligatoire, la Vouivre dû user du même stratagème et recevoir les agents de l'éducation nationale chargés de s'assurer de la bonne éducation des enfants qu'elle déclarait à intervalle régulier pour être en mesure de se transmettre sa terre. Ces "enfants" étaient toujours déclarés nés de pères inconnus et nés à domicile, ce qui lui offrait une existence légale et le droit de posséder sa terre sans risquer l'expropriation au fil des siècles.

   La créature est estimée dans ce coin de campagne et personne ne se risquerait à la dénoncer aux autorités. La famille Guivre dont elle est l'unique membre a ainsi vécu en paix jusqu'à nos jours.