Minuit sonne. Des rires et le bruit des coups de battoir s'élèvent
de la rivière, malheur au promeneur attardé qui passerait par là.
- Au fait, pourquoi êtes-vous condamnées à laver le linge les
soirs de pleine lune? Depuis des siècles que nous nous côtoyons,
nous pouvons bien avouer. J'ai lavé mon linge après le coucher du
soleil, j'avais vingt ans à l'époque, ça devait être dans les
années 1530. J'ai été maudite pour cela. A l'époque, la
tradition voulait que l'on travaille le jour et que l'on cesse tout
avant le coucher du soleil.
- Moi, j'ai noyé mon enfant. Si vous regardez bien, ce n'est pas du
linge que je lave, tords et bats à longueur de nuit. Cet enfant
était illégitime et j'ai eu peur de la réaction de mon maître,
j'avais seize ans, j'ai caché ma grossesse et désemparée, je m'en
suis débarrassée à la naissance.
- C'est horrible, dit la troisième en regardant les mèches blondes
et les yeux bleus de ce qui fut une innocente jeune fille. Pour ma
part, j'ai lavé mon linge un vendredi saint alors que c'est
interdit. J'ai été damnée et depuis trois siècles, je lave mon
linge toutes les nuits de pleine lune dans l'eau glacée.
- J'ai frotté avec des cailloux et non du savon le linge de pauvres
que je devais laver à moindre coût. Je leur rendais du linge sale
et plus abîmé que lorsque je le recevais. J'avais plus de temps
pour prendre soin du linge des riches qui me confiaient leur linge
fin. Mais je m'enrichissais et je gagnais du temps à agir de cette
façon.
- Pour ma part, j'ai enseveli mon mari dans un linceul sale, je
voulais l'enterrer rapidement pour me remarier avec mon voisin.
- Moi, c'est mon mari qui m'a ensevelie dans un linceul sale. Mauvais
chrétien, il n'avait cure des traditions et des usages. Tiens, voilà
quelqu'un! Ils sont plusieurs. Hé vous, venez donc nous aider à
essorer notre linge!
Le groupe s'approche, intrigué par les rires de ces femmes
habillées à l'ancienne que la pleine lune éclaire. Ils s'avancent
face aux lavandières et chacun prend un bout de drap.
- Mets-y donc un peu de cœur ou tu vas en pâtir, répond la
première. Tant pis pour toi, je vais te casser le bras car je ne
vais pas retenir ma force.
Et elle fit ce qu'elle avait dit, le jeune garçon hurla de douleur
sous la lune.
- Imbécile, tu as tordu le linge dans le mauvais sens! Tu vas
mourir, broyé de mes mains! dit la deuxième.
- Vous venez de tordre votre linceul, reprirent les quatre autres
avec un sourire mauvais.
Les quatre survivants s'enfuirent à toutes jambes. Ils
traversèrent la route en courant pour rejoindre leur voiture, un
camion les percuta dans la nuit. Le conducteur ne les avait pas vu
traverser la route mal éclairée.